Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Bonaparte. |
Année : 1800 |
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Passage des Alpes. |
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Durant l'expédition d'Égypte, la France, affaiblie par les luttes des partis , livrée à un gouvernement inhabile et sans force , avait perdu en Europe l'ascendant que lui avaient conquis Hoche et Bonaparte. A son retour, celui-ci trouva la frontière de nouveau menacée par la coalition ; et le premier consul, maître du pouvoir par le coup d'État du 18 brumaire, n'en recueillit que les périls et la lourde responsabilité. En présence de l'Europe liguée contre lui, Bonaparte semblait n'avoir pas d'autre ressource que la guerre ; mais, préférant affermir son autorité par la paix plutôt que par la conquête, avant de recourir aux armes il voulut tenter la voie des négociations. Ses efforts réussirent en partie. Il détacha d'abord la Russie de l'alliance étrangère par un procédé plein de grandeur et de générosité. Depuis les dernières campagnes de Brune en Hollande et de Masséna en Suisse, un grand nombre de Russes étaient restés prisonniers en France ; Bonaparte les réunit, les fit habiller chacun avec l'uniforme de son régiment, et les renvoya dans leur pays sans aucune proposition d'échange. Cette démarche désintéressée , supérieure aux calculs d'une politique étroite et haineuse, toucha profondément l'empereur Paul 1er , et, jusqu'à sa mort, il se sépara des ennemis de la France. Le premier consul obtint également la neutralité de la Prusse , qui décida celle de la Suède et du Danemark ; mais il échoua auprès de l'Autriche et de l'Angleterre. La première, fière de ses succès en Allemagne et en Italie, espérait pouvoir enfin triompher de la Révolution ; et quant à l'Angleterre, sa haine repoussait tout accommodement : il fallait qu'elle ou la France succombât dans la lutte. Bonaparte avait écrit directement au roi d'Angleterre , en l'invitant à mettre un terme à une guerre à laquelle était attaché le sort de toutes les nations civilisées ; on lui avait répondu par des conditions inacceptables, il dut se préparer à combattre. Une loi ordonna la levée de deux cent mille conscrits . on rappela trente mille vieux soldats , l'artillerie et le génie furent entièrement réorganisés , et les hostilités interrompues par l'hiver recommencèrent au mois d'avril 1800. Moreau, à la tête de l'armée du Rhin , fut chargé de garantir la frontière de l'est , menacée par le général Kray ; et toute l'attention de Bonaparte se concentra vers le midi, où la situation était surtout dangereuse. Cent vingt mille Autrichiens, sous les ordres de Mélas, avaient envahi l'Italie, les communications de l'armée française étaient coupées, et, tandis que Masséna se renfermait dans Gênes avec dix huit mille hommes Suchet, repoussé jusqu'à la frontière de Provence , se retirait derrière le Var. Ce fut alors que Bonaparte résolut de surprendre l'ennemi par une de ces marches hardies qui décident du sort d'une campagne. Mesurant du regard la route autrefois suivie par Annibal , il se décida à y faire passer les soldats de la République et à franchir les grandes Alpes pour descendre dans la Lombardie ; tandis que Mélas l'attendait dans les Alpes de Savoie : projet hardi que le succès pouvait seul justifier. Une armée de cinquante mille hommes avait été formée à Dijon, mais avec tant de mystère qu'à peine savait-on qu'elle existât. Les différents corps disséminés dans le Jura et la Savoie étaient pour ainsi dire cachés, prêts cependant à se rejoindre au premier ordre. Enfin, le 6 mai 1800, le premier consul quitte précipitamment Paris, arrive à Genève, où l'attendaient trente cinq mille hommes, et se trouve le 15 mai avec son armée au pied du mont Saint Bernard. Bonaparte avait agi avec sa promptitude ordinaire ; on ignorait encore son départ que déjà il s'engageait dans les défilés des Alpes. Toutes les difficultés avaient été prévues, toutes les dispositions prises pour que le mouvement s'opérât avec, rapidité. Le général Marescot avait été chargé de la reconnaissance du Saint Bernard ; au retour de cette mission Bonaparte lui dit : "Peut on passer ? Oui, cela est possible, répondit Marescot. Eh bien ! partons !" dit le premier consul ; et l'on se mit en marche. C'était la première fois que, depuis le passage d'Annibal par les grandes Alpes, on voyait une armée se frayer une route à travers ces rochers escarpés , ces glaces éternelles. Pour tenter avec le train considérable des armées modernes, avec de l'artillerie et un lourd matériel, cette voie qui avait semblé presque impossible aux soldats légèrement équipés de Carthage, il fallait l'heureuse audace du vainqueur d'Arcole et des Pyramides. Le 17 mai, trente cinq mille hommes abordent le grand Saint Bernard. Des mulets portent les affûts démontés et les munitions renfermées dans des sacs ; les pièces de canon sont placées dans des troncs d'arbres creusés à l'avance , cent soldats s'attellent à chacune d'elles et les montent jusqu'au haut du col. A chaque pas les obstacles se multiplient devant les soldats de la République dans ces chemins impraticables ; mais rien n'arrête la puissante volonté qui dirige l'expédition. Enfin l'armée, avec son artillerie et ses bagages, atteint les sommets des Alpes , et son courage s'anime à la vue de ces riches plaines de la Lombardie où la victoire l'attend. Après une halte de quelques heures, durant laquelle elles reçoivent l'hospitalité des religieux de l'hospice du mont Saint Bernard, nos troupes reprennent leur pénible marche et descendent avec plus de dangers encore les pentes rapides du Piémont ; les lignes infinies de soldats se développent au milieu de ces neiges éclatantes , sous lesquelles disparaissent tous les chemins ; les chants patriotiques éveillent les lointains échos des Alpes ; s'il se présente un obstacle , il est enlevé au pas de course comme une redoute ennemie : l'ardeur française éclate au milieu de ces précipices de glace comme sur le champ de bataille. L'armée, remplie de confiance dans le génie de son chef, semble pressentir la grandeur de ses desseins, et chacun veut y concourir de tous ses efforts. On était entré le 17 mai dans les défilés des Alpes ; le 18 , de son quartier général de Martigny, Bonaparte l'annonçait au ministre de la guerre par la lettre suivante. "Citoyen ministre , écrivait-il , je suis au pied des grandes Alpes , au milieu du Valais. Le grand Saint Bernard a offert bien des obstacles, qui ont été surmontés avec ce courage héroïque qui distingue les troupes françaises dans toutes les circonstances. Le tiers de l'artillerie est déjà en Italie , l'armée descend à force, Berthier est en Piémont : dans trois Jours tout sera passé." Le 22, cette grande manoeuvre stratégique , que devait couronner la glorieuse campagne d'Italie de 1800, était accomplie. Cependant , au moment d'atteindre la Lombardie , Bonaparte faillit échouer par la résistance inattendue du fort de Bard, qui commandait le seul chemin ouvert aux Français. Le moindre retard pouvait compromettre le succès de la campagne , en permettant à Mélas , avancé vers la Provence, de se replier sur Milan ; et toute l'armée se voyait arrêtée par une barrière inexpugnable , dont les canons plongeaient à bout portant sur la route qu'on devait suivre. On parvint cependant à faire passer l'infanterie et la cavalerie par des sentiers taillés à vif dans les rochers des montagnes d'Albaredo ; mais l'artillerie ne pouvait prendre cette voie : il fallait qu'elle traversât le chemin dominé par le fort de Bard. Alors Bonaparte, se fiant à sa fortune, recourt à un de ces audacieux moyens qui lui réussirent si souvent il fait couvrir la route de matelas et de fumier, on garnit de paille les roues des affûts , les caissons et les pièces sont enveloppés de feuillage, et, pendant la nuit, les munitions et l'artillerie passent à une demi portée de fusil sous les batteries mêmes du fort de Bard. Quand la garnison autrichienne voulut s'opposer à cette marche hardie, une partie du transport était déjà effectuée ; et les derniers convois reçurent sans s'émouvoir, sans se troubler, sans ralentir un instant leur pas, le feu des canons ennemis. Quelques jours après , Bonaparte , maître de la Lombardie , décrétait le rétablissement de la République Cisalpine, Le 2 juin, enfin, il entra à Milan , d'où il adressa à ses soldats une proclamation dans laquelle il leur présageait la victoire qu'ils allaient obtenir bientôt à Marengo. "Soldats , leur disait-il , vous rendrez la liberté et l'indépendance au peuple de Gênes ; il sera pour toujours délivré de ses éternels ennemis ! Aurait-on donc impunément violé le territoire français ? laisserez-vous retourner dans ses foyers l'armée qui a porté l'alarme dans vos familles ? Vous courrez aux armes ! Eh bien ! marchez à sa poursuite , opposez vous à sa retraite , arrachez-lui les lauriers dont elle s'est parée, et apprenez au monde que la malédiction est sur les insensés qui osent insulter le territoire du grand peuple. Le résultat de tous nos efforts sera : Gloire sans nuages et paix solide !" La gloire en effet accompagnait partout cette héroïque destinée, mais la paix devait lui manquer toujours pour affermir sa puissance. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages