Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1805

Bataille d'Austerlitz.

A peine Napoléon venait de ceindre la couronne impériale, qu'une nouvelle et formidable coalition éclata contre lui ; l'Europe, effrayée de la rapidité de cette fortune, des vues étendues, ambitieuses de puissance et de supériorité que le jeune empereur concevait pour la grande nation, redoutant l'accroissement continuel de la France et la haute influence qu'elle prenait sur les affaires du monde, l'Europe, encore une fois, tira son épée, espérant peut-être que les enivrements du pouvoir avaient affaibli le génie du vainqueur de l'Italie.

La Russie et l'Autriche, inspirées par la haine de l'Angleterre, payées par son or, s'unirent à elle et à la Suède pour combattre la France ; la Prusse avait seule, au commencement de la campagne. promis sa neutralité à Napoléon, mais au premier prétexte elle s'empressa de la rompre pour se joindre à nos ennemis.

L'empereur, en face de l'Europe en armes, ne se troubla cependant pas, il se sentait fort du dévouement et de la confiance du peuple rangé derrière lui ; il demanda la paix selon son habitude et se prépara à la guerre.

On mobilisa les gardes nationales, auxquelles on confia la défense des frontières ; le camp de Boulogne fut levé et les différents corps échelonnés sur les bords de l'Océan furent dirigés sur l'Allemagne, où bientôt commencèrent les opérations de cette mémorable campagne de 1805, l'une des plus brillantes dont nos fastes militaires aient conservé le souvenir.

L'empereur, sans hésiter, sans s'arrêter, avait dicté de suite au comte Daru, dans l'inspiration de la colère, son plan de campagne contre l'Autriche qui la première avait commencé l'attaque, et il le fit avec une telle précision, une telle rectitude de vue, que, sur une ligne de départ de deux cents lieues, a écrit M. de Norvins dans son Histoire de Napoléon, des lignes d'opération de trois cents lieues de longueur furent suivies d'après les indications primitives jour par jour, lieue par lieue, jusqu'à Munich.

Au delà de cette capitale les époques seules éprouvèrent quelque altération, mais les lieux furent atteints et l'ensemble du plan fut couronné d'un plein succès.

L'armée, composée de deux cent trente cinq mille combattants, partagée en sept corps placés sous les ordres de Bernadotte, Davoust, Ney, Soult, Lannes, Augereau, Marmont, avait passé le Rhin dans les premiers jours du mois de septembre 1805 ; le 1er octobre suivant, l'empereur la rejoignait et lui adressait ces prophétiques paroles :

"Soldats....déjà vous avez passé le Rhin... nous ne nous arrêterons plus que nous n'ayons assuré l'indépendance du corps germanique, secouru nos alliés et confondu l'orgueil de nos injustes agresseurs.

Quelques obstacles qu'on nous oppose, nous les vaincrons et nous ne prendrons pas de repos que nous n'ayons planté nos aigles sur le territoire de nos ennemis."

Tout s'accomplit selon les prévisions du grand capitaine : dès les premières marches l'armée autrichienne vit ses communications coupées par les Français ; le 14 octobre, Ney emportait, dans une affaire brillante, les hauteurs d'Elchingen ; le 20, Ulm capitulait et livrait à Napoléon tout un corps d'armée, soixante canons et quarante drapeaux ; enfin, le 15 novembre, Vienne, la capitale de l'Autriche, ouvrait ses portes à Napoléon et aux Français, tandis que l'empereur François Il allait se réfugier dans le camp d'Alexandre.

Ainsi, en moins de deux mois, l'un des chefs principaux de cette menaçante coalition n'avait plus ni empire ni couronne, et la France occupait militairement l'Autriche.

Néanmoins il restait à Napoléon un ennemi. un ennemi implacable, la Russie, qui refusait même de reconnaître en lui le souverain de la France ; l'empereur ne s'arrêta pas longtemps à Vienne, il s'engagea dans la Moravie et, à la fin de novembre, après de savantes manœuvres pour attirer l'ennemi sur les lieux où il avait décidé de combattre, il rencontra, dans la plaine d'Austerlitz, l'armée russe, à laquelle s'étaient réunis les débris des bataillons autrichiens.

Napoléon n'avait que soixante mille hommes à opposer aux quatre vingt dix mille soldats des deux empereurs ; mais ses mouvements étaient combinés avec tant d'habileté que la victoire était certaine.

Cette armée est à moi, s'écria-t-il avec une indicible joie en voyant ses adversaires, trompés par ses démonstrations, abandonner les positions qu'il voulait occuper ; et l'issue de cette belle journée prouva que sa confiance n'était pas téméraire.

L'armée russe, en obéissant à son insu aux volontés de Napoléon, était remplie d'une égale confiance ; elle croyait les Français découragés, en pleine retraite, et personne autour d'Alexandre ne doutait du succès, à l'instant même où on livrait pour ainsi dire à la France le gain de cette bataille.

Le 1er décembre, l'empereur adressa une proclamation à ses soldats ; et le soir, désirant s'assurer de l'effet qu'elle avait produit, il parcourut les bivouacs.

Bientôt il est reconnu, et l'armée tout entière, illuminant ses lignes de fanaux formés avec de la paille, fait à Napoléon une marche triomphale, heureux présage de la victoire qui se prépare ; des cris de joie accueillent partout son passage, le camp retentit d'acclamations ; un vieux grenadier même sort des rangs, et, s'adressant à l'empereur, lui dit :

"Sire, je te promets, au nom des grenadiers de l'armée, que tu n'auras à combattre que des yeux, et que nous t'amènerons demain les drapeaux et l'artillerie de l'armée russe, pour célébrer l'anniversaire de ton couronnement."

C'était en effet un an auparavant que, le même jour, le pape avait posé sur le front de l'homme des destins la couronne impériale.

Ému de tant d'amour et d'enthousiasme, maître de cette coalition qui avait espéré lui dicter des lois, l'empereur, sûr de la victoire, rentra dans sa baraque :

"Voilà, dit-il, la plus belle soirée de ma vie ; mais je regrette de penser que je perdrai demain tant de ces braves gens..."

Le lendemain le soleil se leva radieux sur ce glorieux anniversaire ; dès que les colonnes ennemies eurent opéré le mouvement qu'attendait l'empereur, il traverse au galop les rangs de ses troupes en s'écriant :

"Soldats, il faut finir cette campagne par un coup de tonnerre ! "

Puis, les masses s'ébranlèrent et l'action s'engagea ; l'armée tint la parole, qu'elle avait donnée : les troupes russes, si fières d'elles mêmes, écrasées et serrées par les divisions françaises, n'offrirent bientôt qu'une masse confuse et, désespérée.

Après quelques heures elles battaient en retraite, ou plutôt fuyaient en désordre devant nos régiments ; tout fut tué ou pris, un corps entier se perdit dans les marais, et vingt mille tués ou blessés, vingt mille prisonniers, deux cent soixante dix canons, quatre cents caissons restèrent en notre pouvoir comme les trophées de ce véritable combat de géants qui inaugurait si brillamment la période de l'empire.

Le plan de Napoléon avait si parfaitement réussi, que cette bataille ressembla à une grande parade où il aurait commandé les deux armées.

"J'ai livré trente batailles comme. Celle-ci, dit il, mais je n'en ai vu aucune où la victoire ait été si décidée et où les destins aient été si peu balancés."

Le jour même il remercia son armée dans une proclamation remplie de cette énergie qui caractérisait toutes les paroles de l'empereur

"Soldats, je suis content de vous ; vous avez justifié, à la journée d'Austerlitz, tout ce que j'attendais de votre intrépidité ; vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire... Mon peuple vous reverra avec joie ; et il vous suffira de dire . j'étais à la bataille d'Austerlitz, pour qu'on vous réponde : Voilà un brave."

L'empereur récompensa dignement le zèle et le courage qui l'avaient si bien secondé ; il distribua sur le champ de bataille aux plus braves des croix de la Légion d'Honneur ; il adopta les enfants des soldats qui avaient succombé, et tous furent élevés aux frais de l'État ; enfin, il accorda six mille francs de pension aux veuves des généraux, deux mille quatre cents à celles des colonels et majors, mille deux cents à celles des capitaines, huit cents à celle des lieutenants et deux cents francs aux veuves des soldats.

La troisième coalition était dissoute, la Prusse , qui se disposait à attaquer Napoléon, envoya humblement le féliciter de sa victoire d'Austerlitz ; tandis que le czar regagnait la Russie avec les restes de son armée, l'empereur François venait implorer dans son bivouac la clémence du vainqueur : dans cette entrevue on convint des bases principales de la paix, qui fut conclue à Presbourg le 10 décembre 1805.

Napoléon, maître de l'Europe, exigea des garanties : la Prusse et l'Autriche payèrent, au prix de l'intégrité de leur territoire, la coalition dans laquelle l'Angleterre les avait entraînées ; et si Alexandre put sauver une partie de ses troupes et rentrer en Russie, il ne le dut qu'à la générosité de l'empereur qui consentit à n'user pas, dans toute leur rigueur, des droits que lui avait donnés la journée d'Austerlitz.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages