Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XIV. |
Année : 1661 |
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Colbert présenté à Louis XIV. |
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Arrivé
au terme d'une existence pleine d'agitations et de périls, mais aussi marquée
par de grandes choses, le successeur de Richelieu, le cardinal Mazarin,
voyait approcher avec calme la fin d'une vie utilement employée pour la
France, et du moins à ses derniers instants il avait la consolation de
recevoir de Louis XIV, à qui il avait préparé un glorieux règne, les témoignages
d'une sincère reconnaissance. Pénétré
de la haute intelligence de son ministre, le jeune roi avait toujours
respecté son autorité ; et lorsque, retiré à Vincennes, Mazarin
attendait incessamment son heure suprême, plusieurs fois Louis XIV vint le
voir et recueillir ses conseils. Dans
l'une de ces visites, à côté du ministre mourant le roi trouva un homme
dont les traits fermes et sévères annonçaient à la fois l'activité et
la persévérance, sur le front duquel éclataient toutes les grandes qualités
d'esprit qui font les hommes d'État. Ce
serviteur dévoué, ou plutôt cet ami, ce confident de Mazarin, qui lui
demeurait fidèle à un moment où s'éloignent les courtisans de la
fortune, c'était Jean Baptiste Colbert, né, à Reims en 1619, alors âgé
de quarante deux ans et initié aux affaires par le ministre habile qui
avait si heureusement continué l'oeuvre de Richelieu. Dans
cette entrevue où Louis XIV venait adresser encore une fois ses adieux au
cardinal Mazarin, celui-ci lui présenta Colbert ; et en le recommandant à
la bienveillance du monarque : "Je
vous dois tout, Sire, dit le ministre, mais je crois m'acquitter en quelque
sorte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert." Ce
fut le dernier et non pas le moins important des services que Jules Mazarin
rendit à la royauté de Louis XIV. Le
9 mars 1661, l'heureux négociateur des traités de Westphalie et des Pyrénées,
le ministre infatigable, prévoyant, inventif, mourut, laissant à la
France, pour continuer ses utiles travaux, Le Tellier, Lionne et Colbert,
trois hommes supérieurs formés par ses soins aux difficultés de
l'administration, élevés aux saines traditions que leur avait transmises
le génie de Richelieu. Louis
pleura l'homme qui avait été tout ensemble son tuteur, son gouverneur et
son ministre ; puis, contre l'attente générale, le jeune prince,
jusqu'alors uniquement occupé de ses plaisirs, annonça hautement son
intention de gouverner par lui-même :
"Je veux, dit-il à son conseil, que tout me soit communiqué, depuis la dépêche diplomatique jusqu'à la dernière requête ;" et le grand règne qui devait occuper dans l'histoire une
place si considérable commença réellement. Louis
XIV, comme il l'avait résolu, travailla assidûment avec ses ministres, et
pendant cinquante années il ne cessa de diriger personnellement les
affaires de l'État ; mais s il apporta à cette tâche une énergique
volonté, une application soutenue, il fut merveilleusement secondé par ces
vigoureux esprits, par ces infatigables travailleurs que Mazarin lui avait légués.
Tout
en accordant au monarque l'admiration légitime que méritent ses grandes
qualités, il faut reconnaître qu'une large part de la gloire de ce siècle
revient aux hommes d'État qui supportèrent avec lui le poids de son
administration ; et parmi eux à Colbert surtout, qui contribua puissamment
à la grandeur de cette époque. Ce
fut par l'ordre et l'économie qu'il introduisit dans les finances que Louis
XIV put suffire aux dépenses énormes des guerres qui ont rempli son règne
; mais en les rendant possibles, en assurant du fond de son cabinet le succès
des armes de la France, rien ne lui revenait de l'éclat que donnent les
victoires. Sa
protection recherchait et encourageait les artistes et les savants
: c'est au non du grand roi qu'il les récompensait ; enfin c'est par
ses soins, par sa prévoyance que s'élevèrent de toutes parts les
monuments, les palais, les splendides résidences sur lesquels est seul
inscrit le nom de Louis XIV. Le
roi ne méconnut pas les solides qualités, le génie étendu de Colbert, et
bientôt il réunit dans ses mains l'administration des finances, de la
marine et de la maison du roi. L'activité
laborieuse du contrôleur général trouva du temps pour ces occupations
multipliées, et, soutenu par cette passion véritable qu'il avait pour le
bien de l'État, il réussit à organiser des services si divers avec une égale
promptitude et une même intelligence. Tandis
que les finances sortaient des embarras, au désordre auxquels elles étaient
abandonnées pour suivre une marche régulière de perception et s'accroître
par ses efforts dans une proportion imprévue , la marine militaire, entièrement
négligée par Mazarin, se rétablissait sous ses ordres ; et la France, qui
n'avait en 1661 que dix huit vaisseaux, possédait en 1667 soixante
vaisseaux de guerre, onze frégates et quarante bâtiments de dimension inférieure.
Il
faisait ouvrir les ports de Rochefort, de Cette, et agrandissait ceux de
Toulon et de Brest ; en même temps il créait la richesse commerciale et
manufacturière du pays, il développait à la fois les industries de luxe
et d'utilité générale. A
Sedan, à Abbeville, à Louviers, il formait des fabriques de drap ; à
Lyon, à Tours, à Nîmes, il créait ces belles manufactures d'étoffes de
soie dont le tissage habile, les couleurs brillantes, le dessin élégant défiaient
toute rivalité et qui devinrent une des industries privilégiées de la
France. Pour
satisfaire enfin cet amour de l'éclat, de la splendeur, qui étaient les
principaux mobiles de Louis XIV, Colbert, introduisant pour ainsi dire le
luxe dans les travaux sérieux qu'il dirigeait, fonda les beaux établissements
de Sèvres, des Gobelins et de Saint Gobain, dont les produits atteignirent
une telle perfection qu'ils semblent plutôt les oeuvres d'un art exquis que
celles de l'industrie manufacturière. Des
routes nouvelles entretenues avec soin, de grands travaux d'utilité
publique, des codes réglementaires de l'industrie, du commerce, organisant
selon les idées de ce temps ces branches importantes de la richesse
nationale ; l'ordonnance de navigation de 1681, qui sert encore aujourd'hui
de base à la législation maritime, forment l'ensemble complet et
magnifique des projets essentiels réalisés par Colbert. Pour
atteindre le but qu'il se proposait, la puissance et la gloire de la France,
rien ne l'arrêtait ; il savait, pour les entreprises qui pouvaient
contribuer à la prospérité du pays, trouver d'inépuisables ressources ;
mais, autant il se montrait alors généreux, autant il se refusait aux
prodigalités inutiles que préférait la cour : "Il faut, disait-il à Louis XIV, épargner cinq sous aux choses non nécessaires, et jeter les millions quand il est question de votre gloire. Un repas inutile de trois mille livres me fait une peine incroyable ; et lorsqu'il est question de millions d'or pour la Pologne, je vendrais mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants et j'irais à pied toute ma vie." Nobles
paroles, qui furent la règle constante de sa conduite, et donnent la véritable
mesure de son administration. Toutefois
il ne méconnaissait point les devoirs de la royauté ; il n'ignorait pas
que l'éclat qu'elle doit aux arts et aux lettres ne lui forme pas une
richesse moins durable, ne lui acquiert une gloire ni moins brillante ni
moins solide que les conquêtes pacifiques et fécondes de l'industrie. L'Académie
des sciences, l'Académie des inscriptions s'établirent sous son patronage
éclairé. A
Rome il fonda l'école de peinture, où chaque année la France envoya les
artistes se former à l'étude des grands maîtres et saisir sous le ciel même
de l'Italie les secrets de leur art ; à Paris se
constituait une Académie de peinture, où les noms de Lebrun, de Lesueur,
de Mignard représentaient dignement l'école française. Non
seulement en France, mais encore à l'étranger, Colbert faisait connaître
par des bienfaits le règne de Louis XIV "Quoique le roi ne soit pas votre souverain, écrivait-il au célèbre Vossius en lui envoyant un brevet de pension, il veut néanmoins être votre bienfaiteur." Les
savants et les écrivains de la France et de l'Europe recevaient des
pensions et des présents :
l'Italien Cassini, le Hollandais Huyghens, le Danois Boehmer furent appelés
en France et s'y fixèrent ; Bernin, attiré à Paris pour l'achèvement du
Louvre, fut accueilli avec une magnificence royale. Cependant
le ministre de Louis XIV ne se laissa pas éblouir par la réputation de
l'architecte italien, et il sut préférer à ses plans ceux que Perrault présentait. En
toutes choses et partout, enfin, Colbert rechercha la gloire de son
souverain, ou, pour parler plus exactement, celle de son pays. L'État
c'est moi ! , avait
dit Louis XIV dans un jour d'orgueil :
c'était à l'État autant qu'au roi que se dévouait l'élève de Mazarin,
quand il servait avec une intelligence si admirable, un courage si persévérant,
le maître absolu de la France. Tant
de glorieux services ne sauvèrent cependant pas Colbert de la disgrâce et
de l'impopularité. Lorsqu'il mourut, Louis XIV, fatigué de ses remontrances, lui avait retiré sa faveur ; le crédit de Louvois l'avait emporté sur le sien, et l'on ne put garantir le cercueil de ce grand homme des insultes du peuple de Paris qu'en l'ensevelissant durant la nuit. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages