Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XIV. |
Année : 1702 |
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Villars à la bataille de Friedlingen |
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De
tous les généraux qui avaient succédé à Condé et à Turenne dans le
commandement des aimées de Louis XIV, un seul, le maréchal de Villars, fut
véritablement digne de les remplacer. Instruit
à leur école, il avait fait ses premières armes à leurs côtés et avait
appris, sous les ordres de ces grands capitaines, l'art difficile de la
guerre. Vendôme
avait du feu au milieu de l'action, il trouvait parfois, dans les situations
décisives, des inspirations soudaines qui ramenaient la victoire sous ses
drapeaux à l'heure même où elle semblait les abandonner ; mais son caractère
indolent, sa passion pour le plaisir compromettaient souvent les résultats
de ses succès sur le champ de bataille. Catinat,
avec de nobles qualités personnelles, manquait également de cette vigueur
d'esprit, de cette sûreté de coup d'oeil , de cette décision qui font les
grands généraux. Villeroi, Marsin , Tallard , La Feuillade devaient leur
élévation plutôt à la faveur qu'à leurs talents militaires. Villars,
au contraire, obtint légitimement son commandement par son incontestable
supériorité et en gagnant des batailles. Son
infatigable activité était soutenue par une connaissance approfondie des
ressources et des difficultés de la guerre ; il savait tracer un plan de
campagne , diriger les mouvements d'une armée, prendre d'habiles
dispositions, et profiter des fautes de ses adversaires. Après
avoir suivi tour à tour Turenne, Condé, le maréchal de Créqui, dans
leurs brillantes campagnes, il avait surpris les secrets de leur génie et
conservé les fortes traditions de leur stratégie. Audacieux
à l'occasion, donnant dans le combat l'exemple du courage, il ne risquait
rien cependant par précipitation, et son ardeur naturelle était contenue
par une prudence, une circonspection extrêmes qu'il avait apprises dans
l'ambassade de Vienne, où il avait fait, en 1699, son éducation politique. Le
maréchal de Créqui, sous lequel Villars avait servi comme aide de camp,
avait prévu de bonne heure la fortune militaire réservée au jeune
officier. Envoyé
à l'armée d'Alsace , il montra, au combat de Kocksberg, à l'assaut de
Fribourg, à la prise de Kehl, une intrépidité, une résolution supérieures
a son age. A
Kocksberg, il jeta au loin sa cuirasse en disant : "Je
ne tiens pas ma vie plus précieuse que celle de mes braves soldats" ; et
il s'élança au plus fort de la mêlée. Durant
toute cette campagne, il se multiplia dans tous les services ; s'offrant
pour les occasions les plus périlleuses, exposant sa vie avec une valeur
parfois téméraire. Le
maréchal de Créqui, témoin de cette fougue qui ne s'effrayait d'aucun
obstacle, lui dit après la prise de Kehl, où le premier il était monté,
sur la brèche "Jeune
homme, si Dieu te laisse vivre, tu auras ma place plutôt que personne. Cependant
son avancement ne fut pas aussi rapide qu'auraient pu le faire présager les
bienveillantes paroles de Créqui ; les talents de Villars, la place qu'il
avait prise parmi les meilleurs officiers avaient excité à Versailles de
vives jalousies, des haines puissantes qui s'opposaient à ce qu'il obtînt
les récompenses qu'il méritait si légitimement. Presque
constamment à l'armée, il ne pouvait déjouer les intrigues formées
contre lui à Versailles ; et, tandis que la faveur accordait le bâton de
maréchal à Villeroi, qui connaissait mieux le métier de courtisan que
celui de soldat , Villars, qui déjà avait pris une part glorieuse à tant
de batailles, attendait vainement cette haute distinction. Incapable
de détours et de déguiser ses justes mécontentements, il se plaignit un
jour à Louis XIV de cette sorte de disgrâce. "Croyez
vous donc, lui dit le roi, que ces gens là puissent perdre un homme que je
connais aussi bien que vous ?" Hélas,
sire! reprit Villars, ces gens là ont le privilège de parler tous les
jours à votre majesté, tandis que les généraux jouissent à peine de cet
honneur une fois par an." Pour
toute réponse , Louis XIV le nomma lieutenant général et l'envoya sur le
Rhin aider de ses conseils le maréchal de Joyeuse vivement pressé par le
prince de Bade. Enfin,
cinq ans plus tard, en 1702, Villars gagna, sur le champ de bataille de
Friedlingen , ce bâton de maréchal qu'il s'indignait de voir refusé à
ses services. Il
fut de nouveau appelé sur le Rhin ; cette fois pour réparer les fautes de
Catinat, dont l'incertitude et la faiblesse avaient compromis le sort de la
campagne. Villars
avait présenté un plan qui fut adopté par le cabinet de Versailles, et on
le chargea de l'exécuter ; il avait alors quarante neuf ans, et c'était la
première fois qu'il commandait une armée en chef. Il
fallait dégager le prince de Bavière, allié de la France, surpris et
investi par l'armée impériale , et prouver aux alliés de Louis XIV que le
roi savait les protéger. Tandis
que d'un côté l'électeur de Bavière était pressé par les Autrichiens,
d'un autre point s'avançait une armée de vingt cinq mille hommes conduite
par le prince de Bade. Catinat
avait hésité à franchir le Rhin , Villars s'y résolut, passa le fleuve,
et assaillit l'ennemi près du château de Friedlingen. Malgré
un feu terrible d'artillerie et de mousqueterie, les troupes françaises
s'emparent avec audace des hauteurs de Tulick , dont la possession doit décider
du sort de la journée, et les Impériaux sont culbutés et précipités
dans la plaine. Mais
à cette heure de triomphe un moment de trouble faillit changer l'issue du
combat. Les soldats de Villars, entraînés par l'ardeur de la poursuite , avaient suivi leurs adversaires dans la plaine située au bas du fort de Friedlingen, lorsqu'ils se voient tout à coup entourés d'ennemis ; c'était la cavalerie du prince de Bade qui venait d'être enfoncée par celle de Villars ; nos régiments se croient, coupés du reste de l'armée , et un cri d'alarme retentit dans les bataillons français. Villars
s'aperçoit de ce désordre, de cette hésitation ; aussitôt il court à
ses soldats en s'écriant Vive le roi ! la victoire est à nous !
puis, saisissant un drapeau, il marche à la tête de l'infanterie et la ramène
à la victoire. D'une
voix unanime l'armée proclame son chef maréchal de France sur le champ de
bataille, et le roi en ratifiant ce choix , écrivit au général victorieux
"J'unis
ma voix à celle de mes braves soldats." Nommé
par le droit de la victoire, Villars s'acquitta bientôt envers le roi en
obtenant de nouveaux succès. Pendant
cinq ans encore il continua de commander sur le Rhin les armées de Louis
XIV, et, au moment où la France était frappée en Flandre par la funeste défaite
de Ramillies, il lui rendait quelque confiance par la prise des lignes
importantes de Stolhofen occupées par les Impériaux. Ces
lignes de défense, regardées comme imprenables, s'étendaient de
Philipsbourg à Stolhofen, et de là à angle droit jusqu'à la Forêt Noire
; trente mille hommes les défendaient et dominaient ainsi au-dessous de
Strasbourg toute la position du Rhin. Villars,
s'emparant alors de l'île de Neubourg, que son adversaire avait négligé
de fortifier, prépare un coup de main pour surprendre les formidables
redoutes qui couronnaient les hauteurs. Lorsque tous ses apprêts sont terminés, afin de dissimuler plus complètement ses projets il réunit ses officiers dans un bal brillant offert à la ville de Strasbourg ; et à l'approche du jour il les envoie se mettre à la tête des colonnes qu'il leur a destinées : une flottille, masquée par l'île de Neubourg, transporte les troupes au delà du Rhin, sur le front même des lignes de Stolhofen, et un corps de quatre mille hommes , se précipitant sur les redoutes ennemies , les emporte avec une audace et une rapidité que ne peut arrêter aucun péril ; en quelques instants les Impériaux, frappés d'une terreur .soudaine, abandonnent leurs positions et s'enfuient devant ces quatre mille hommes que Villars se disposait à soutenir, laissant à l'armée française canons, fusils, munitions , approvisionnements de toute nature. Villars,
poursuivant avec activité, toutes les conséquences de cet heureux coup de
fortune, se répandit dans le pays de Bade, le Wurtemberg, la Franconie , et
jeta la crainte jusque dans les bassins du Necker et du haut Danube. Il
songeait à s'établir dans ces provinces en occupant Ulm et Heilbronn,
lorsqu'il fut obligé de s'affaiblir pour envoyer des secours en Provence. Bientôt
l'arrivée de l'armée du duc de Hanovre, supérieure aux forces dont il
pouvait disposer, le contraignit de rétrograder et de repasser le Rhin,
mais ce ne fut pas sans remporter un immense butin et sans jeter le trouble
dans les opérations des armées de la coalition. Dans
les campagnes du Rhin, Villars s'était mesuré avec Marlborough sans désavantage.
Bientôt il allait se rencontrer dans une journée décisive, à Denain, avec le prince Eugène, contre lequel il n'avait jusqu'alors lutté que dans les conférences diplomatiques, et cette fois encore Villars devait voir la fortune couronner ses efforts et justifier la confiance que lui accorda la France dans une de ces solennelles circonstances où s'agitent sur le champ de bataille les destinées de toute une nation. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages