Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XIV. |
Année : 1659 |
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Traité des Pyrénées. |
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Le
traité des Pyrénées, conclu le 7 novembre 1659 entre la France et
l'Espagne, compléta l'œuvre diplomatique si énergiquement poursuivie par
Richelieu, continuée si habilement par Mazarin : l'abaissement de la maison
d'Autriche. La paix de Westphalie, signée dix années auparavant, avait déjà consacré les résultats de la politique de Richelieu ; la France au congrès de Munster avait obtenu des avantages qui assuraient sa suprématie en Europe, l'Autriche s'était vu affaiblir, tandis que sa rivale grandissait ; mais cependant le traité de Westphalie avait plutôt été un acte européen général, conclu en partie il est vrai au profit de la politique française, qu'une convention diplomatique personnelle à un état. Le
traité des Pyrénées a un caractère opposé ; deux signatures seulement
s'y trouvent : celle du ministre de France, de Mazarin ; celle du ministre
d'Espagne, de Louis de Haro. Le
traité de 1648 avait établi l'équilibre politique européen sur de
nouvelles divisions territoriales, il avait fixé les bases politiques de
l'Europe centrale, et terminé la guerre de Trente Ans, dans laquelle se
trouvaient engagées toutes les puissances européennes ; le traité de 1659
régla les différends qui avaient armé l'une contre l'autre la France et
l'Espagne, pacifia le midi, et, malgré toutes les réserves qui y furent
insérées, introduisit les Bourbons dans la Péninsule et jeta les premières
bases de cette union naturelle entre les deux pays que Louis XIV a plus tard
caractérisée par les célèbres paroles qu'il adressa à son petit fils en
se séparant de lui : "Il
n'y a plus de Pyrénées." Bien
que Mazarin eût dirigé pour la France les dernières négociations du
traité de Westphalie, c'était néanmoins l'oeuvre véritable de Richelieu
; c'est lui qui l'avait préparé, il était la conclusion logique,
rigoureuse de sa politique, et Mazarin n'avait eu qu'à suivre les
traditions léguées par le ministre de Louis XIII. Le
traité des Pyrénées appartient au contraire entièrement à Mazarin,
c'est le résultat de ses efforts et la gloire de sa politique ; il en décida
les clauses, et par sa correspondance on voit qu'il pressentait l'avenir que
le mariage de la fille de Philippe IV avec Louis XIV réservait à la maison
de France. Il
avait à l'avance deviné l'invalidité des renonciations stipulées au
sujet du mariage de Marie Thérèse, et, en 1646 déjà il écrivait à ses
négociateurs à Munster : "Si le roi très chrétien pouvait avoir les Pays Bas et la Franche Comté en épousant l'infante, alors nous aurions tout le solide quelques renonciations qu'on fit faire à l'infante." Le
roi d'Espagne, bien qu'il exigeât cette réserve, ne se trompait pas lui-même
sur sa valeur : "C'est une fadaise, disait il, et, si le prince mon fils manquait, de droit ma filIe doit hériter." Cette
union, qui fut l'un des points principaux du traité des Pyrénées,
rencontra d'abord de graves obstacles dans la volonté de Louis XIV, alors
fortement épris de Marie de Mancini, nièce de Mazarin. L'honneur
de s'allier à une race royale éblouit un instant l'orgueilleux ministre,
et, s'il ne l'encouragea pas ouvertement, il laissa du moins quelque espérance
à la passion du jeune roi. Mais
l'énergie d'Anne d'Autriche le rendit bientôt à son habituelle raison : "S'il était possible que le roi eût cette lâcheté, lui écrivit la reine régente, je vous avertis que la France se révolterait contre vous et contre lui ; moi même je me mettrais à la tête des révoltés." Dès
lors le cardinal revint si sincèrement aux sentiments de la reine, qu'il déclara
au roi : qu'il poignarderait sa nièce, plutôt que de l'élever par une si
grande trahison ; et jusqu'à l'issue des négociations il la tint renfermée
au couvent de Brouage. Louis
XIV résista quelque temps encore aux instances de son ministre ; mais enfin
il céda, et l'on put conclure le traité. Les
préliminaires de la paix des Pyrénées avaient été présentés à Madrid
en 1656, par le marquis de Lionne ; et lorsque les ministres de France et
d'Espagne se rencontrèrent aux frontières des deux états, au mois d'août
1659. les bases principales étaient arrêtées. Mais
il restait à débattre bien des intérêts, à fixer des divisions de
territoire, à traiter enfin de deux points importants : du mariage du roi
et du retour en France du prince de Condé, qui, après avoir donné au roi
le secours de son épée, avait pris parti pour la Fronde et était allé
servir sous les drapeaux espagnols. Mazarin
apporta une habileté inouïe, une extrême finesse d'esprit, une singulière
abondance de ressources, à la discussion de ces délicates questions : le
grand homme d'État déploya à l'aise sa haute intelligence, et les fit
toutes résoudre dans le sens qu'il désirait. L'entrevue
eut lieu avec une magnificence royale dans une île de la Bidassoa, alors
nommée île des Faisans, et qui depuis s'appela île de la Conférence. Un
pavillon en charpente fut construit sur la limite précise des deux
royaumes, de telle sorte qu'une moitié de cette loge reposait sur le
territoire français et l'autre sur celui de l'Espagne : autour de ce bâtiment
principal s'élevaient d'autres pavillons et des tentes pour les seigneurs
qui accompagnaient les deux négociateurs. Intérieurement
la décoration, l'ameublement, tapis, fauteuils, lits de parade, tout était
entièrement semblable des deux parts ; les ministres, Mazarin et D. Louis
de Haro, assistés chacun d'un secrétaire d'État, entraient au même
moment. et, sans quitter leur territoire national, se plaçaient à une
table posée au milieu du pavillon : leurs gardes restaient en dehors. Les
conférences diplomatiques, entamées le 22 août 1659 et souvent
interrompues par les bals, les fêtes, les spectacles, les divertissements,
durèrent quatre mois. Le
17 novembre, les portes de ce pavillon, où s'étaient si longuement discutés
les intérêts des. deux pays, s'ouvrirent simultanément du côté de la
France et de celui de l'Espagne, et laissèrent entrer deux flots de
gentilshommes resplendissants d'or et de soie, aux manteaux flottants, aux
toques de velours : c'était la noblesse de France et celle d'Espagne appelées
à signer le traité des Pyrénées, auquel Mazarin et L. de Haro venaient
d'apposer leur scel. L'abandon
par l'Espagne, en faveur de la France, du Roussillon, de la Cerdagne, de
l'Artois et des places principales conquises dans les dernières campagnes ;
le pardon accordé par Louis XIV au prince de Condé, qui déclarait ne prétendre
rien, dans la conclusion de cette paix, que de la seule bonté, et du
mouvement du roi ; enfin les stipulations relatives au mariage de Louis XIV,
qui renfermaient les renonciations exigées par l'Espagne, moyennant une dot
de cinq cent mille écus d'or, formaient les plus importantes clauses du
traité des Pyrénées. L'année
suivante, au mois de juin, les rois de France et d'Espagne eurent une
entrevue à l'île de la Conférence : Louis XIV venait chercher sa jeune épouse,
Philippe IV conduisait sa fille à sa nouvelle royauté. Le
3 juin, Anne d'Autriche, après une bien longue séparation, revit son frère
Philippe IV ; le premier mouvement de la reine fut de se jeter dans les bras
du roi d'Espagne, mais celui-ci même à ce moment conserva toute sa réserve
et toute sa grave dignité. Le
6 juin, eut lieu avec un appareil magnifique la réunion des deux cours dans
la salle des conférences ; les plus illustres familles des deux royaumes
assistaient à cette royale visite. Les
souverains assis l'un à côté de l'autre, Philippe IV sur la terre d
Espagne, Louis XIV sur la terre de France, l'Évangile ouvert devant eux, écoutèrent
la lecture du traité et en jurèrent le maintien, à genoux, la main sur le
livre saint. Le
lendemain la jeune infante fut présentée à la régente, qui dès ce jour
prit le titre de reine mère ; et pour la première fois Louis XIV put
apercevoir de loin sa royale fiancée en se mêlant aux seigneurs français
qui environnèrent le roi d'Espagne au moment où il monta en bateau avec sa
fille Marie Thérèse pour regagner la rive du fleuve. Le
mariage, qui s'était fait par procuration à Fontarabie, fut célébré le
9 juin à Saint Jean de Luz avec cet éclat auquel le roi de France se
plaisait déjà. Louis
XIV, vêtu de noir, couvert d'un manteau de brocart d'or, se distinguait par
sa taille à la fois élégante et majestueuse, par la noblesse de son
attitude ; il avait alors vingt deux ans, le même âge que l'infante Marie
Thérèse. La
nouvelle reine de France portait un manteau de velours violet semé de
fleurs de lis d'or et doublé d'hermine, sur son front étincelait une
couronne de diamants d'où s'échappaient les boucles de sa blonde
chevelure. Mazarin,
entouré de ses gentilshommes, accompagnait avec la reine mère les deux époux,
qui furent bénis par l'évêque de Bayonne. Le
retour de la cour de France fut salué à chaque ville par de brillantes fêtes,
par des hommages empressés. Paris surtout reçut avec un égal respect le roi et l'heureux négociateur des Pyrénées, ce cardinal Mazarin autrefois exilé que la France accueillait maintenant avec autant d'éclat et de soumission que Louis XIV lui-même. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages