Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1674

 Combat de Senef.

La conquête rapide de la Hollande avait inspiré à l'Europe les mêmes craintes qu'excitait autrefois l'ambition de la maison d'Autriche, on redoutait la grandeur toujours croissante de la France ; et l'Allemagne tout entière, le Danemark, les Provinces Unies, l'Espagne s'étaient réunis contre Louis XIV.

De toutes les frontières on voyait s'avancer des armées ennemies ; Charles, obligé par le, parlement d'Angleterre de séparer sa cause de la nôtre, se tenait à l'écart : il ne nous restait plus que la Suède, dont la position lointaine annulait presque les efforts.

Dans cette situation difficile, le roi cependant ne s'effraya pas ; seul contre tous, selon la devise que lui avait faite Louvois, il se prépara avec une admirable activité à résister à tant d'efforts hostiles.

Louis XIV atteignait alors le degré supérieur de sa fortune : d'habiles ministres l'entouraient, le pays était riche, les ressources nombreuses, Turenne et Condé, commandaient encore les armées ; le grand roi, le prince heureux qui partout réussissait, était enfin dans tout l'éclat de sa puissance, et il pouvait voir presque sans alarmes cette menaçante coalition qui renfermait pour ainsi dire son royaume dans un cercle de fer.

D'abord il fit évacuer les provinces conquises dans le nord ; il sacrifia la possession de cinquante places pour reprendre la ligne de Dunkerque à Namur et ne conserva de toutes ses conquêtes que Maëstricht et Grave.

La France, ainsi repliée sur elle-même, appuyée sur ses frontières, attendit ses ennemis avec une courageuse confiance.

Tandis que Schomberg allait avec dix mille hommes dans le Roussillon pour s'opposer à l'invasion espagnole, les deux généraux qui avaient déjà tant élevé la gloire militaire du règne de Louis XIV, Turenne et Condé, marchèrent vers le nord et l'est afin de déjouer les efforts combinés des Impériaux et des Hollandais.

Turenne se rendit en Alsace, où il accomplit cette belle campagne de 1674, le chef d'oeuvre de son génie, qui dicta à Hénault cet éloge si juste de l'illustre général :

"Les succès de M. de Turenne ressemblaient à son caractère ; ils étaient solides et sans ostentation : ce n'étaient pas des batailles rangées, qui souvent ne font que du bruit sans produire aucun avantage ; c'étaient des combats utiles qui sauvaient son pays, et où la conduite du général ne mettait rien au hasard."

En même temps qu'il forçait les Allemands à repasser le Rhin et à abandonner Strasbourg, Condé s'arrachait aux loisirs de Chantilly et avec trente mille hommes faisait échouer en Flandre l'invasion du prince d'Orange par la sanglante journée de Senef.

Trop inférieur en forces pour prendre hardiment l'offensive contre son adversaire, Condé avec quarante mille hommes s'était établi entre Charleroy et Fontaine l'Évêque, dans une forte situation appuyée sur les rives de la Sambre et de la petite rivière du Picton.

Le prince d'Orange avec soixante mille hommes, cherchant à obtenir par une victoire le passage de la Sambre et l'entrée de la Champagne, avait offert le combat aux Français, sans avoir pu les attirer hors de leurs retranchements.

Enfin, après d'inutiles tentatives et n'osant les attaquer dans leurs positions, il se décida,  
le 11 août 1674, à opérer sa retraite sur Mons en suivant un chemin coupé de défilés où ses différents corps furent nécessairement divisés.

Lorsque Condé, le vit engagé dans ce passage difficile il se jeta à sa poursuite, atteignit dans les bois de Senef son arrière garde, séparée du reste de l'armée, et l'attaqua avec vigueur.

En moins d'une heure, et sans perte sensible, les Français avaient mis en complète déroute l'arrière garde du prince d'Orange, tué deux mille hommes, fait trois mille prisonniers et pris les bagages et les munitions de l'armée.

Au bruit de cette attaque imprévue, le prince d'Orange, qui commandait le centre, envoie à l'avant

Garde de l'ordre de rétrograder, revient lui-même sur ses pas en ralliant les fuyards et se retranche dans le village du Fay sur une hauteur fortifiée naturellement par des haies, des bois et un marais qui en défendaient l'approche.

Condé avait obtenu un succès brillant dont il pouvait se satisfaire ; mais il lui était plus facile de résister entièrement à son ardeur et de refuser le combat que de s'arrêter dans l'action : entraîné par son courage, échauffé par l'avantage qu'il venait de remporter, il veut enlever la position où les Hollandais s'étaient renfermés ; vainement ses officiers essaient de le retenir, il persiste dans sa résolution.

L'un d'eux, Fourilles, tente de calmer l'impétuosité de son attaque :

"Ce ne sont point des conseils que je vous demande, répond le prince avec une hauteur offensante qui lui était trop habituelle, mais de l'obéissance ; ce n'est pas d'aujourd'hui que je sais que vous aimez mieux raisonner que combattre."

Fourilles donna par sa mort un noble démenti à ces offensantes paroles.

Cependant Condé avait obstinément ramené au combat ses soldats déjà fatigués et les avait lancés sur le village occupé par le prince d'Orange.

Ce fut alors une suite d'engagements successifs, très meurtriers et complètement infructueux ; on se battit jusqu'à minuit sans que d'aucun côté on pût se prévaloir, d'un avantage marqué.

Condé montra une infatigable activité, un brillant courage ; à la tête de sa cavalerie, il conduisit lui-même plusieurs charges brillantes, s'exposant au milieu du feu comme un soldat, et dans la journée il eut trois chevaux tués sous lui.

Au plus fort de l'action, voyant à ses côtés un régiment d'infanterie faiblir, il descend de cheval, marche à la tête des soldats découragés et s'efforce de les retenir.

Mais la crainte l'emporte, et il demeure presque seul en face de l'ennemi ; néanmoins il ne recule pas. et comme autour de lui il entend crier

"Sauvez-vous, monseigneur ! courez, vous allez être pris ! On ne court pas avec mes mauvaises jambes ! dit-il avec calme en faisant allusion à la goutte qui le tourmentait."

Malgré la résistance opiniâtre du prince d'Orange, Condé ne se lassait pas ; incessamment il renouvelait ses attaques, et aux bataillons qu'abattait la mitraille il faisait succéder de nouvelles troupes.

L'engagement de Senef, qui avait commencé à dix heures du matin, se prolongea fort tard aux lueurs incertaines de la lune ; enfin, à minuit, la fatigue des soldats obligea les généraux de suspendre cette lutte.

Rien n'avait encore décidé à qui appartiendrait définitivement le succès de cette journée.

La position du prince d'Orange restait intacte, et le prince de Condé, n'avait pas reculé ; il n'avait même pas renoncé, après tant d'inutiles et coûteux efforts, à s'emparer du village dont son adversaire était maître :

"Le prince ordonna, dit La Fare, qui assista au combat de Senef, qu'on fit avancer des bataillons nouveaux et qu'on allât chercher du canon pour attaquer les ennemis à la pointe du jour.

Tous ceux qui entendirent cette proposition frémirent, et il parut visiblement qu'il n'y avait plus que lui qui eût envie de se battre.

Condé dut se résoudre alors à commander la retraite à ses soldats harassés, et, par un mouvement singulier, des deux côtés on abandonna simultanément le champ de bataille, ce gage habituel de la victoire.

 La journée n'avait été décisive ni pour la Hollande ni pour la France.

Si, cependant, l'honneur du champ de bataille ne resta ni au prince d'Orange ni au prince de Condé, celui-ci put après tout s'attribuer l'avantage de la campagne.

Le combat de Senef avait changé les plans du prince d'Orange : au lieu de forcer la frontière de la Champagne, d'envahir la France, Il recula vers Oudenarde, qu'il assiégea, et qu'encore Condé l'obligea d'abandonner.

Tout le succès de cette campagne, qui devait conduire les armées alliées à Paris, se borna à la prise de Grave par Guillaume.

Toutefois la fortune plus que le courage et l'intelligence lui fit faute ; le prince d'Orange, âgé seulement de vingt trois ans, montra dans la campagne de Flandre toutes les qualités d'un grand général ; et à Senef, si son mouvement de retraite compromit un instant son armée, il lui resta la gloire d'avoir habilement réparé sa faute et arrêté pendant toute une journée la fougue et l'entreprenant génie de Condé.

Senef fut le dernier éclat de cette belle existence militaire qui avait commencé à Rocroy ; après la campagne de Flandre le prince de Condé revint à Chantilly et ne quitta plus qu'une fois cette glorieuse retraite, afin d'aller réparer les désastres qu'avait amenés la mort de Turenne.

Alors il demeura éloigné de la cour, des champs de bataille, de ce monde d'agitations ambitieuses et de combats, pour attendre dans un noble repos la fin d'une vie dont tant de brillantes victoires avaient pour toujours assuré la renommée.

Le prince de Condé mourut en 1686, et sur cette tombe qui renfermait tant de gloire Bossuet laissa tomber les sublimes accents d'une éloquence qui retentit pour la dernière fois sur le cercueil du héros de Rocroy, de Fribourg, de Lens et de Senef.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages