Faits mémorables

de l'histoire de

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1683

 Bombardement d'Alger par Duquesne.

L'intelligente administration de Colbert, continuée par Seignelay, son fils, avait donné une marine à la France ; la pensée de Richelieu, abandonnée durant les troubles de la Fronde, était réalisée, et sur mer la puissance de Louis XIV n'était pas moins formidable que sur le continent.

En 1675, cent mille hommes montaient nos vaisseaux ; et nos flottes, commandées par d'habiles amiraux, obligeaient l'Angleterre et la Hollande à respecter le pavillon national.

Dans leurs efforts, les deux ministres furent puissamment secondés par le génie et l'intrépidité de Duquesne.

Ce célèbre marin, né en 1610, avait commencé sa brillante carrière sous le règne de Louis XIII, et il apporta aux projets d'organisation de Colbert l'appui de son expérience.

Ce fut lui véritablement qui le premier apprit à nos marins à vaincre et à combattre, ils se formèrent sous ses ordres dans ses luttes contre le célèbre amiral hollandais de Ruyter.

La dernière campagne de Duquesne, dirigée contre les États barbaresques de la côte d'Afrique, fut digne de cette glorieuse existence qui s'était successivement signalée par des succès à la Corogne, devant Tarragone et Messine, à Stromboli et à Catane.

Depuis 1663, Louis XIV essayait de réprimer les pirateries des corsaires algériens, qui infestaient les côtes de la Méditerranée, sans avoir obtenu d'avantages importants : entre Tunis et Alger, on avait voulu construire un fort afin qu'au besoin la France pût atteindre l'une des deux villes ; mais le lieutenant général de marine Paul avait été repoussé avant que le fort fût terminé et forcé d'abandonner la côte.

L'amiral duc de Beaufort avait remporté sur les corsaires algériens plusieurs victoires sans obtenir cependant de résultats décisifs, et, après de courtes trêves, les côtes de la Provence et du Languedoc éprouvaient de nouvelles violences.

Les traités conclus entre la régence et le roi de France étaient rompus aussitôt, et chaque jour les dangers de la Méditerranée, cette grande voie de l'ancien continent, s'accroissaient pour les navires français.

Enfin Louis XIV, que Gênes devait venir saluer à Versailles, à qui l'Espagne avait fait des soumissions, dont les armes étaient partout victorieuses en Europe, s'indigna de voir si longtemps son pouvoir bravé par ces insolents pirates, et il chargea Duquesne de leur infliger un châtiment exemplaire et de réprimer leur audace.

En 1682, le vieil amiral, alors âgé de soixante treize ans, accompagné, du jeune Bernard Renaud, qui venait de trouver l'application des mortiers à bombes aux vaisseaux, se présenta devant Alger avec douze vaisseaux de guerre et cinq galiotes à bombes.

Bientôt, malgré le feu soutenu des batteries algériennes, la flotte française incendiait Alger ; de toutes parts les bombes éclataient sur la résidence du dey.

Alors il proposa de négocier ; mais Duquesne s'y refusa, et poursuivit ses opérations jusqu'à ce que la saison des vents le força de ramener son escadre à Toulon.

L'année suivante le pavillon français flotta de nouveau devant Alger.

Les galiotes à bombes étaient plus nombreuses, encore mieux équipées et servies par un corps spécial de bombardiers ; dans la nuit du 26 au 27 juin le bombardement commença, et deux cent vingt deux bombes, lancées en moins de vingt-quatre heures, vinrent jeter le désordre et l'incendie dans Alger.

Le dey Hassan néanmoins voulait résister, mais la population désespérée exigea impérieusement la paix ; Duquesne ne voulut accorder qu'une trêve dont la première condition fut la remise à son bord de tous les esclaves chrétiens. 

Le terme de la suspension d'hostilités expiré , Hassan sollicita une prolongation qui fut accordée par l'amiral français.

Duquesne en même temps fit connaître à quel prix il signerait la paix ; il exigeait :

1.  la liberté de tous les esclaves ;

2.  une indemnité égale à la valeur des prises faites sur la France ;

3.  une ambassade solennelle envoyée au roi pour demander pardon des hostilités commises contre sa marine.

Ces rigoureuses conditions rendirent quelque énergie à Alger : on résolut de résister encore.

Un chef de parti, Hadji-Hassein, s'empara du commandement et se déclara contre la lâcheté du dey, qui avait consenti à traiter ; il le fit mettre à mort et fut proclamé à sa place par les janissaires.

Bientôt un drapeau rouge, arboré au sommet de la citadelle, annonça à Duquesne qu'il fallait combattre de nouveau, et les hostilités reprirent avec fureur.

Aux bombes que la flotte française envoyait à Alger les assiégés répondirent en attachant à la bouche de leurs canons le consul et les captifs français, dont les membres déchirés tombaient épars sur le pont de nos navires.

Mais leur résistance ne pouvait sauver les algériens, la ville était devenue le théâtre d'un immense incendie dont les terribles lueurs éclairaient la mer à deux lieues de distance : tous les édifices étaient en feu ; les principaux monuments, les magasins, les mosquées, les palais s'abîmaient avec fracas au milieu des flammes ; les blessés étaient sans refuge ; les forces et les munitions s'épuisaient, et Alger tout entier fût devenu une immense ruine si enfin les projectiles n'eussent manqué à Duquesne.

L'orgueil des pirates algériens était abattu, et au moment même où la flotte de Louis XIV regagnait la France ils envoyaient à Versailles Djiafar-Aga-Effendi pour demander pardon au roi, au nom du dey et du divan, des injures et des cruautés que les corsaires avaient si insolemment multipliées contre la marine française. 

La paix, cette fois, fut signée pour cent ans avec la stipulation d'un respect absolu pour toutes les possessions et pour les côtes de la France. 

Trois ans plus tard, Alger essayait encore de violer ce dernier traité ; mais l'amiral d'Estrées, renouvelant les désastres que Duquesne avait fait éprouver en 1683 aux États barbaresques, obligeait le dey à solliciter une paix nouvelle, qui fut signée le 27 septembre 1688 et dont les clauses furent fidèlement observées.

Après les triomphes qu'il avait obtenus devant Alger, Duquesne se décida au repos et résigna son commandement. 

Cependant il ne se croyait pas encore dégagé de toute obligation envers son pays, et malgré son âge il témoigna le désir de sortir de sa retraite pour retourner au combat : 

" Monsieur Duquesne, lui dit Louis XIV, un homme qui a servi aussi longtemps et aussi utilement que vous doit se reposer. 

Ceux qui vont commander dans la marine suivront vos leçons et vos exemples : et ce sera encore vous qui conduirez mes flottes."

La vie de Duquesne, couronnée par cette brillante expédition d'Alger. qui étonna l'Europe et qui fut pour ainsi dire l'heureux présage de cette oeuvre d'affranchissement maritime qu'il était réservé à la France d'accomplir en 1830, se termina à Paris le 2 février 1688. 

La révocation de l'édit de Nantes, qui frappa Duquesne dans ses croyances religieuses, troubla les dernières heures de cette noble existence. 

Tranquille sur sa propre destinée, que d'éminents services recommandaient au roi, il prévit les persécutions qui allaient atteindre ses coreligionnaires et sa famille. 

Déjà autrefois son attachement à la foi protestante l'avait empêché d'obtenir le bâton de maréchal  "Je voudrais bien, monsieur, lui avait dit Louis XIV, paraissant l'engager à l'abjuration, que vous ne m'empêchassiez pas de récompenser les services que vous m'avez rendus comme ils méritent de l'être ; mais vous êtes protestant et vous savez quelles sont mes intentions là-dessus."

 Duquesne préféra cependant sa foi aux honneurs et il répondit seulement au roi 

"Sire, quand j'ai combattu pour Votre Majesté je n'ai pas examiné si elle était d'une autre religion que moi."

Avec Colbert, Duquesne fut le créateur de cette courageuse marine qui devait tant illustrer le règne de Louis XIV. 

Autour de l'intrépide marin s'étaient formés par son exemple Tourville, son lieutenant, Duguay-Trouin, Forbin, d'Estrées, Jean Bart, et tant de marins qui portèrent sur toutes les mers le pavillon français. 

Ils se rappelèrent toujours ces fières paroles que Duquesne adressait au commandant d'une flotte anglaise qui lui ordonnait de se rendre . 

"Le pavillon français ne sera jamais déshonoré, tant que je l'aurai à ma garde, et la fierté anglaise pourra bien aujourd'hui céder à la valeur française ; " 

et ils surent conserver intact son glorieux héritage.

A la mort de Duquesne, ses fils, attachés comme leur père à la religion réformée, s'expatrièrent emportant avec eux à Aubonne en Suisse, où ils furent ensevelis, les restes de ce grand homme, pour lequel la France, qu'il avait élevée au premier rang des puissances maritimes, n'eut pas même un tombeau.