Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XV.

Année :  1745

Bataille de Fontenoy.

A la mort de l'empereur d'Allemagne Charles VI, le cardinal Fleury, malgré sa politique prudente, timide même, s'était vu forcé de faire la guerre.

Toutes les ambitions avaient été excitées en Europe par l'ouverture de cette brillante succession ; et la France, quel que fût le parti pour lequel elle se décidât, devait légitimement prétendre exercer son influence au profit de l'un des compétiteurs.

Sa haine politique contre la maison d'Autriche ne lui permit pas d'hésiter ; c'était une occasion de l'abattre complètement, et elle se déclara contre Marie Thérèse en faveur de l'électeur de Bavière.

Une ligue formée entre la, France, l'Espagne et la Bavière se proposa le partage des États autrichiens ; les rois de Prusse, de Pologne et de Sardaigne y accédèrent, et la cause de la fille de l'empereur Charles VI, abandonnée de l'Europe entière, sembla perdue.

Le courage de Marie Thérèse et l'inhabileté de la plupart des généraux coalisés relevèrent la fortune de la maison d'Autriche, et donnèrent à cette guerre un cours tout différent.

En 1744 la coalition contre l'Autriche était dissoute, Marie Thérèse avait placé son époux sur le trône impérial, et la France se voyait obligée, pour obtenir la paix, de continuer seule la guerre contre l'Autriche et l'Angleterre réunies.

Après avoir longtemps combattu en Allemagne avec des chances diverses, les Français, désirant attaquer directement l'Angleterre, l'âme de cette guerre, avaient transporté, la lutte dans les Pays Bas.

Dès 1744, le maréchal de Saxe, l'un des meilleurs capitaines de ce temps, et dont les talents militaires eussent fait honneur aux plus brillantes époques du règne précédent, était entré dans la Flandre avec 40,000 hommes.

Au commencement de l'année 1745, son armée fut doublée ; et le roi Louis XV, accompagné du dauphin son fils, étant venu le rejoindre, on assiégea Tournai, place autrefois fortifiée par Vauban.

Aussitôt qu'il apprit ce mouvement, qui menaçait un point important de la ligne des Pays Bas, le duc de Cumberland, avec une armée composée de Hanovriens, d'Anglais et de Hollandais, s'avança contre le maréchal de Saxe, et tout se prépara pour une grande bataille.

Le roi de France ne commandait pas en personne, il est vrai, mais sa présence animait les soldats d'un singulier enthousiasme ; et lorsqu'il avait parcouru les rangs après que le maréchal de Saxe eut fait prendre position à ses troupes, il avait été, accueilli par des cris empressés de : 

Vive le roi ! Vive monseigneur le Dauphin !

Quand il eut pris place en arrière de Fontenoy, à l'entrée du champ de bataille, dans une situation qui cependant n'était pas sans péril, on donna le signal du combat, qui s'engagea le 10 mai 1745, à six heures du matin.

Les Français occupaient une vaste plaine triangulaire, à leur droite Ils étaient appuyés sur Antoing, sur Fontenoy à leur centre ; et à leur gauche, sur le bois de Barry.

Le maréchal de Saxe, quoique épuisé par une longue et dangereuse maladie, déployait une Infatigable activité : partout on le voyait excitant le courage de ses soldats, surveillant tous les mouvements, réparant le désordre des attaques ennemies.

Néanmoins, malgré cette vigilance inquiète, cette supériorité de vues, cette rapidité d'action qui caractérisaient le génie militaire du maréchal de Saxe, une manoeuvre habile et inattendue du duc de Cumberland faillit compromettre le succès de cette journée et renouveler les désastres qui avaient autrefois marqué nos luttes avec l'Angleterre.

Le duc de Cumberland ayant formé, avec une partie de son armée, une colonne compacte forte de 20,000 hommes, la fit pénétrer entre Fontenoy et Barry, sous le feu croisé, de l'artillerie.

Les deux premières lignes de l'infanterie française furent successivement rompues : la cavalerie essaya inutilement plusieurs charges ; la formidable colonne, recevant avec une admirable impassibilité les balles ennemies, avançait toujours d'un pas ferme et mesuré, gagnait constamment du terrain, et allait tourner à Antoing la droite de l'armée.

Le maréchal de Saxe désespérait de reprendre l'avantage, et il ne songeait déjà plus qu'à assurer la retraite de ses troupes, quand l'heureuse inspiration d'un officier français, du duc de Richelieu, vint subitement changer l'issue de la bataille de Fontenoy.

L'armée française était en déroute, il ne restait plus en réserve que la Maison du roi et quatre canons ; on pressait Louis XV de quitter le champ de bataille et de ne pas s'exposer davantage, lorsque le duc de Richelieu, qui était allé reconnaître la colonne anglaise, revint auprès du roi.

Quelle nouvelle ? lui crie-t-on ; quel est votre avis ?  Ma nouvelle, répond Richelieu, c'est que la bataille est gagnée si on le veut, et mon avis est qu'on fasse avancer quatre canons contre le front de la colonne pendant que la Maison du roi et les autres troupes l'entoureront ; il faut tomber sur elle comme des fourrageurs.

Cette ressource était extrême ; si elle trompait l'attente du duc de Richelieu, elle pouvait compromettre la sûreté du roi.

Autour de Louis XV les avis se croisaient, les courtisans trouvaient trop hardi le conseil qu'on lui donnait ; mais il ne se rendit point à ces timides appréhensions, et il autorisa le duc de Richelieu à faire exécuter la manoeuvre qu'il proposait.

En un instant les ordres ont circulé, les canons dirigés contre la colonne anglaise l'écrasent de leur mitraille, les soldats reprennent courage et l'exemple de la Maison du roi les ramène au combat ; la mêlée devient affreuse : les chevaux, ensanglantés jusqu'au poitrail, peuvent à peine avancer au milieu des cadavres qui s'amoncèlent dans la plaine.

Les troupes du duc de Cumberland, épuisées par l'effort qu'elles ont fait pour arriver au point où elles se trouvent, n'ont plus la force de résister aux Français et en une heure cette bataille, que la France regardait déjà comme une défaite, devient une de ses plus glorieuses victoires.

Vous voyez à quoi tient le sort des batailles dit à Louis XV le maréchal de Saxe quand il se rendit vers lui après la défaite des Anglais.

"Puis il ajouta en s'agenouillant Sire, j'ai assez vécu ; je ne souhaitais de vivre aujourd'hui que pour voir votre majesté victorieuse."

Le roi de France passa ensuite les régiments en revue pour leur témoigner sa satisfaction.

Les cris de victoire, les drapeaux percés de balles qui flottaient en l'air, le saluaient partout sur son passage ; les officiers s'embrassaient avec une joie qui éclatait sur leur front.

A ce moment on vint demander à Louis XV comment il voulait qu'on traitât les blessés Anglais :  "Comme les nôtres, répondit il avec une noble générosité ; ils ne sont plus nos ennemis."

Quand on put enfin parcourir le champ de bataille, Louis XV voulut calmer pour ainsi dire, par la vue cruelle qu'il offrait les enivrements du succès ; il visita avec le dauphin, dans la plaine même de Fontenoy, les victimes de cette journée, et le jeune prince put juger de quel terrible prix on paye une victoire.

Autour de lui les soldats mourants, étendus dans une boue sanglante, luttaient vainement contre la mort ; les uns brisés par la souffrance ne semblaient même pas s'apercevoir de la présence du roi, d'autres plus courageux ou plus forts trouvaient encore un reste de vie pour s'écrier :

"Vive le roi ! vive monseigneur le dauphin."

puis ils retombaient mourants, épuisés par ce dernier effort.

L'impression fut profonde sur le coeur du fils de Louis XV.

Le roi, s'apercevant de son émotion :

"Vous voyez, mon fils, lui dit il, ce qu'il en coûte à un prince pour remporter des victoires."

Le roi de France n'avait pas, on le voit, oublié les derniers avis que son aïeul lui adressait en mourant ; et bien qu'il ne combattit que pour imposer à ses ennemis de légitimes conditions de paix, il regrettait cependant ces dures extrémités de la guerre.

La bataille de Fontenoy fut une des plus brillantes journées du règne de Louis XV ; le roi, qui devait bientôt oublier dans les honteux plaisirs de Versailles les devoirs de la royauté, s'y montra avec ses plus brillantes qualités.

S'il déploya après l'affaire une touchante humanité, tant que le succès ne fut pas décidé, il sut contenir les émotions de son coeur et conserva une ferme intrépidité digne du petit fils de Louis XIV.

Pendant toute la durée du combat, il demeura paisible au milieu du danger ; un homme fut tué, à ses côtés par une balle anglaise sans qu'il en parût troublé.

Tandis que les troupes anglaises forçaient les rangs de notre infanterie, le maréchal de Saxe, s'attendant à une défaite, conjura le roi de se mettre à l'abri avec son fils ; ajoutant qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pont garantir la retraite :

"Oh ! je suis sûr qu'il fera ce qu'il faudra, répondit avec calme Louis XV, mais je resterai où je suis."

Et il n'avait cessé de dominer le champ de bataille et d'encourager ses soldats en partageant leurs dangers.

Les années suivantes la victoire, de Lawfeld, la prise de Berg-op-Zoom et de Maëstricht complétèrent les résultats de la bataille de Fontenoy et obligèrent enfin les ennemis de Louis XV à signer le traité d'Aix la Chapelle.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages