Faits mémorables |
||
|
de l'histoire de |
|
France. |
||
L. Michelant. |
Souverain : Louis XIV. |
Année : 1691 |
|
||
Jean Bart. |
||
Le nom de Jean Bart est un des plus populaires de notre histoire maritime. Ses
exploits si audacieux, son activité, sa parole nette et franche, sa
brusquerie même. et surtout cette haine passionnée, ardente, qu'il portait
à l'Angleterre, lui ont assuré une célébrité durable. Né
à Dunkerque, en face précisément des rives britanniques, à, quelques,
lieues de Douvres, à côté de Calais, qui éveille tant d'amers souvenirs
dans toute âme française, il s'anima de bonne heure de ces ressentiments,
de cette inimitié profonde qui, depuis tant de siècles, divisent les deux
nations. Ces
sentiments hostiles, déjà si vifs d'eux-mêmes, s'augmentèrent encore de
toute l'énergie de son caractère, s'aigrirent au milieu des combats, se
fortifièrent à la vue des pavillons anglais, devant ces croisières des
flottes anglaises et hollandaises qui éprouvèrent si souvent son intrépidité
et sa prudence. Jean
Bart enfin, et c'est là ce qui principalement a fait la renommée de ce
hardi corsaire, est l'expression la plus énergique des ardentes rivalités
de gloire et d'intérêt qui tant de fois armèrent notre marine contre
celle de l'Angleterre. Jean
Bart commença son éducation maritime en Hollande ; c'était la puissance
qui dominait l'Océan. Le
jeune marin y apprit le rude métier de la mer, et demeura sur les vaisseaux
de la république des Provinces Unies jusqu'au moment où la guerre éclata
entre elle et la France : alors s'ouvrit devant lui cette carrière qu'il
parcourut avec tant d'éclat. Fils
d'un pauvre pêcheur, les règlements de cette époque lui interdisaient le
grade d'officier dans la marine militaire ; il prit des lettres de marque,
et bientôt les flottes anglaises et hollandaises connurent son pavillon. Durant
trente années, l'obscur corsaire qui croisait incessamment dans la Manche
fut un des plus intrépides auxiliaires de la marine française. Rien
ne l'effrayait, et, quelque supérieurs que fussent les ennemis qu'il devait
combattre, il arborait le signal de la lutte. Un
jour qu'il accompagnait avec deux petites frégates un convoi de vingt
vaisseaux marchands, il rencontre deux forts navires anglais. Autour
de lui on s'alarme ; Forbin même, qui devait être son rival de gloire,
alors sous ses ordres, conseille de fuir. "Fuir
devant l'ennemi ! répond Jean Bart, jamais ! " Il
arme trois vaisseaux marchands, ordonne au reste du convoi de gagner le
large et tente l'abordage. La
fortune ne seconda pas son audace ; Forbin et lui furent faits prisonniers
et emmenés à Plymouth. Mais,
malgré l'active surveillance à laquelle il était soumis, Jean Bart s'échappa,
traversa la Manche sur une barque de pêcheur et revint à Dunkerque. Son
nom cependant grandissait ; les éclats multipliés de son audace
retentirent jusqu'à Versailles, et la loi du privilège céda devant sa réputation
: Jean Bart fut nommé capitaine de frégate. L'intrépide
marin ne quittait pas la mer, partout les vaisseaux ennemis le
rencontraient. Aucun
convoi n'échappait à sa surveillance. Toujours
en course, toujours combattant, il se multipliait par une infatigable
activité, trompant constamment les croisières anglaises. Lorsqu'on
le croyait renfermé dans Dunkerque, on apprenait qu'il venait d'obtenir un
succès nouveau. L'Angleterre,
n'espérant plus l'enlever ouvertement, bravement, dans une rencontre,
essaya de le surprendre par la trahison. Pendant
le blocus du port de Dunkerque, autorisé par M. de Pontchartrain à armer
une flottille de petits bâtiments Jean Bart avait réussi à franchir sain
et sauf les lignes des vaisseaux ennemis. Encouragé par ce succès, il s'était
lancé à toutes voiles dans la Manche, il y avait fait sur l'ennemi des
prises considérables, et les avait conduites dans le port neutre de Berghen
en Suède durant une expédition dirigée vers les côtes d'Écosse et
d'Angleterre. Après
être descendu à Newcastle et avoir dévasté les côtes d'Angleterre, il
était revenu à Berghen afin de réparer quelques avaries et de reprendre
le fruit de ses victoires. Un
jour qu'il était à terre, le capitaine d'un corsaire anglais l'aborde et
lui dit : "N'êtes-vous
pas Jean Bart ?" Oui,
répond celui-ci ; Eh bien ! il y a longtemps que je vous cherche, reprend
l'Anglais ; je veux avoir une affaire avec vous. J'accepte,
dit Jean Bart ; aussitôt mon navire réparé, nous irons nous battre en
pleine mer." Sur
le point de quitter Berghen pour ce duel naval, le corsaire anglais invite
Jean Bart à venir déjeuner à son bord. Celui-ci
refuse d'abord : Deux ennemis comme nous, dit-il, ne doivent plus se
parler qu'à coups de canon. Le
premier insiste, et Jean Bart, incapable de soupçonner une indigne déloyauté,
se rend enfin à l'invitation et monte avec confiance sur le navire anglais.
Le
déjeuner fut splendide, comme si le capitaine anglais eût voulu troubler
la raison de son convive ; mais, lorsqu'après ce repas Jean Bart veut
quitter le bord, son hôte lui déclare qu'ayant juré de le ramener mort ou
vif à Plymouth il est maintenant son prisonnier. "Ton prisonnier ! s'écrie Jean Bart indigné de tant de lâcheté, c'est ce que nous allons voir !, Et se tournant vers ses vaisseaux mouillés à peu de distance il fait retentir la rade de ces mots jetés d'une voix éclatante : A moi, mes braves ! à moi ! Dunkerque et Jean Bart !" Puis,
s'élançant sur une mèche allumée, il écarte d'un brusque mouvement les
hommes qui l'entourent, et, posant sa mèche au-dessus d'un baril de poudre
monté sur le tillac et séchant au soleil "Ton prisonnier, traître Anglais, continue-t-il, tient dans sa main ta vie et celle de ton équipage ; si un seul de tes hommes fait un pas vers moi, nous sautons tous ensemble !" A
cette menaçante résolution, l'équipage demeure immobile ; cependant les
marins français avaient entendu l'appel de leur chef ; ils mettent toutes
leurs chaloupes à la mer, abordent le corsaire, et s'en emparent sans que
l'équipage ose se défendre. C'est
après cette campagne brillante que Louis XIV voulut voir Jean Bart, qui fut
conduit à Versailles par le comte de Forbin. "Jean
Bart, lui dit le roi en l'apercevant au milieu des courtisans dans la grande
galerie du château, je viens de vous nommer chef d'escadre. Vous
avez bien fait, sire !, reprit le marin pour tout remercîment." On
s'étonnait autour de lui de cette réponse, qui paraissait présomptueuse. Louis
XIV l'expliqua autrement : "Vous n'avez pas compris Jean Bart ; sa réponse est, celle d'un homme qui sent ce qu'il vaut, et qui compte m'en donner de nouvelles preuves." Le
roi ne se trompait pas, et le chef d'escadre le prouva bientôt par de
nouvelles expéditions : la plus importante et l'une des dernières de sa
vie maritime fut celle qu'il accomplit pour assurer l'entrée d'un convoi de
blé, dirigé sur Dunkerque, Les
flottes anglaise et hollandaise gardaient alors strictement le port, Jean
Bart cependant tente le passage ; il joint à la hauteur du Texel l'amiral
Hitte. Celui-ci
s'était déjà emparé des navires chargés de blé pour la France, et
allait entrer dans les ports de la Hollande. Jean Bart n'avait que six
vaisseaux . son adversaire en commandait huit d'une force supérieure ; mais
il ne s'effraie pas du nombre "Mes
amis, dit-il à ses matelots, point de canons, point de fusils ; à
l'abordage ! " Il
reçoit le feu du vaisseau amiral, l'accroche, saute à son bord et engage
un combat acharné corps à corps ; il s'attaque lui-même à l'amiral, le
tue, d'un coup de pistolet dans la poitrine, et, après une lutte de
quelques heures, ramène en triomphe la flotte marchande à Dunkerque. Rendu
au repos par la paix de Riswick, conclue en 1698, Jean Bart mourut cinq ans
plus tard, le 27 avril 1702,.au moment où la guerre de la succession
d'Espagne lui fournissait l'occasion de nouveaux exploits. Jean Bart ne fut pas un homme d'un génie supérieur, peut-être
même eût-il été embarrassé d'un commandement trop étendu ; cependant
il a laissé dans l'histoire un souvenir considérable : il tient dans le siècle
de Louis XIV une place à part ; c'est l'homme des surprises, des coups de
mains ; c'est un esprit d'une surprenante audace, parfois d'une rare
prudence dans ses combinaisons ; enfin, dans sa guerre active contre les
Anglais, il représente merveilleusement le sentiment national, l'ardeur
française, la haine profonde mais constamment courageuse et loyale. On
se sent fier de ses paroles, de son intrépidité ; on aime à le voir
partout où éclate le danger porter notre pavillon et le faire triompher au
risque, de sa vie. Aussi, bien que d'autres aient pu l'emporter par une intelligence plus élevée, Jean Bart demeurera, et par la hardiesse de ses entreprises, et par l'énergie de son orgueil national, le nom le plus populaire de nos fastes maritimes. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages