Faits mémorables |
||
|
de l'histoire de |
|
France. |
||
L. Michelant. |
Souverain : Louis XV. |
Année : 1746 |
|
||
Dupleix défend Pondichéry. |
||
Le
nom de Dupleix, qui se lie aux plus chers intérêts de la France, qui
rappelle d'importants et nombreux services, est demeuré presque inconnu. La
gloire a échappé à cet homme de génie, qui la méritait si bien ; et,
après avoir fait durant trente années retentir l'Asie du nom de la France,
ce grand citoyen n'a pas trouvé dans sa patrie un marbre ou un bronze qui
conservât son souvenir. Dupleix
cependant a tenté d'importantes entreprises dans l'Inde ; il avait rêvé
pour son pays ce vaste. empire dont l'Angleterre s'est depuis emparée, et
à cette difficile entreprise il consacra des talents supérieurs et une
immense fortune. Mais
alors Louis XV oubliait les devoirs de son rang dans les tristes loisirs de
Versailles, et son gouvernement ne répondit que par une honteuse inertie à
des efforts qui forment une des plus brillantes pages de notre histoire
coloniale. Dupleix,
après avoir vainement lutté contre l'abandon de la métropole ; après
avoir déployé dans les plus périlleuses circonstances une admirable
fermeté d'âme, dut renoncer à ses desseins et revenir, pour prix de son dévouement,
terminer dans la misère et dans l'obscurité une existence dont les
hardiesses avaient étonné et subjugué l'Inde. Fils
d'un fermier général du roi, autrefois directeur de la compagnie des Indes
orientales, Georges Dupleix, à peine âgé de vingt ans, fut nommé en 1720
conseiller du conseil supérieur de Pondichéry et commissaire
administrateur des guerres. Bientôt
on apprécia toutes les solides qualités d'esprit, l'étendue des vues, la
fermeté, de caractère de Dupleix, et on l'envoya comme gouverneur à
Chandernagor, afin de rendre quelque éclat à ce comptoir, dont la
situation était déplorable. Le
mandataire de la compagnie des Indes ne trompa point les espérances qu'il
avait fait concevoir, en dix ans son administration fit de Chandernagor une
de nos colonies les plus prospères ; deux mille maisons bâties en briques
remplacèrent de misérables habitations en bois ; le commerce de
Chandernagor s'étendit non seulement dans l'Inde, mais en Chine, dans tout
l'empire du Mogol et jusqu'en Tartarie ; enfin Dupleix, qui avait à peine
trouvé quelques bateaux à Chandernagor lorsqu'il y arriva en 1731, y
laissait en 1740, après neuf années d'administration, douze à quinze
vaisseaux qui faisaient journellement le service. Lorsque
le gouverneur général des colonies indiennes se retira on ne crut pas
pouvoir lui choisir un meilleur successeur que Dupleix, qui fut nommé
gouverneur de Pondichéry et commandant général des comptoirs de la
compagnie des Indes. C'est
alors que s'ouvrit devant lui cette brillante carrière qu'il devait
parcourir avec tant d'éclat. Il
s'était enrichi à Chandernagor : aussitôt qu'il arrive à Pondichéry, il
met sa fortune au service de la compagnie, il lui fait des envois d'argent,
équipe des vaisseaux, remplit les magasins et construit même des
fortifications ; puis, ces premières précautions prises, il jette son
regard sur l'Inde, sur les possessions françaises, et cherche dès lors par
quels moyens il peut conquérir à la France la souveraineté de la presqu'île
indienne. Jusque
là il avait montré seulement les talents d'un administrateur, maintenant
il va se placer au rang des hommes d'État. Persuadé
que la compagnie française ne pouvait avantageusement combattre l'influence
anglaise qu'en unissant la puissance territoriale à l'activité
commerciale, Dupleix s'applique à étendre les possessions
françaises et à s'assurer une souveraineté réelle sur les princes
indiens qui l'environnent. Les
rivalités d'ambition qu'excitait le partage de l'empire mogol, dont on se
disputait les débris, lui fournirent une favorable occasion d'exécuter ses
desseins. Il
noue des négociations avec les divers compétiteurs, intervient dans les
guerres que se livrent les chefs des provinces devenus indépendants sous
les noms de soubabs, nababs et rajahs ; en même temps il inquiète
l'Angleterre et tente de s'emparer de Madras, qu'elle occupe. L'heureuse
expédition de Labourdonnais, avec lequel on regrette de voir Dupleix en désaccord,
seconde son ambition, et la compagnie française s'établit à Madras. L'Angleterre
cependant s'inquiétait des progrès que la France faisait dans l'Inde ;
qu'un prince actif, éclairé, succédât à Louis XV, et elle pouvait
perdre à la fois son influence maritime et coloniale. Dupleix était
l'agent le plus influent de nos agrandissements ; elle dirigea contre lui
tous ses efforts, et, tandis qu'elle combattait sa politique auprès des
chefs indiens, elle envoyait une armée de huit mille hommes et une flotte
de soixante dix vaisseaux, sous les ordres de l'amiral Boscawen, reprendre
Madras et assiéger Pondichéry. La première partie de ce plan réussit, mais la fermeté de
Dupleix fit échouer l'autre. Le
30 août 1746 l'amiral anglais ouvrit la tranchée à cent soixante dix
toises de la place, et le gouverneur des Indes françaises se disposa à une
énergique résistance ; séparé par deux mille lieues de la métropole,
qui semblait l'avoir oublié, il sut trouver dans son génie toutes les
ressources dont il avait besoin, créa en quelque sorte ce qui lui manquait
et assura sa défense à force d'activité et d'intelligence. A
la fois ministre, capitaine, ingénieur, munitionnaire, il suffit à toutes
les nécessités, pourvut à tous les services, et dans cette périlleuse
situation enflamma et soutint le courage de ses troupes par son exemple. Après
quarante jours de tranchée, pendant lesquels il avait habilement profité
de toutes les fautes du général anglais et tenu les assiégeants en échec,
il les obligea à s'éloigner et à reconnaître la supériorité de la
France. Cette
défense hardie étendit la renommée de Dupleix dans toute l'Asie et accrut
encore son influence ; la paix d'Aix la Chapelle, conclue en 1748, en
suspendant momentanément les hostilités entre la France et l'Angleterre
permit au gouverneur de reprendre ses projets sur l'Inde Deux
rivaux prétendaient alors régner sur le Dekhan ; Dupleix cette fois prit
une résolution décisive, à tout prix il seconda l'un d'eux et fut assez
habile pour assurer son triomphe. A
ce moment la fortune de Dupleix et l'ascendant de la France atteignirent
leur plus brillant période : le vainqueur du Dekhan, favorisé par le
gouverneur français, reconnut solennellement à Pondichéry sa suzeraineté. Dupleix,
qui désirait frapper l'imagination orientale, déploya pour cette cérémonie
une magnificence que depuis on lui a injustement reprochée. Il
vint au-devant du chef auquel il avait accordé son appui monté sur un éléphant
et accompagné d'une suite nombreuse ; lorsque les deux alliés se rencontrèrent,
ils descendirent de leurs éléphants pour se serrer la main, et entrèrent
à Pondichéry dans un palanquin. Sur
la place principale on avait dressé une vaste tente, c'est là que Dupleix
proclama son protégé Mouzaferzing soubab du Dekhan ; ensuite, en face de
l'armée et du peuple qui les environne, au bruit de l'artillerie, des
cloches, des instruments de guerre, il lui fait prêter serment de fidélité
par les nababs et les chefs militaires. En retour de cette investiture, Mouzaferzing donne à la compagnie des Indes françaises deux cents lieues de côtes, et avant de se séparer, comme dernier témoignage d'amitié, les deux souverains, car le chef des colonies françaises en avait véritablement les droits et la puissance, échangent leurs armes. Les
plans de Dupleix se réalisaient, il dominait dans l'Inde ; le grand Mogol
lui avait accordé la royauté ou plutôt la nababie de Carnate, les soubabs
d'Arcate et du Dekhan le reconnaissaient comme leur protecteur et lui
payaient un tribut ; Karikal, Masulipatnam, s'étaient ajoutées aux vastes
accroissements du territoire de Pondichéry ; la France était maîtresse du
vaste empire indien où règne aujourd'hui l'Angleterre : son représentant
songeait à s'ouvrir une route vers Delhi, quand l'impardonnable insouciance
du cabinet de Versailles renversa cette puissance si péniblement élevée,
Dupleix sollicitait des renforts ; il les attendit vainement et il dut se
contenter des milices indiennes qu'il formait lui-même. Il
éprouva quelques défaites qu'agrandit bientôt le délaissement où il se
trouvait. L'Angleterre,
qui redoutait son activité, se plaignit amèrement du génie ambitieux d'un
homme qui voulait lui ravir la souveraineté de l'Asie ; la compagnie des
Indes enfin, pour laquelle Dupleix avait tant fait, abandonna à l'heure des
revers cet homme qui voulait conquérir des royaumes à des gens qui ne
demandaient que des dividendes, elle calomnia ses projets, qu'elle ne
comprenait pas, et obtint de la cour de France un ordre de rappel contre le
gouverneur des colonies de l'Inde. Dupleix,
tout en affirmant l'excellence de ses vues, se soumit, et quitta en versant
des larmes de douleur et d'orgueil cette conquête magnifique qu'il
abandonnait à l'Angleterre. Ce grand homme, qui avait fait la gloire du nom français au delà des mers, pour lequel on avait frappé des médailles, qui pendant trente ans avait commandé, à vingt millions d'hommes, mourut dans l'indigence après avoir inutilement réclamé à la compagnie des Indes plus de sept millions qu'il lui avait avancés. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages