Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Napoléon. |
Année : 1808 |
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Napoléon devant Madrid. |
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Napoléon , après deux années de victoires en Allemagne, apprit avec indignation la capitulation de Baylen, par laquelle un général français avait, en rase campagne, livré deux divisions à un ennemi mal équipé, mal discipliné ; dix huit mille hommes avaient déposé leurs armes et défilé honteusement devant l'armée espagnole. L'empereur était encore à Bordeaux, au retour de son voyage de Bayonne, où il avait fait reconnaître son frère Joseph pour roi des Espagnes, après l'abdication du fils de Charles IV, de Ferdinand, lorsqu'il reçut, le 1er août 1808, la nouvelle de la capitulation de Baylen. C'était le premier échec positif, considérable qu'éprouvaient les armes de Napoléon depuis qu'il combattait ; le général Dupont n'avait même pas conservé l'honneur d'une victoire incertaine à l'aigle impériale ; il avait rendu ses armes, abaissé ses drapeaux devant ceux de l'armée catholique. La défense héroïque de Saragosse, qu'on connut en même temps que la catastrophe de Baylen, donna la mesure des résistances que préparait l'Espagne ; Napoléon resta surpris de ce ferme courage, de ce soulèvement national : "Godoï et Murat, dit il, m'ont trompé, la nation espagnole montre une énergie à laquelle j'étais loin de m'attendre. J'eusse, mieux fait de déclarer franchement la guerre à son roi : j'aurais eu à combattre des troupes réglées, peu nombreuses, faciles à vaincre, difficiles à recruter ; tandis que si a lutte continue comme elle a commencé, avec des prédications, des croix et des bannières , les prêtres et les moines feront marcher contre mes armées jusqu'au dernier Espagnol." Il continua en toute hâte sa route vers Paris, et se disposa à lutter d'énergie avec l'Espagne. D'abord il se rendit à Erfurth, afin de s'assurer des dispositions pacifiques de l'empereur de Russie ; puis, pressant le retour de ces vaillantes brigades qui avaient triomphé de l'Allemagne et de la Russie à Iéna et à Friedland, il les dirigea vers les Pyrénées, où lui-même arriva au commencement du mois de novembre. Les hostilités reprirent aussitôt, et la victoire accompagna Napoléon sur les rives de l'Ebre et du Douro comme sur celles du Danube et de l'Elbe ; il suivit la route de Madrid, s'empara de Burgos, gagna les batailles d'Espinosa, de Tudela, de Somo Sierra, et arriva le 2 décembre, anniversaire de la bataille d'Austerlitz, sous les murs de la capitale de l'Espagne. Elle était livrée au plus complet désordre, les partis se méfiaient les uns des autres et prétendaient exclusivement diriger la défense : les plus prudents inclinaient à éviter un siége, ils demandaient que les portes fussent ouvertes ; mais les exaltés voulaient combattre l'empereur, repousser à tout prix les Français. Ce n'était plus en eux le courage, le patriotisme qui les animaient, c'était une fureur fanatique ; et un parlementaire envoyé par le maréchal Bessières, afin de sommer la ville de se rendre, n'échappa à la rage de la populace que par la protection des troupes réglées, qui le ramenèrent aux avant postes. La veille le marquis de Paralès, accusé d'avoir mis du sable dans les cartouches distribuées à la foule, avait été massacré. Madrid enfin, abandonnée à toutes les violences, sans autorité à qui l'on obéît, offrait au moment d'un siège le triste spectacle de la guerre civile. Cependant l'empereur avait investi Madrid, reconnu les différents points d'attaque et pris ses dispositions. Toutefois, désirant obtenir la soumission de la capitale de l'Espagne par un mouvement volontaire des habitants plutôt que par la force, il envoya au chef militaire une seconde sommation, à laquelle celui-ci répondit en réclamant un délai, sans faire pressentir sa résolution. Alors Napoléon, sans plus attendre, ordonna de commencer les premières démonstrations. Déjà, le général Maison s'était emparé du faubourg situé sur la route de France la résidence royale de Buen Retiro, où s'était fortifié le parti de la résistance, devint le théâtre d'une vive attaque ; l'artillerie y fit une brèche par laquelle s'élancèrent nos voltigeurs, qui culbutèrent rapidement la garnison. Maître de ce point important, qui domine toute la ville et l'entrée de la grande rue d'Alcala, Napoléon fit encore une tentative auprès des habitants avant d'ordonner un assaut général, dont il voulait épargner les horreurs à la capitale du royaume de son frère. Par son ordre le major général Berthier adressa une dernière et énergique sommation à Madrid : "Défendre Madrid, écrivait-il, est contraire aux principes de la guerre et inhumain pour les habitants. Sa Majesté m'autorise à vous envoyer une troisième sommation. Une artillerie immense est en batterie, des mineurs sont prêts à faire sauter les principaux édifices ; des colonnes sont à l'entrée des débouchés de la ville, dont quelques compagnies de voltigeurs se sont rendues maîtres : mais l'empereur, toujours généreux dans le cours de ses victoires, suspend l'attaque jusqu'à deux heures. Arborez un pavillon blanc avant deux heures, et envoyez des commissaires pour traiter de la reddition de la ville." Enfin , à cinq heures, un député de la ville, D. Bernardo Yriarte, et le général Morla, membre de la junte ou conseil militaire, vinrent demander une suspension d'armes, afin de laisser aux autorités le temps de disposer le peuple à la soumission. Le major général conduisit à l'empereur les deux commissaires. A la vue du général Morla, qui était intervenu dans la capitulation de Baylen et l'avait violée, Napoléon ne put contenir son indignation ; il s'exprima avec une vivacité, une sévérité qui ne lui étaient point habituelles. Comme les deux envoyés rejetaient sur l'irritation de la foule les excès commis en Espagne, à Madrid, depuis le commencement de la guerre : "C'est vainement, dit l'empereur avec l'accent de la colère, que vous mettez en avant le nom du peuple ; si vous ne pouvez réussir à calmer son irritation, c'est parce que vous l'avez excitée, parce que vous mêmes vous l'avez préparée par des mensonges... " Comment donc osez vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen ? Voilà comment l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en sont rendus coupables. Retournez à Madrid, je vous donne jusqu'à demain six heures du matin : revenez alors si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis ; sinon vous et vos troupes vous serez tous passés par les armes." Dans la nuit, les officiers généraux et les troupes espagnoles quittèrent Madrid avec seize pièces de canon ; leur départ enleva toute espérance aux habitants, et la capitale de l'Espagne ouvrit ses portes aux soldats de Napoléon le 4 décembre 1808. Pour l'empereur, il ne voulut point entrer dans Madrid ; et c'est à son quartier général , établi sur les hauteurs de Chamartin, à une lieue de la ville, qu'il reçut une députation, composée de plus de douze cents citoyens des différentes classes et corporations, qui vint lui présenter la soumission de Madrid. Le vainqueur la reçut avec bienveillance ; et dans cette entrevue il proclama hautement ses intentions sur l'Espagne, dont il voulait faire, par de libres institutions, une nation rajeunie et forte. Napoléon avait espéré que la reddition de Madrid entraînerait aisément celle des places révoltées contre la royauté de Joseph. Il allait continuer cette campagne, dont sa présence aurait décidé le succès, lorsqu'il apprit que l'Autriche, à peine remise des profondes blessures de la Campagne de 1805, armait contre lui. Aussitôt Napoléon dut abandonner l'Espagne pour se rendre en Allemagne, où l'appelaient de plus pressants intérêts ; et tandis que Joseph, son frère, entrait solennellement à Madrid le 22 janvier 1809, au milieu d'une pompe tout espagnole et salué des acclamations d'un peuple qui semblait sincèrement ramené à lui par la victoire, l'empereur partait en toute hâte de Valladolid pour courir au glorieux champ de bataille de Wagram. S'il fût resté en Espagne, cette guerre, qui porta à la puissance impériale le premier coup, qui entraîna sa chute en partie, se fût sans doute plus heureusement terminée et selon les vues de Napoléon. Mais son absence rendit le courage aux espagnols : ils firent une guerre de rochers, de buissons, d'embuscades, à laquelle nos soldats ne purent résister ; l'Angleterre mêla ses intrigues à ces ressentiments, et de ce moment tout accord devint impossible entre la France et l'Espagne. Mais, si cette entreprise fut coupable dans ses moyens, si Napoléon trompa la dynastie espagnole avec une déloyauté qui surprend en lui, si pour la première fois il se joua des traités et de sa parole, le but qu'il poursuivait était honorable, généreux, d'une saine politique : c'était l'union, avec un respect réciproque de leur indépendance, des deux peuples que séparent les Pyrénées. Ce que Louis XIV avait obtenu autant par l'habileté diplomatique que par la guerre, Napoléon voulut l'enlever par la violence et ce fut son tort ; mais, dans sa pensée, il songeait à réaliser pour la France impériale la parole du grand roi: Il n'y a plus de Pyrénées. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages