Faits mémorables |
||
|
de l'histoire de |
|
France. |
||
L. Michelant. |
Souverain : Convention. |
Année : 1794 |
|
||
Dévouement du Vengeur. |
||
La France, menacée de toutes parts par l'Europe coalisée contre elle, ne se laissa cependant pas abattre ; elle comprit toute la grandeur des devoirs qu'elle avait à remplir, et, dans les circonstances les plus difficiles, elle sut conserver intacte son indépendance ; ce vif sentiment de nationalité, qui fut la goire la plus pure et la plus incontestée de la Révolution, inspira à ses enfants d'héroïques actions. A l'heure du danger on oubliait les divisions intérieures pour défendre l'intégrité du territoire, et chacun se dévouait à cette noble tâche avec un égal courage. Tandis qu'au premier appel nos jeunes soldats, ne demandant ni pain ni vêtements, exigeant à peine des armes, couraient à la frontière en répétant leur chant de victoire, la sublime résolution du Vengeur apprenait à nos ennemis que la France ne reculerait devant aucune extrémité, plutôt que d'abaisser son pavillon devant les drapeaux étrangers. Le 9 prairial an Il (28 mai I794), une flotte, partie de Brest pour aller protéger l'arrivée d'un convoi de vivres venu d'Amérique, rencontra l'escadre anglaise qui croisait devant nos côtes. On avait recommandé à l'amiral Villaret-Joyeuse d'éviter le combat ; mais quand les Anglais et les Français furent en présence, leur haine profonde, leur vieille rivalité, encore aigrie par les circonstances, éclatèrent si énergiquement qu'on fut obligé, de céder à l'impétueuse ardeur des soldats. Après s'être observés quelques jours, les deux amiraux donnèrent enfin le signal, et l'affaire s'engagea définitivement le 1er juin 1794. Bientôt les détonations de l'artillerie se mêlèrent aux chants révolutionnaires et au Rule Britannia, des deux côtés on combattit avec une intrépidité qu'excitaient tout à la fois le patriotisme et l'orgueil national. Sous le pavillon français, qui ne portait d'autres mots que la victoire ou la mort, on entendit de sublimes paroles, on vit d'admirables actions. Aux instances qui veulent l'arracher à une mort imminente, Bouvet répond : "Je serai content si ma mort est utile à la patrie ! " Malgré trois blessures le bras en écharpe, il s'élance, et son courage sauve un vaisseau sur le point d'être pris par l'amiral anglais. Lehyr tombe en s'écriant : "Courage, mes amis, vengez moi !" Bazire, Vignot, Hue, Cordier succombent sans se plaindre, ne songeant qu'à l'issue du combat. Mais un dévouement plus grand encore devait couronner cette journée ; le Vengeur, après avoir longtemps lutté contre des forces supérieures, se voit entièrement désemparé, et cependant, criblé de boulets, faisant eau de toutes parts, il persiste dans sa résistance et repousse à deux reprises l'ennemi qui tentait l'abordage. Tous ses efforts sont inutiles, il faut céder au nombre, il faut se rendre on mourir : le Vengeur ne se rendra pas, vainement le vaisseau s'enfonce lentement dans la mer, le courageux équipage n'hésite pas et attend avec calme le moment qui doit l'anéantir. Enfin, quand l'heure est venue, quand les canons arrivés à fleur d'eau sont près de disparaître, le Vengeur, avant de couler bas, envoie pour adieu une dernière et terrible bordée à ses ennemis ; puis les intrépides marins remontent sur le pont, fixent le drapeau aux trois couleurs pour l'ensevelir avec eux sous les flots, et les bras tendus vers le ciel, aux cris mille fois répétés de Vive la France ! Vive la liberté ! ils descendent lentement et comme en triomphe dans la mer qui devient leur glorieuse sépulture. L'eau frémit, bouillonne, et ces héros disparaissent pour toujours en léguant à la patrie un exemple sublime. Devant tant de grandeur, toute jalousie s'éteignit, toute rivalité se tut, l'éloge fut unanime ; en Angleterre comme en France on rendit hommage à cet invincible patriotisme. Paris accueillit avec enthousiasme la nouvelle de ce combat et de la courageuse action qui l'avait terminé ; le rapport qu'on en fit à la Convention fut souvent interrompu par les applaudissements de la salle et des tribunes ; sur tous les bancs retentissaient, comme les échos lointains des derniers accents du Vengeur, les mots de patrie, de liberté ; enfin, l'émotion qui se manifestait à chaque phrase de ce brûlant récit éclata avec transport au tableau suivant : "Tout à coup le tumulte du combat, l'effroi du danger, les cris de douleur des blessés cessent ; tous montent ou sont portés sur le pont ; toutes les flammes, tous les pavillons sont arborés... Un instant ils ont dû délibérer sur leur sort ; mais non, nos frères ne délibèrent pas... Ils voient l'Anglais et la patrie, ils aimeront mieux s'engloutir que de l'affliger par une capitulation ; ils ne balancent point, leurs derniers voeux sont pour la liberté, ils disparaissent. Un Panthéon s'élève au milieu de la commune centrale de la république, ajoute le rapporteur ; ce monument de la reconnaissance nationale est aperçu de toutes les frontières : qu'on l'aperçoive donc aussi du milieu de l'Océan. " Cette proposition, adoptée à l'unanimité, au bruit des acclamations de l'assemblée, fut convertie en un décret ainsi conçu : Article 1er Une forme du vaisseau de ligne "le Vengeur" sera suspendue à la voûte du Panthéon, et les noms des braves composant l'équipage de ce vaisseau seront inscrits sur la colonne du Panthéon. 2. A cet effet, les agents maritimes s'entendront, etc. 3. Le vaisseau à trois ponts qui est en construction dans le bassin couvert de Brest portera le nom du Vengeur. Dans cette circonstance solennelle, on réclama le concours des arts pour rendre au Vengeur un hommage durable. L'article 4 du décret disait : "La Convention nationale appelle les artistes peintres, sculpteurs, poètes, à concourir pour transmettre à la postérité le trait sublime de l'équipage du Vengeur. Il sera décerné des récompenses au poète, au peintre, au sculpteur, qui auront le plus dignement célébré la gloire de ces citoyens." Le pays s'associa au vote de ses représentants, et la France se crut justement le droit d'ajouter une page nouvelle à ses annales de gloire. Sans doute notre flotte, cruellement maltraitée, diminuée de six vaisseaux, regagna difficilement Brest ; mais l'escadre anglaise, sillonnée par nos boulets, encombrée de cadavres et de débris, se traînait péniblement vers ses ports, et pour nous, du moins, l'admirable dévouement du Vengeur couvrait notre retraite de tout l'éclat qu'une victoire nous aurait valu. Aussi le nom du Vengeur fut longtemps dans toutes les bouches ; les théâtres reproduisirent son héroïsme ; quelque rapide que fût alors la vie, quelque multiplies que fussent les événements, le décret de la Convention. s'accomplit aux applaudissements de la France. Le Panthéon conserva sur ses tables d'airain le souvenir de tous les noms de l'équipage. Un vaisseau, lancé des chantiers de Brest, reçut dans un noble baptême le nom du Vengeur ; et, par une singulière compensation, ce fut ce navire qui amena quelques années plus tard Sydney Smith prisonnier. Si la peinture, plus lente dans sa forme, ne reproduisit que longtemps après ce grand événement, la poésie, répondant à l'appel de la Convention, s'empressa de le célébrer dignement. Le dévouement du Vengeur inspira à Chénier cette strophe :
Lebrun, le poète lyrique, composa une ode remplie d'ardeur dont nous citerons quelques vers :
Quand on grave de si nobles paroles sur une tombe, quand la reconnaissance d'un grand peuple récompense ainsi le courage ; alors, on peut bien succomber, mais on ne meurt jamais. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages