Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1814

Adieux de Fontainebleau.

Tout ce que peuvent le génie et l'intrépidité, Napoléon l'avait tenté.

Obligé de céder la route de Paris à l'invasion étrangère, il avait habilement modifié son plan de campagne ; et, si la trahison ne fût pas venue à leur secours, dit un écrivain anglais, les alliés se trouvaient dans un cercle vicieux d'où il leur était impossible de se tirer : elle fut consommée au moment où les succès de Napoléon semblaient hors du pouvoir de la fortune ; et le mouvement de Saint Dizier, qui devait lui, assurer l'empire, lui fit perdre la couronne. Appelé à Paris pour diriger les efforts des troupes qui défendaient les hauteurs de Chaumont, de Belleville, de Montmartre ; au moment d'atteindre sa capitale, il apprend que Paris vient de capituler.

L'empereur alors envoie le duc de Vicence afin d'intervenir en son nom dans le traité qui va se conclure.

Pendant toute une nuit d'attente, Napoléon, protégé seulement par l'obscurité, voit s'allumer à ses pieds, dans la vaste plaine qui s'étend des fontaines de Juvisy à Charenton, les feux des bivouacs ennemis.

Enfin, à quatre heures du matin, il reçoit un courrier qui lui annonce que la capitulation définitive a été signée sans lui à deux heures du matin : aussitôt il monte dans sa voiture et se rend à Fontainebleau, qu'il ne devait plus quitter que pour l'exil.

Dès cet instant, bien que Napoléon n'eût pas encore abdiqué, les défections se multiplient autour de lui avec une désolante rapidité ; le sénat, si longtemps servile, retrouve quelque énergie pour l'abandonner ; ses lieutenants, ses maréchaux, tous ces grands dignitaires dont il a fait la fortune, le délaissent avec une honteuse audace ; Berthier, qui devait tant à Napoléon, s'enfuit des premiers vers Paris, en se faisant précéder de sa soumission, sans même dire adieu à son bienfaiteur.

En même temps Marmont vendait son corps d'armée,  et trahissait l'homme qui l'avait élevé si haut ; la convention conclue par le duc de Raguse brisa l'âme de Napoléon :

L'ingrat ! s'écria-t-il, il sera plus malheureux que moi !

Cependant, tous ne fuient pas devant le malheur : les soldats sont toujours dévoués, les revers n'ont pas ébranlé leur fidélité ; un mot de leur général, ils retournent au combat.

Napoléon, en réunissant les divers corps, peut encore former une armée de cent vingt mille hommes et disputer sa couronne aux alliés, non pas en partisan, mais en souverain.

Au midi le maréchal Soult défend Toulouse et traite au nom de l'empereur Napoléon.

Au nord le général Maison lutte victorieusement contre soixante mille hommes.

Un officier qui arrive de la Haute Loire dit à Napoléon l'enthousiasme des troupes et de la population, et le sollicite de rallier les armées du midi :

"Non, lui répond l'empereur, il est trop tard ; ce ne serait plus à présent qu'une guerre civile, et rien ne pourrait m'y décider."

Et avec tant d'espérances de succès, maître de sa situation, il signe la formule d'abdication dont les souverains alliés, François, son beau père, Alexandre, autrefois si fier de l'amitié du grand homme, font la condition absolue de la paix :

Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses enfants aux trônes de France et d'Italie ; et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de sa vie., qu'il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France.

Après cette renonciation, qui anéantissait non seulement ses droits personnels, mais encore ceux de son fils, de cet enfant couronné roi à sa naissance et salué des acclamations de l'Europe entière, Napoléon fut pris d'un découragement profond ; pour la première fois cette âme, inflexible devant tant de revers, se sentit impuissante sous le fardeau dont on l'accablait.

Un instant Napoléon voulut quitter la vie : dans la nuit du 12 au 13 avril, les longues galeries du château de Fontainebleau furent troublées d'un mouvement soudain ; les appartements intérieurs s'éclairèrent ; les valets de chambre et les garçons de service accoururent ; le maréchal Bertrand, le duc de Vicence, le duc de Bassano montèrent chez l'empereur et furent introduits dans sa chambre à coucher.

La cause de cette agitation resta d'abord inconnue ; plus tard seulement on sut, d'après un récit dont l'exactitude et l'impartialité n'ont pas été contestées, que Napoléon avait pris une forte dose d'opium que depuis la campagne de Russie il portait constamment sur lui.

Sa forte constitution résista à l'action du poison ; après une nuit de souffrances, les symptômes mortels disparurent, il fut sauvé, soit que la dose de poison fût trop insuffisante, soit que le temps en eût diminué l'action.

Après cette passagère faiblesse, qui vint en quelque sorte prouver que le génie lui-même n'échappe pas aux angoisses humaines, Napoléon reprit toute son énergie :

"Dieu ne le veut pas !, s'écria t il "

et, avec une calme fermeté, il attendit sa destinée.. :

Les souverains alliés, maîtres de Paris et gardés par deux armées, dont les avant-postes cernaient Fontainebleau, redoutaient encore l'homme que l'Europe avait non pas vaincu, mais pour ainsi dire étouffé sous son poids.

Ce nom, qui seul valait une armée, retentissait incessamment à leurs oreilles ; au moindre mouvement, il leur semblait que l'empereur allait sortir triomphant de Fontainebleau et rentrer dans sa capitale.

Dès que le traité du 11 avril 1814, qui stipulait sur le sort de Bonaparte et de sa famille, fut ratifié, le souverain déchu reçut l'ordre d'abandonner la France.

Le 20 avril 1814, à une heure, Napoléon, accompagné de quelques fidèles officiers, parut au haut de l'escalier d'honneur dans la grande cour du palais de Fontainebleau.

A son aspect les tambours battirent aux champs, on présenta les armes ; on lui rendit avec un respect encore plus profond tous les Honneurs qu'il eût reçus aux Tuileries lorsqu'il y commandait en maître.

Pour ces soldats dévoués, malgré sa défaite, malgré, l'abdication cet homme était toujours l'empereur, le chef qui les avait conduits à Arcole, à Marengo, à Austerlitz, à Wagram, à la Moskowa, partout enfin où il y avait eu de la gloire à acquérir.

Napoléon descendit J'escalier, s'avança vers la garde, fit signe qu'il voulait parler, et alors il adressa à ses soldats auxquels l'unissaient vingt années de victoires ces touchants adieux dont éternellement l'histoire gardera le souvenir

"Soldats de ma vieille garde, dit Napoléon, dont les paroles retentissent dans un silence religieux, je vous fais mes adieux !

Depuis vingt ans je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire.

Dans ces derniers temps, comme dans ceux de ma prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de fidélité.

Toutes les puissances de l'Europe se sont armées contre moi, quelques uns de mes généraux ont trahi leur devoir, et la France elle-même a voulu d'autres destinées.

Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue ; mais la guerre eût été interminable.

C'eût été la guerre civile, et la France eût été malheureuse ; j'ai donc sacrifié tous nos intérêts à ceux de notre chère patrie : je pars.

Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée, il sera toujours l'objet de mes voeux ! Ne plaignez pas mon sort. Si j'ai consenti à me survivre, c'est pour servir encore à votre gloire ; je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble. Adieu, mes enfants ; je voudrais vous presser tous sur mon coeur, que j'embrasse au moins votre drapeau !"

Le général Petit s'approche alors, Napoléon le serre dans ses bras ; puis, saisissant l'immortel étendard de la garde, il baise avec émotion le drapeau tricolore, déjà proscrit en France.

La douleur qui troublait le coeur de tous ces soldats, des sanglots étouffés interrompent seuls le silence de cette scène d'une grandeur si naturelle.

Enfin Napoléon sur monte son émotion :

"Ha, chère aigle ! puisse le baiser que je te donne retentir dans la postérité ! ... Adieu encore une fois, mes vieux compagnons ! que ce dernier baiser passe dans vos cœurs !"

Il s'arrache aux serviteurs, on peut dire aux amis qui l'entourent, s'élance dans la voiture où l'attend déjà le général Bertrand, et part pour l'île d'Elbe, que les souverains alliés lui avaient désignée comme résidence.

L'empire, cette époque resplendissante de tant de gloire était fini ; l'Europe avait enfin triomphé de l'homme des destins, du héros de l'histoire moderne, dont les grandes actions rappellent invinciblement à la mémoire Alexandre, César, Charlemagne : le représentant de la révolution parmi les royautés européennes, le souverain qui avait rempli le monde du bruit de son nom et de celui de la France, à peine gardé par une faible escorte, traversait en prisonnier cette contrée où tout s'agitait naguère à son moindre geste, et marchait vers l'exil.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages