Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1672

 Passage du Rhin.

 La campagne de 1672, entreprise par Louis XIV contre la Hollande est une des plus brillantes du règne du grand roi.

Tout concourt à lui donner un vif intérêt : les habiles négociations qui la préparèrent ; les forces considérables qui furent réunies pour cette guerre ; les généraux illustres qui la dirigèrent ; enfin la rapidité des succès, qui, en moins d'un mois, livrèrent presque entièrement les Provinces Unies à la France.

Louis XIV, alors âgé de trente quatre ans, était dans tout l'éclat de sa puissance : autour de son trône se pressait cette foule d'hommes supérieurs qui portèrent si haut, en tous les genres, la gloire de son règne.

Colbert imprimait aux arts et à l'industrie une impulsion vigoureuse ; il organisait les finances, créait les manufactures, et réussissait, malgré les magnificences et les prodigalités de la cour, à suffire à toutes les dépenses ; Lionne et Pomponne, dignes successeurs du cardinal Mazarin leur maître, conduisaient la diplomatie française avec un talent qui a laissé de profonds souvenirs dans l'histoire de nos relations extérieures ; Turenne, Condé, Créqui, Luxembourg commandaient les armées ; Vauban fortifiait les places conquises ; les artistes, les écrivains, Racine, Molière, Pascal, Bossuet, Lesueur, Lebrun, Puget, Mansard, Perrault, puisaient leurs inspirations dans les splendeurs de cette royauté : et tous, hommes d'état, poètes, généraux, sculpteurs, réunis par la forte volonté du jeune monarque qui fit l'unité de ce siècle, s'empressaient à l'accomplissement de ses moindres caprices comme de ses plus vastes desseins.

Au dehors la brillante conquête de la Flandre et de la Franche Comté avait établi en Europe l'influence du roi de France ; des alliances habilement ménagées tenaient dans l'immobilité la plupart des puissances jalouses de son ascendant : partout la fortune le favorisait ; et rien ne paraissait impossible à ce prince beau, spirituel, plein de majesté et d'élégance , devant lequel la France et l'Europe s'inclinaient avec admiration.

Au milieu de cet applaudissement universel, une puissance cependant, un peuple de marchands, perdu parmi les marais du Zuyderzée, disputait à Louis XIV la suprématie politique, contrariait ses projets, et intervenait, pour ainsi dire, jusque dans les affaires intérieures du royaume, par les relations qui le liait au parti protestant et par l'appui qu'il lui prêtait.

Fiers de leurs vingt mille vaisseaux, de l'or entassé dans leurs plus obscurs villages, de la paix enfin qu'ils avaient imposée aux Anglais à Bréda et à laquelle ils avaient presque forcé la France à Aix la Chapelle, les Hollandais se vantaient d'être les arbitres des rois, et en toute occasion luttaient contre Louis XIV, attaquaient son orgueil et son gouvernement dans des pamphlets imprimés à Amsterdam, et contrariaient sa politique autant qu'ils le pouvaient.

Louis XIV résolut donc de venger sa grandeur outragée et d'en finir avec cette hautaine république, qu'il accusa d'être l'ennemi des monarchies.

Se rappelant les secours qu'avaient autrefois prêtés Henri IV et Louis XIII aux Provinces Unies, lorsqu'elles s'affranchissaient de la domination de l'Espagne :

"Mes pères ont su les élever, dit il ; je saurai les détruire."

Et tout se prépara pour atteindre cet important résultat avec une profondeur et une vigilance admirables.

Deux années furent employées à isoler la Hollande et à lui enlever l'Angleterre et la Suède, ses alliées.

La Suède promit une levée de seize mille hommes à la France, moyennant un subside de 500,000 livres ; pour l'Angleterre, ce fut la duchesse d'Orléans, Henriette, soeur de Charles II, qui se chargea d'obtenir le concours de son frère ; la jeune et belle princesse réussit complètement dans cette mission délicate, et, par un traité signé en 1670, le roi d'Angleterre livra véritablement sa couronne et sa politique à Louis XIV.

Durant ces négociations, le roi de France avait réuni cent dix mille hommes d'infanterie, douze mille cavaliers, bien disciplinés, régulièrement partagés en différents corps, approvisionnés de vivres, d'armes, de munitions ; on avait en caisse cinquante millions pour fournir aux frais de la guerre ; des magasins nombreux, des hôpitaux avaient été préparés sur la Meuse et sur le Rhin, et les plus habiles capitaines de ce temps devaient commander dans cette guerre.

Le 8 avril 1672, cette formidable armée, la première qu'on ait vue organisée avec tant d'ordre et de prévoyance, guidée par une pensée unique, dans un but précis, entra en campagne et pénétra dans les Pays Bas.

Le corps principal, fort de soixante mille hommes, était commandé par le roi et Turenne ; Condé dirigeait l'avant garde ; une troisième division avait le duc de Luxembourg pour général ; Vauban, qui accompagnait le roi, devait diriger les travaux de siège.

Les États Généraux de Hollande, consternés de ces immenses préparatifs, voulurent alors essayer de fléchir le roi, ils lui rappelèrent qu'ils étaient ses anciens et fidèles alliés, lui proposèrent une réparation s'il le désirait, et demandèrent vers qui marchait cette armée menaçante.

Louis XIV refusa tout accommodement, et répondit fièrement : qu'il ferait de ses troupes l'usage que demanderait sa dignité, dont il ne devait compte à personne.

Louis XIV partit de Saint Germain, qu'habitait encore la cour de France, le 28 avril 1672, pour aller se mettre à la tête de ses troupes.

On avait choisi le Rhin pour ligne d'attaque ; on entra dans les Pays Bas en longeant la Meuse : le duché de Juliers fut traversé, et à la fin du mois de mai l'armée française se trouvait en vue des places que la Hollande possédait sur le Rhin et qui lui servaient de barrière ; en quatre jours, du 3 au 7 Juin, elles tombèrent au pouvoir du roi de France.

En apprenant que cette première barrière avait été, si facilement emportée, le grand pensionnaire, Jean de Witt, s'écria avec désespoir "La république est perdue."

Maîtresse du Wesel, qui formait la principale défense du Rhin, l'armée française traversa le fleuve le 9 juin, évitant, par ce mouvement, de forcer le Whaal, large, profond, garni de forteresses sur tout son cours.

Enfin, le 11 juin, l'armée arriva sur le bas Rhin en face de Tolhuys, là même où elle devait exécuter, en présence du prince d'Orange, chef des troupes hollandaises, ce passage du Rhin, si célèbre dans les annales militaires du siècle de Louis XIV.

Le prince de Condé, qui devait surveiller le passage, faisait construire des ponts de bateaux, quand on lui indiqua plusieurs points du fleuve qui étaient guéables.

Aussitôt, sans attendre que les ponts fussent achevés, il se décida à lancer la cavalerie sur l'autre rive et à s'en emparer.

Louis XIV, prévenu en toute hâte de cette résolution, quitta son quartier général établi à Rees, et accourut avec dix mille chevaux pour assister au passage du Rhin.

Le 12 juin au matin, on établit deux batteries sur la rive dont on était maître ; et un premier corps de deux mille hommes, commandé par le comte de Guiche, s'élança dans les eaux du Rhin et les traversa moitié à gué, moitié à la nage.

Le général Wurtz, chargé par le prince d'Orange d'arrêter les Français , s'avança jusque dans le fleuve pour repousser les premiers escadrons.

Mais l'impétuosité de nos soldats l'emporta ; il fut ramené sur le rivage par cette vaillante noblesse qu'animait encore la présence de Louis XIV, et, avant qu'il pût se reformer, toute la cavalerie française était passée.

Tandis qu'elle traversait le fleuve, Condé la suivait dans un bateau avec le duc d'Enghien, son fils, et le duc de Longueville, son neveu.

Arrivé sur le bord, il s'avança vers les régiments hollandais, pendant que le comte de Guiche les enveloppait par derrière, et leur cria de mettre bas les armes.

Ce mouvement difficile se fût accompli presque sans combattre, sans l'imprudence des ducs de Longueville et d'Enghien : tous deux emportés par l'ardeur de la jeunesse, excités aussi par les chaleurs d'un repas de nuit, s'élancèrent sur les Hollandais et les attaquèrent brusquement ; ceux-ci répondirent à cette surprise par un feu meurtrier, le duc de Longueville paya de sa vie sa témérité. Alors le prince de Condé fondit sur les ennemis, les battit, les dispersa, et ne s'arrêta qu'après s'être rendu maître du rivage.

Le lendemain, les ponts étant terminés, le roi et toute l'armée passèrent le fleuve et pénétrèrent au centre de la Hollande.

 La nouvelle du passage du Rhin plongea les Hollandais dans une consternation profonde ; les États Généraux quittèrent La Haye pour se réfugier à Amsterdam, et bientôt ils furent  réduits à abaisser leur orgueil devant Louis XIV.

Toutes leurs propositions furent rejetées, toutes les villes des Provinces Unies furent prises avec une promptitude merveilleuses, et Amsterdam ne réussit à échapper à l'invasion qu'en rompant les digues et en se mettant sous la protection d'une inondation.

De nos jours on a considéré le passage du Rhin comme une opération militaire d'un ordre secondaire, mais alors on le célébra comme un exploit des plus glorieux ; et véritablement, comme l'a fait récemment remarquer M. Mignet en appréciant la guerre de 1672, s'il était moins héroïque qu'on ne le crut alors, il eut toute la valeur d'une grande victoire.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages