Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1703

 Vauban au siège de Brisach.

Louis XIV, voulant former le duc de Bourgogne à l'art difficile de la guerre, confia le jeune prince aux leçons de Vauban : nul mieux que lui n'était certes capable de remplir une pareille tâche et de continuer sur le champ de bataille l'éducation commencée par l'archevêque de Cambrai.

Depuis plus de cinquante années qu'il servait la France, on l'avait toujours vu réunir à une expérience profonde, à une calme valeur, une humanité éclairée ; au milieu des entraînements de la guerre il savait concilier les devoirs de son état avec les mouvements de son coeur.

Aussi Vauban, qui savait si bien vaincre, mais qui non plus n'ignorait pas de quel prix on achète la victoire, sembla surtout digne à Louis XIV de diriger la jeunesse de son petit fils.

Vauban, né en 1633, montra de bonne heure ses dispositions pour la guerre ; âgé à peine de dix huit ans, envieux des dangers que couraient ses frères tous militaires, il s'échappe, se rend à l'armée que commandait Condé et demande du service.

Unissant l'étude à l'action, dans l'intervalle de deux combats il travaille assidûment, réfléchit sur les diverses parties de l'art militaire, et se voue dès lors à ces recherches spéciales et sérieuses qui valurent à la France son plus célèbre ingénieur.

C'est à Clermont, durant les derniers troubles de la Fronde, qu'il appliqua pour la première fois ses connaissances sur l'art de la défense des places.

Peu de temps après devant Sainte Menehould il prouvait que le courage s'allie bien à la science, et qu'aucune des qualités qui font les grands militaires ne lui était étrangère : en face de l'ennemi, et pour atteindre plus rapidement la brèche, il s'élance dans la rivière, la traverse à la, nage et tente l'assaut malgré les balles qui sifflent autour de lui.

La réputation du jeune officier éveilla l'attention de Mazarin ; il voulut le voir, et encouragea les efforts de ce génie qui devait jeter tant d'éclat pendant le long règne du grand roi.

Alors, travaillant sans relâche, n'obtenant un résultat que pour en poursuivre un autre plus grand, recherchant constamment le progrès de cet art difficile, demandant à ses savantes combinaisons de garantir la vie des hommes autant que la durée des conquêtes, il créa la science des fortifications, l'établit sur des principes nouveaux et la soumit à des règles qui sont encore aujourd'hui les bases de cette partie de la science militaire.

En quelques années Vauban garnit de forteresses toute notre frontière, combina un plan général de défense du royaume et en assura la force par la disposition des places qu'il élevait, ouvrit des ports nouveaux sur nos côtes de l'Océan et de la Méditerranée, et conduisit de sa personne les siéges nombreux qui signalent les campagnes de cette époque.

Infatigable dans son activité, durant la guerre il accompagnait les armées, pendant la paix assurait les conquêtes par l'établissement de grands centres militaires , surveillait la réparation et la construction des places, les grands travaux d'utilité publique, et rédigeait en même temps la science qu'il créait.

Dans son Histoire du Corps du Génie, M. Allent a résumé ainsi les travaux de Vauban :

"Louis XIV fait construire trente trois places neuves et bâtir de nouveaux ouvrages dans trois cents forteresses, Vauban dirige ces immenses travaux.

Un meilleur relief, un tracé plus simple, des dehors plus vastes et mieux disposés, telles sont les seules modifications qu'il ait faites d'abord dans le système en usage.

Mais c'est dans les applications qu'il révèle une science peu connue jusqu'à lui, celle de tirer du sol même et des eaux une défense simple et peu coûteuse ; et cet art plus grand de coordonner les plans à la nature du terrain, à celle du pays, aux routes de terre et d'eau, aux opérations offensives et défensives des armées : en un mot, de donner aux États des frontières.

Enfin, au lit de la mort (1707), il dicte son Traité. de la. défense et montre tout ce que la prévoyance dans les approvisionnements des travaux additionnels et surtout un sage emploi de l'artillerie, des mines, des eaux et des troupes, peuvent ajouter de force et de valeur aux fortifications."

Louis XIV sentait vivement tout le prix de cette rare intelligence, et Colbert et Seignelay lui écrivaient en son nom au moment où il fortifiait les côtes de l'Océan.

"Vous allez augmenter la puissance du roi sur mer autant que vous l'avez fait sur terre en dirigeant tant de siéges et construisant tant de forteresses."

A ce témoignage, Louvois en ajoutait un nouveau, plus précieux peut être, lorsqu'il recommandait au maréchal d'Humières de veiller particulièrement à la conservation de Vauban :

"Vous savez, dit le ministre dans sa lettre, quel déplaisir auroit le roi s'il lui arrivoit accident."

Il est vrai que Vauban s'exposait sans ménagement quelque part que fût le péril, et il apportait aussi peu de soin à sa sûreté personnelle qu'il mettait d'attention à préserver la vie des soldats : sur ce point il résistait avec fermeté au roi, et soutenait hardiment son avis quelque opposition qu'il rencontrât en lui.

Au siège d'Ypres, Louis XIV voulait brusquer l'attaque au risque de compromettre l'armée :

"Vous gagnerez un jour, lui dit Vauban, mais vous perdrez mille hommes !"

 et l'impatience royale céda à la raison du savant ingénieur.

Ces nobles résistances, cette humanité jointe à tant d'expérience, à un courage plein de sang froid, cette intelligence supérieure que relevait une sincère modestie, donnent au caractère de Vauban une admirable renommée ; il rappelle les vertus de Turenne, et Fontenelle n'exagérait pas en écrivant

"C'étoit un Romain qu'il sembloit que le siècle de Louis XIV eût dérobé aux plus heureux temps de la république."

Lorsque Louis XIV demanda à Vauban de diriger le duc de Bourgogne dans sa première campagne, l'habile ingénieur avait déjà mérité la confiance du roi à un titre semblable , il avait conduit le siége de Philipsbourg, commandé par le dauphin au commencement de la campagne de 1689, et, grâce à ses savants conseils, la ville fortifiée par lui-même avait cédé à son attaque : après vingt deux jours de tranchée Philipsbourg s'était rendue, et Louis XIV avait ainsi remercié Vauban

"Vous savez, lui avait-il écrit, ce que je pense de vous et la confiance que j'ai en votre savoir et en votre affection ; si vous êtes aussi content de mon fils qu'il l'est de vous, je vous crois fort bien ensemble car il me paraît qu'il vous connoit et vous estime autant que moi. Je ne saurois finir sans vous recommander de vous conserver absolument pour le bien de mon service."

Au siége de Frankenthal, le dauphin, qui accompagnait encore Vauban, le pria de choisir quatre canons parmi ceux qu'il venait de conquérir, et sur chacun d'eux on unit ses armes à celles de la France.

Vauban venait d'être élevé au rang de maréchal de France, quand il fut choisi pour commander avec le duc de Bourgogne ; il se trouvait devant Brisach dans la même situation qu'à Philipsbourg, c'était lui encore qui avait autrefois construit cette place.

Comme il visitait, accompagné du petit fils de Louis XIV, ses travaux extérieurs de défense :

"Mon sieur le maréchal, lui dit le jeune prince, vous allez perdre votre honneur devant cette ville : ou nous la prendrons, et on dira que vous l'avez mal fortifiée ; ou nous échouerons, et l'on dira que vous m'avez mal secondé.

Monseigneur, répondit avec bienveillance Vauban, on sait comment j'ai fortifié Brisach ; mais l'on ignore et l'on saura bientôt comment vous prenez les places que j'ai fortifiées."

Vauban dirigea les opérations avec son habileté, ordinaire : en présence des obstacles élevés par sa propre science, il trouva des ressources inattendues ; et après treize jours d'attaques successives il pénétra dans Brisach, triomphant, pour ainsi dire, de lui même.

Le siége de Brisach fut le dernier que Vauban dirigea, et ce n'est pas, il nous semble, sans intérêt qu'on voit cet illustre général terminer sa carrière en même temps que le duc de Bourgogne, dont les qualités promettaient à la France un si heureux avenir, commence la sienne.

C'est un glorieux patronage , digne de ce jeune prince dont Fénelon avait par tant d'efforts dompté, la rebelle nature.

Vauban enseignant la guerre au duc de Bourgogne, le conduisant à l'ennemi pour la première fois, lui dévoilant, pour la gloire du pays sur lequel il semblait devoir régner un jour, les secrets de la science de la conquête, fournit une page touchante à l'histoire du siècle de Louis XIV.

Après tant de services, Vauban devait, sur ses derniers jours, subir la disgrâce et l'ingratitude du roi ; il mourut, en 1707, oublié de Louis XIV mais la France se souvint de son dévouement , et rendit à sa mémoire l'hommage qui lui appartenait ; le 26 mai 1808, les ministres de la guerre et de la marine, accompagnés de plusieurs maréchaux de France et du petit-fils de Vauban, se, rendaient à l'église des Invalides pour déposer le coeur de ce. grand citoyen en face du tombeau de Turenne.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages