Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XVI. |
Année : 1790 |
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Fédération. |
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La fête de la Fédération est une de ces rares et belles journées de la révolution, où les plus vives discussions se calmaient, où les passions les plus exaltées s'apaisaient un instant pour se confondre dans un sentiment commun : l'amour de la liberté et de la patrie. Au milieu des agitations, des haines de cette époque, c'est pour ainsi dire une heure de trêve entre les partis ; un moment ils se réunissent, ils se donnent la main et ne reconnaissent plus qu'un drapeau : celui de la France. Après une année de travaux, l'Assemblée nationale avait enfin donné une constitution au pays, la révolution avait jeté les premières bases du droit nouveau pour lequel elle combattait. La France rajeunie venait de recevoir une organisation qui pour toujours effaçait ces distinctions juridiques, ces divisions territoriales, ces barrières nombreuses qu'élevaient les coutumes provinciales et qui, jusqu'en 1789, apportèrent tant d'obstacles à l'oeuvre d'unité nationale qui avait été la tâche principale de la royauté, comme elle devait être la plus importante peut-être de la révolution. Ces grands changements accomplis, l'Assemblée nationale voulut les consacrer par une fête et réunir dans une même cérémonie, pour prêter serment à la constitution, le monarque et les sujets, le chef de la nation et tous ces citoyens qu'un décret venait de ramener au même rang, d'unir par un même nom, et dont elle avait resserré les liens en détruisant entre eux toute trace de conquête et d'origine étrangère. Le 14 juillet, jour anniversaire de la prise de la Bastille, la France fut convoquée à Paris dans une assemblée nationale, et tout se prépara pour cette grande solennité, l'une des plus imposantes de la révolution, la première où elle fut véritablement et publiquement reconnue, acceptée par le roi et la nation entière. Le vaste emplacement du Champ de Mars avait été choisi pour cette première fête de la liberté ; afin que la foule des citoyens appelés à la Fédération pût assister à la cérémonie, on résolut de transporter la terre du milieu sur les côtés de façon à former un Immense amphithéâtre qui pût contenir tous les spectateurs. Douze mille ouvriers avaient été réunis pour exécuter ces travaux, et cependant on craignait que les préparatifs ne fussent pas terminés pour le jour fixé ; alors tous les habitants de Paris, avec un enthousiasme et une ardeur admirables, viennent se joindre aux travailleurs, tous les citoyens se transforment en ouvriers et prennent part à ces pénibles terrassements. Ce fut un spectacle unique qui témoigne singulièrement quel intérêt, quelles sympathies inspiraient les principes nouveaux. Des hommes de tous les rangs, de toutes les conditions, des femmes des dernières classes à côté de femmes élégantes et parées, des enfants se rendent au Champ de Mars, s'emparent de la pelle, s'attellent aux brouettes, remuent et portent courageusement la terre ; une femme jeune et délicate aide de ses faibles efforts un robuste journalier : des gardes nationaux piochent, d'autres remplissent les brouettes ; les travaux se prolongent pendant la nuit, éclairés par des flambeaux que des enfants tiennent devant ces ouvriers improvisés. Le matin les différents quartiers, les diverses corporations, viennent, précédés de leurs bannières, sur lesquelles on lit : "Pour la patrie rien ne coûte : vivre libre ou mourir : les enfants de la liberté." Quand le canon qui annonce l'instant de la retraite a retenti, chacun regagne sa section, sa famille et son foyer. Des communes environnantes arrivaient chaque jour des cultivateurs conduits par leurs maires et leurs curés pour se mêler aux travailleurs du Champ de Mars ; c'était une ardeur de dévouement dont on ne peut rendre qu'imparfaitement les transports. Les travaux s'accomplissaient avec une surprenante rapidité, au milieu des chants patriotiques et de la joie populaire. Le 14 juillet 1790, le Champ de Mars présentait un admirable aspect. A l'une des extrémités s'élevait, devant l'École Militaire, la tribune royale, ornée de riches draperies bleu et or ; à l'autre extrémité, en face d'un pont de bateaux qu'on avait jeté sur la Seine, se dressait un arc de triomphe sur lequel on lisait : La patrie ou la loi peut seule nous armer, mourons pour la défendre et vivons pour l'aimer. Le roi d'un peuple libre est seul un roi puissant. Au centre de cette vaste enceinte un autel élevé de vingt cinq pieds, et auquel on montait par quatre larges escaliers, dominait tout le Champ de Mars. Sur les degrés couverts de drapeaux aux couleurs nationales se tenaient trois cents prêtres vêtus d'aubes blanches, ceints d'écharpes tricolores. Dans la matinée, les députés des départements, ceux des gardes nationales du royaume, les fédérés, s'étaient rendus au Champ de Mars, qu'ils remplissaient ; quatre cent mille citoyens couvraient les gradins de gazon élevés avec tant de zèle pour la cérémonie : les hauteurs de Passy et de Chaillot fermaient l'horizon par un magnifique amphithéâtre où se pressaient les spectateurs. La cérémonie commence ; l'évêque d'Autun monte à l'autel, et célèbre la messe qu'accompagnent des choeurs nombreux et les éclats solennels du canon : aussitôt après il bénit les drapeaux de l'armée et les quatre vingt trois bannières départementales, tandis que les glorieux accents du Te Deum retentissent dans l'espace. Alors La Fayette, ayant reçu de Louis XVI la formule du serment, paraît à l'autel suivi de son état major, et, au nom des milliers de citoyens qui l'entourent, répond à la lecture du serment : Je le jure ; et de toutes parts le peuple, formant de ses mille voix une seule et éclatante voix, répète : Je le jure. Les étendards s'agitent, les sabres étincellent, le canon se fait entendre de nouveau. A ce moment, où la France, représentée tout entière au Champ de Mars, accepte avec tant d'enthousiasme la révolution, les nuages qui jusqu'à cette heure avaient obscurci le ciel se dissipent, la pluie cesse et le soleil illumine de tous ses feux ce glorieux spectacle. Lorsque le calme s'est rétabli, tous les regards se dirigent vers la galerie où se trouve Louis XVI entouré de sa famille et de ses ministres. Le roi se lève, s'avance au-devant de la tribune royale, et étendant sa main vers le ciel "Moi, roi des Français, dit-il, je jure d'employer tout le pouvoir que m'a déIégué l'acte constitutionnel de l'Étal à Maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi." Des acclamations enthousiastes, des applaudissements qui se prolongent jusqu'aux derniers rangs, accueillent les paroles de Louis XVI, et redoublent quand la reine, cédant à l'entraînement général, élève dans ses bras le dauphin, son fils, et du haut du balcon où elle est placée le présente à la foule en s'écriant "Voilà mon fils, il se réunit ainsi que moi dans ces mêmes sentiments." Ce mouvement inattendu fut récompensé par les cris de : Vive le roi ! Vive la reine ! Vive le dauphin ! que le peuple mêlait à ceux de Vive la constitution ! Vive la liberté. Cette heureuse journée se termina par des fêtes auxquelles les sentiments de paix, de concorde qui animaient tous les coeurs, donnèrent un caractère de confiance de bonheur, qui ne se retrouva guère depuis dans les solennités populaires. Le soir, Paris fut rempli d'une joie calme et profonde à la fois ; toute cette immense population semblait ne former qu'une seule famille ; on circulait sans désordre, sans tumulte, dans les rues, sur les boulevards brillamment illuminés. Sous les hautes verdures des Champs Élysées, éclairés par des cordons de lumières, par des pyramides de feu, se pressait une foule qui jouissait paisiblement des fêtes, offertes à la cité par la municipalité de Paris. A l'autre extrémité de la ville, en face du faubourg Saint Antoine, on avait établi un bal, et à l'entrée on lisait : Ici l'on danse ; c'était à cette place même que l'année précédente, s'élevait encore la Bastille, cette sombre prison d'État dont la prise avait pour ainsi dire inauguré la révolution. La France crut un instant que la révolution s'accomplirait ainsi sans effort, que les haines étaient pour toujours apaisées, que les débats orageux avaient cessé et que tous les intérêts s'allaient paisiblement concilier ; mais cet accord ne dura qu'un jour, le réveil fut prompt, et dans la lutte on retrouva le même emportement, l'amertume haineuse, l'égoïsme implacable du passé. Enfin, la fête si touchante de la Fédération, a dit M. Thiers en racontant cette grande cérémonie, ne fut encore qu'une émotion passagère. Le lendemain les coeurs voulaient encore tout ce qu'ils avaient voulu la veille, et la guerre était recommencée. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages