Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :        Bonaparte.

Année :  1798

Bataille des Pyramides.

Lorsqu'après la signature de la paix de Campo Formio Bonaparte vint apporter à Paris les drapeaux enlevés aux armées de la coalition, l'accueil qu'il reçut put lui faire pressentir sa future grandeur.

Mais cependant l'heure n'était pas encore venue de réaliser les rêves de son ambition ; le pouvoir était livré aux désordres de toute nature, aux prétentions les plus mesquines, à des luttes sans force, ni patriotisme.

Bonaparte, trop grand pour se mêler à ces tristes intrigues, n'était pas encore assez fort pour les dominer ; toutefois, en voulant se tenir à l'écart des affaires, il redoutait l'oubli, et son infatigable activité ne pouvait se résigner au repos.

Ce fut alors qu'il proposa au directoire la conquête de l'Égypte.

Cette difficile entreprise, qu'il rêvait depuis deux ans, présentait, il est vrai, de sérieux obstacles, mais elle pouvait apporter à la France de précieux avantages si elle réussissait : la Méditerranée devenait un lac français, on fermait à l'Angleterre la route la plus sûre et la moins longue de ses possessions de l'Inde.

Bonaparte voyait plus loin encore : si la victoire donnait raison à son projet, il espérait aller atteindre, au sein même de sa puissance et de ses richesses, l'orgueilleuse dominatrice des mers, et la frapper dans ses opulents comptoirs de l'Inde.

Outre ces motifs puissants approuvés par la politique, cette terre lointaine, d'où était partie, la civilisation, avait pour l'imagination d'irrésistibles attraits.

"S'enfoncer dans les contrées de la lumière et de la gloire, où Alexandre et Mahomet ont vaincu et fondé des empires, y faire retentir son nom et le renvoyer en France répété par les échos de l'Asie, était pour lui une perspective enivrante,"

a dit M. Thiers en racontant la campagne d'Égypte.

C'était en effet là la secrète pensée de Bonaparte ; lui-même avait dit

"Les grands noms ne se font qu'en Orient"

et il y voulait agrandir encore la renommée du vainqueur de l'Italie.

Après avoir eu longtemps à combattre les irrésolutions du directoire, Bonaparte obtint enfin une armée pour conquérir l'Égypte et une flotte pour l'y conduire.

Curieux de tous les genres de gloire, il ne voulut pas que son expédition fût seulement une entreprise militaire, il songea à faire profiter les sciences et les arts des victoires qui allaient lui livrer l'Égypte.

Pour cette oeuvre de guerre et de civilisation, il réunit les meilleures troupes, les généraux les plus illustres, les savants les plus renommés : trente six mille hommes furent appelés de l'armée d'Italie ; il choisit pour lieutenants Desaix et Kléber, dont les noms le disputaient presque au sien en éclat ; enfin Monge, Berthollet, Fourier, Denon, Dolomieu, ses collègues de l'Institut, s'embarquèrent avec lui.

La flotte partit de Toulon le 19 mai 1798, s'empara le 10 juin de Malte, ce rocher réputé imprenable, et arriva en vue d'Alexandrie le 2 juillet suivant.

Jusqu'alors l'expédition française était parvenue à échapper à la flotte anglaise, qui croisait en tout sens dans la Méditerranée, incertaine du véritable but de cette expédition, dont les préparatifs considérables lui avaient révélé l'importance.

Au moment d'atteindre le rivage, on aperçoit une voile à l'horizon ; Bonaparte se crut un moment poursuivi par les vaisseaux anglais, et, croyant une lutte prématurée alors qu'il ne pouvait s'appuyer à aucun point de la côte, il désespéra un instant.

"Fortune, tu m'abandonnes, s'écria-t-il ; quoi ! pas seulement cinq jours ?"

Heureusement cette crainte était vaine ; la fortune restait fidèle à Bonaparte : c'était un navire français.

Bonaparte débarqua à quatre lieues d'Alexandrie, s'avança sur cette ville, l'emporta d'assaut et marcha sur le Caire, dont la possession devait assurer le succès de la campagne.

Après une route pénible à travers des sables brûlants, sous un ciel de feu, l'armée aperçut enfin, à la gauche au delà du Nil, les hauts minarets de la capitale de l'Égypte, et au loin resplendissantes sous l'ardeur du soleil les gigantesques pyramides de Giseh, témoins muets de tant de révolutions.

A ce spectacle, elle oublia sa fatigue, les privations qu'elle subissait, et partagea tout l'enthousiasme de son chef.

Les mamelucks, qui, au nom de la Turquie, dominaient en Égypte, placés entre le Nil et les Pyramides, s'apprêtaient à défendre l'entrée du Caire aux Français : d'un côté ces dix mille guerriers, dont les brillants costumes, les armes étincelaient d'or et d'acier, cette multitude d'Arabes rangée sous leurs ordres ; de l'autre l'armée française, qui d'instant en instant attendait le signal du combat, animaient d'un admirable mouvement ce magnifique tableau.

Avant d'engager la bataille, Bonaparte, le front rayonnant, le regard enflammé d'une inexprimable ardeur, parcourt les rangs de ses soldats ; et, leur désignant du geste les grands monuments qui se dressent au milieu du désert : 

"Songez, soldats, leur dit il, que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent !"

Puis il donna l'ordre d'avancer.

Chaque division formait un carré appuyé, à ses angles par l'artillerie, les bagages et les généraux se tenaient au centre. Dès les premiers mouvements des troupes françaises, les mamelucks s'élancent sur elle ; mais ils viennent constamment se briser contre ces murailles humaines dont le feu les décime.

Enfin, après avoir successivement essayé, de rompre les rangs de nos soldats, Mourad, qui commande les troupes égyptiennes, épuisé par ces attaques inutiles, se voit forcé de fuir vers la Haute Égypte et de gagner le désert.

Tandis que Desaix, Régnier et Dugua soutenaient vigoureusement le choc des mamelucks, la division Menou avait enlevé le camp d'Embabeh, adossé au Nil, et forcé. ses défenseurs de chercher une périlleuse retraite à travers les eaux du fleuve.

De toutes parts les ennemis avaient disparu ; Bonaparte restait maître du champ de bataille des Pyramides, et rien désormais ne l'empêchait d'entrer au Caire.

Dans leur défaite les mamelucks avaient perdu deux mille des leurs, quatre mille Arabes, cinquante canons et quatre cents chameaux.

Aussitôt après la victoire, Bonaparte s'occupa de consolider sa conquête ; et, dans cette tâche nouvelle, il déploya cette surprenante activité, ces vues profondes, cette vive intelligence qui caractérisent partout l'action de son pouvoir. L'Égypte fut traitée plutôt en pays allié qu'en pays ennemi ; protégeant avec soin les croyances religieuses, les traditions et les usages de ce peuple qu'il voulait unir intimement aux destinées de la France, Bonaparte, dans un célèbre ordre du jour à ses soldats, leur rappela avec énergie le respect qu'ils devaient aux moeurs, aux habitudes des mahométans, quelque différentes qu'elles fussent de celles de l'Occident.

Aussi la sagesse de ses mesures, sa bienveillante tolérance, sa politique prudente ne contribuèrent pas moins à assurer son autorité, que la rapidité et l'éclat de ses victoires.

Les Arabes, délivrés du joug pesant des mamelucks, considéraient, dans leur admiration fatale, Bonaparte comme l'envoyé de Dieu ; ils l'appelaient le favori d'Allah et de la victoire, et, à la suite de la bataille des Pyramides, on fit retentir le dôme de la mosquée du Caire d'un chant de litanie qui célébrait les exploits du vainqueur de l'Égypte :

"Le favori de la victoire, disait-il, à la tête des braves de l'Occident, a détruit l'infanterie et les chevaux des mamelucks."

Au milieu des devoirs de son administration et des soins multipliés de son commandement, le général de l'armée d'Égypte n'avait pas oublié les espérances que la science avait conçues de son expédition.

Quand son pouvoir fut régulièrement établi au Caire, Bonaparte s'occupa d'organiser une commission scientifique qui prit le nom d'Institut d'Égypte ; il lui assigna des revenus considérables pour accomplir ses travaux, et la plaça dans un des palais du Caire.

Monge eut la présidence de cette assemblée, dans laquelle Bonaparte ne voulut occuper que le second rang. Différentes commissions se partagèrent alors l'étude de l'Égypte, sous ses divers aspects historique, archéologique, agricole et géologique.

On commença une carte exacte du pays, le cours du Nil fut soigneusement étudié ; pour la première fois on visita Thèbes aux cent portes, Memphis, dont les ruines attestent encore la grandeur ; on pénétra dans les profondeurs des Pyramides, et on arracha à ces tombes royales les restes qu'elles conservaient depuis tant de siècles.

Bien que l'expédition d'Égypte n'ait pas eu toutes les conséquences qu'on désirait, cependant elle donna d'importants résultats.

La France, qui, cinq siècles auparavant, avait quitté cette terre en vaincue, remportant les restes inanimés de son roi, y était glorieusement rentrée par la victoire.

Elle avait ouvert à la politique et à la science des voies nouvelles, avait fait entrer l'Orient plus avant dans la sphère de l'activité européenne ; elle s'était enfin créé d'intéressantes relations et laissait après elle de nobles traditions de grandeur et de générosité, dont encore aujourd'hui le souvenir n'est pas effacé, sur les rivages du Nil.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages