Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XV. |
Année : 1715 |
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Le duc d'Orléans déclaré Régent. |
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Par
son testament Louis XIV avait remis la régence du royaume, durant la
minorité de son arrière petit fils, au duc d'Orléans, qu'à défaut de
lois positives la coutume appelait à ces hautes fonctions. Mais le vieux
roi avait entouré l'autorité qu'il laissait à son neveu de précautions
si multipliées, d'un contrôle si actif, si continuel ; il avait accordé
au duc du Maine une part si considérable dans le gouvernement, il lui avait
confié avec une sollicitude si défiante la personne du jeune roi, qu'il
semblait qu'il eût voulu garantir son successeur contre les ambitieuses
tentatives de son tuteur naturel. C'était
véritablement le duc du Maine, le fils légitimé de Louis XIV et de madame
de Montespan, qui allait régner ; il avait la tutelle, la garde, l'éducation
de Louis XV, ainsi que le commandement absolu de sa maison militaire. Il
faisait partie, avec le comte de Toulouse, son frère, du conseil de régence
composé de tous les ennemis du duc d'Orléans, à qui il ne restait qu'une
présidence nominale, un vain titre sans pouvoir réel. Le
duc d'Orléans ne pouvait accepter ces outrageantes dispositions surprises
à la faiblesse du roi mourant, par les intrigues de madame de Maintenon et
du duc du Maine. Louis
XIV lui même, selon Saint Simon, avait en quelque sorte désavoué ses suprêmes
volontés quand, dans l'épanchement de ses dernières heures, il disait à
la reine d'Angleterre que ce testament lui avait été extorqué, qu'il
avait fait ce qu'il ne voulait pas faire et ce qu'il ne croyait pas devoir
faire. Le
régent, qui eût préféré renoncer à cette apparence du pouvoir plutôt
que de se soumettre à l'humiliante situation que lui faisait la volonté
soupçonneuse du roi, en appela au parlement de la validité du testament de
Louis XIV. Le
duc d'Orléans avait pour lui la noblesse qui s'indignait d'obéir au duc du
Maine, dont la légitimation ne couvrait pas, à ses yeux, l'origine
coupable ; le parlement si durement contenu pendant soixante années, et qui
entrevoyait l'occasion de ressaisir son ancienne influence ; enfin ses
droits de prince du sang, la popularité que lui valait son courage, les
dehors brillants qui faisaient trop oublier ses vices. Aussitôt
que Louis XIV fut expiré, le duc d'Orléans. s'environnant de ses amis,
convoqua le parlement, la première autorité de l'État depuis qu'on avait
cessé de réunir les États Généraux, afin de soumettre à son
enregistrement les dernières dispositions du roi défunt. Cette
assemblée solennelle, à laquelle assistaient tous les grands noms de la
France, se réunit dès le lendemain de la mort du roi. La
magistrature, les pairs du royaume, les princes du sang siégeaient pour
prendre la résolution qui devait décider du gouvernement de l'État ; le régiment
des gardes commandé par le duc de Guiche, le régiment suisse entouraient
la salle des séances. Le
duc du Maine arriva le premier, plein d'espérances, se croyant déjà maître
du pouvoir : "l'air riant, satisfait, dit Saint Simon, partisan zélé du duc d'Orléans et l'un des plus actifs personnages de cette curieuse scène, surnageait à celui d'audace, de confiance, qui perçait néanmoins, et à la politesse qui semblait le combattre ; il saluait à droite et à gauche, et perçait chacun de ses regards." Bientôt
après entra le duc d'Orléans, calme, réservé, ferme et digne plus qu'il
n'en avait l'habitude. Enfin le testament de Louis XIV, ouvert par le
premier président, fut remis à un conseiller, qui en fit à haute voix la
lecture. A
chaque disposition de cet acte étrange, bien que M. de Mesmes, dévoué aux
intérêts du duc du Maine, s'écriât constamment : Écoutez, messieurs,
observez, c'est là notre loi ! la surprise et une sorte d'indignation
agitaient la plupart des assistants ; le codicille qui remettait la garde du
roi au duc du Maine excita un murmure d'improbation dont celui-ci se sentit
troublé, il pâlit et commença à douter de sa cause. Alors
le duc d'Orléans, se levant, réclama, en un discours bref, précis, contre
les dernières volontés de Louis XIV, attribuant hautement aux suggestions
qui avaient entouré sa mort les mesures qu'il avait prises ; enfin il
demanda l'entier exercice des pouvoirs de la régence, promettant au
parlement que l'autorité despotique de Louis XIV n'avait pas accoutumé à
tant de condescendance, de s'appuyer sur lui et de s'éclairer de ses avis :
"A quelque titre, dit il, que j'aie droit à la régence, j'ose vous assurer, messieurs, que je la mériterai par mon zèle pour le service du roi et par mon amour pour le bien public, surtout étant aidé par vos conseils et par vos sages remontrances." Le
duc du Maine essaya de répondre, mais il fut à peine écouté ; et le
parlement, sur les conclusion du procureur général Joly de Fleury, déclara
que le choix du conseil de régence serait attribué au duc d'Orléans avec
voix prépondérante. Après
cette première victoire, qui présageait au surplus l'issue de la lutte, la
séance fut suspendue pendant quelques heures, et reprise seulement à
quatre heures du soir pour décider si le codicille ajouté au testament
serait maintenu ; il donnait encore de singuliers privilèges au duc du
Maine, qui y fondait ses dernières espérances. Dans
le court intervalle qui sépara les résolutions de l'assemblée, les deux
adversaires avaient réuni leurs amis, excité leur zèle, et ils rentrèrent
pour se livrer un nouveau combat ; combat d'ambition et de puissance, où se
débattait la pensée de ce prince, si absolu dans ses ordres, de son vivant
si humblement obéi, dont on se vengeait en déchirant, dès le lendemain de
sa mort, le dernier acte de sa volonté. Le
codicille de Louis XIV fut annulé comme son testament. Le duc du Maine
essaya encore une fois de défendre la part d'autorité qui lui échappait ;
mais, l'audace lui manquait, sa voix était sans force, et sa pusillanimité
n'osait revendiquer ce qu'il avait obtenu au prix de tant d'intrigues. Tandis
qu'il parlait, les magistrats et, les pairs, tous d'une voix et comme en
tumulte, prononçaient l'entière abrogation du codicille. A
cette défaite la fierté du fils de Louis XIV se réveilla, il demanda, si
on lui ôtait l'autorité que lui avait conférée le roi mourant, qu'on le
déchargeât aussi de la garde du roi et de la responsabilité de sa
personne. "Très volontiers, monsieur, lui répondit le duc d'Orléans, il n'en faut pas davantage." Et
de ce pouvoir plus étendu que celui de la régence, qu'il devait à
l'aveugle tendresse de son père, il ne resta au duc du Maine que la
surintendance de l'éducation de Louis XV. L'arrêt
du parlement qui venait d'abroger le testament de Louis XIV fut accueilli
par les acclamations de la foule répandue aux entrées de la salle des séances,
et celle qui remplissait le palais et les rues environnantes y répondit
avec empressement. La
régence du duc d'Orléans commençait avec l'appui de la popularité
qu'excitait en sa faveur la haine du règne qui venait de finir. "Ce
règne de soixante douze ans, dit M. Théophile Lavallée dans une
remarquable appréciation des premiers jours de la régence, qui avait changé
l'ordre social sans fonder d'institutions nouvelles, qui avait annulé la
noblesse, la magistrature, le clergé, pour élever la bourgeoisie ; qui
avait eu en permanence des armées de deux cent mille hommes, sans finances
régulières, sans crédit ; ce règne qui avait éveillé partout l'esprit,
les lumières, la civilisation, en laissant le gouvernement au-dessous de la
nation, et qui finissait par des revers et des persécutions ; un tel règne
devait être suivi d'une époque de réaction : ce fut en effet le caractère
de la régence. Le
grand roi était à peine mort que tout ce qui avait fait opposition contre
lui se tourna avec espoir vers le duc d'Orléans." Le
12 septembre, Louis XV, âgé seulement de cinq ans, vint en personne,
accompagné du duc de Villeroi, son gouverneur, au parlement tenir un lit de
justice dans lequel fut solennellement enregistrée et publiée la déclaration
rendue en faveur du duc d'Orléans. Alors
commença la régence, ce règne de huit années durant lequel fut si complètement
méconnue toute la politique de Louis le Grand. L'orgueil
de la noblesse se ranima, elle se partagea les fonctions et le trésor de l'État
; les parlements reprirent leur influence et renouvelèrent cette opiniâtre
opposition qui devait être une des causes de la révolution ; tout ce
qu'avait comprimé, réduit au silence, la puissante main de Louis XIV,
lutta de nouveau contre la royauté ; et avec cette administration saluée
par tant d'applaudissements, à laquelle les qualités brillantes, l'esprit
pénétrant du régent promettaient de si heureux Jours, commença la décadence
de la royauté absolue, qui, sous le monarque précédent, après tant de siècles
d'efforts, avait atteint le terme le plus élevé de sa puissance et de sa
force. Tout
déchut entre les mains du duo d'Orléans ; sa faiblesse, ses moeurs déréglées,
ses excès, son aveugle confiance en d'indignes ministres avilirent au
dedans la dignité du pouvoir, détournèrent au dehors la France des voies
de la politique nationale, et préparèrent, par de funestes exemples,
l'immoralité hardie, l'opposition railleuse et sceptique du règne de Louis
XV. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages