Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Théodoric III |
Année : 687 |
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La Bataille de Testry.
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La bataille de
Testry, l'une des plus importantes de notre histoire, fut I'issue de la.
grande lutte de l'Austrasie contre la Neustrie. Le débat
d'abord tout personnel avait pris à la longue, et surtout depuis que
l'autorité royale s'était
effacée devant celle des maires du palais, le caractère d'une véritable
haine nationale. A mesure que
les Neustriens se mêlaient davantage aux populations gallo-romaines et
adoptaient la civilisation des vaincus, les différences de moeurs s'étaient
accrues entre eux et leurs adversaires. Les
Austrasiens, voisins du Rhin, étendus sur ses rives, conservaient les
traditions germaniques, la fière indépendance, la sauvage liberté de
leurs pères ; ils ne voyaient pas sans quelque dédain les Neustriens,
entraînés à toutes les coutumes et à tous les vices de la société
romaine, perdre pour ainsi dire leur supériorité de conquérants et se
confondre avec ceux qu'ils avaient autrefois soumis. Farouches,
belliqueux, fortement unis, appuyés encore à la terre nationale, les
Austrasiens s'attribuaient exclusivement le nom de Francs et donnaient
avec mépris celui
de Romains aux Neustriens. A
cette cause principale, qui avait divisé en deux peuples la même race,
s'ajoutait la situation politique également différente dans l'une et
dans l'autre contrée. Sous la
domination des rois neustriens, les plus directs
héritiers de Clovis l'influence
des leudes, des grands propriétaires, des chefs principaux s'était
lentement affaiblie, et avait cédé au pouvoir royal : en Austrasie, au
contraire, l'aristocratie était demeurée forte. supérieure à tout
pouvoir, maîtresse dans l'État : à la soumettre
Brunehaut avait succombé et Pépin d'Héristal. le maire du palais
d'Austrasie, petit fils de Pépin
le Vieux par sa mère, de saint Arnould par son père, lui qui tenait
aux plus illustres familles, qui avait pu faire disparaître de Metz
jusqu'au vain fantôme de la royauté, Pépin d'Héristal n'était
puissant que par l'appui des leudes, dont il fut le représentant. Tant
d'éléments divers dans les habitudes et dans l'organisation
avaient créé d'inconciliables
oppositions, un profond dissentiment, qui avec la soumission des Francs de
l'ouest aux Francs de l'est, amena la ruine de la race mérovingienne, et
plaça sur le trône une dynastie nouvelle. C'est à Testry que ces principes ennemis se rencontrèrent ; c'est là que se décida la question, et que triompha avec l'Austrasie la famille d'où Charlemagne devait sortir. Pépin d'Héristal
était alors seul maître en Austrasie
; en Neustrie régnait Théodoric III ou plutôt le maire du palais :
Berthaire car déjà les Mérovingiens ne comptaient plus guère dans
l'histoire que par leur nom. Berthaire
continuait la pensée d'Ébroïn ; il combattait victorieusement
l'influence des leudes et les obligeait à se soumettre ou à quitter la
Neustrie : cette persécution active fut l'occasion de la guerre entre
les deux contrées. Les fugitifs s'étaient
liés avec Pépin et
l'excitaient à armer contre Berthaire ; la cause des leudes était en
Austrasie une cause favorable, Pépin d'Héristal l'embrassa avec ardeur
: il demanda à Berthaire qu'il rendît leurs biens aux chefs exilés
de la Neustrie et qu'il les rappelât ; le maire du palais de Neustrie répondit
avec orgueil qu'il les irait chercher en Austrasie. Pépin,
ayant alors réuni les leudes et les auxiliaires d'outre-Rhin, les
tribus germaniques marche vers la Neustrie
; il s'avance jusqu'à une forêt située sur la limite des deux
pays, assemble encore une fois les chefs austrasiens, leur expose ses intentions et demande leur avis : ceux-ci l'applaudissent à la fois du bruit de leurs armes
et de leurs acclamations ;
puis l'armée, après avoir invoqué le secours de Dieu, entre dans le
Vermandois jusqu'à un lieu nommé Testry, à peu de distance de
Saint-Quentin. De son côté,
à la nouvelle de cette invasion, Théodoric ou plutôt Berthaire forme
une armée et vient au-devant des Austrasiens. Pépin, en présence
de ses adversaires, envoie demander au roi de Neustrie le rappel des
leudes dont il avait pris le
parti : il est de nouveau refusé et se dispose à combattre. Dans cette
circonstance décisive le maire d'Austrasie apporta une prudence et une
habileté remarquables ; jusqu'au dernier instant il voulut conserver
l'apparence du droit, et lorsqu'il fallut en venir à un engagement, il
mit dans ses dispositions une intelligence supérieure à celle que les
Francs montraient habituellement dans leurs rencontres. Une petite rivière
séparait les deux armées, pendant la nuit Pépin la franchit avec ses troupes et
va s'établir sur la rive orientale, au-dessus du camp qu'occupait Théodoric
: ayant ensuite formé les rangs, indiqué à chacun son commandement, il
attend patiemment le jour pour attaquer l'ennemi,"avec le secours
de Dieu, aux rayons du soleil levant. Dès que
l'horizon s'éclaire, on vient dire à Théodoric que le camp des
Austrasiens est désert et incendié en partie ; aussitôt le roi sort
avec ses troupes, afin de leur donner le pillage du camp abandonné et de
poursuivre Pépin : c'est alors que celui-ci accourt et se précipite sur
les Neustriens. Le combat fut
long et acharné : malgré le
désordre dans lequel on les surprenait, les soldats de Théodoric luttèrent
avec courage ; mais enfin il fallut céder, le succès de la journée de
Testry resta à l'Austrasie, et le monde barbare, la société germanique
l'emporta encore une fois sur la civilisation romaine. Berthaire fut
tué avec ses leudes, les meilleurs chefs succombèrent ; Théodoric et
les débris de son armée s'enfuirent en toute hâte et ne s'arrêtèrent
qu'après avoir mis la Seine entre eux et leurs vainqueurs. Pépin
cependant ne tarde pas : il
donne à peine aux siens le temps de piller le camp des vaincus et vient
assiéger Paris, où s'était retiré le roi de Neustrie ; après une
faible résistance les habitants, abandonnant la cause de leur chef, amènent
Théodoric à Pépin. Le descendant
de Clovis, le souverain de la Neustrie est conduit en captif au maire du
palais d'Austrasie ; mais cette royauté mérovingienne était devenue si
débile, si inoffensive, que Pépin d'Héristal dédaigna de déposer Théodoric
: il lui laissa le titre de roi, se réservant d'en conserver le pouvoir. La bataille de
Testry termine la destinée de la dynastie mérovingienne son nom subsiste
encore quelque temps, mais sans gloire et sans autorité. La race de
Clovis s'affaisse obscurément dans son impuissance, soumise entièrement
aux caprices des maires du palais. Alors
s'accomplit l'étrange prédiction
qui, dit-on, fut faite à Childeric 1er par Bazine, sa femme. Le père de
Clovis ayant enlevé Bazine, l'épouse du roi de Thuringe,
"celle-ci selon une vieille légende que rapporte Grégoire de
Tours lui dit la première nuit de leur mariage : Va ; et ce que
tu auras vu dans la cour du palais, tu le diras à ta servante. Childéric s'étant
levé, vit des lions, des licornes, des léopards qui se promenaient
; il revint et dit ce qu'il avait vu. La femme lui
dit alors : Va voir de
nouveau, et reviens dire à ta servante. Il sortit et
vit cette fois des ours et des loups. A la troisième
fois il vit des chiens et d'autres bêtes chétives. Bazine dit
alors au Franc : Ce que tu as vu des yeux est fondé en vérité ; il nous
naîtra un lion, tes fils courageux ont pour symboles le léopard et la
licorne. D'eux naîtront des ours et des loups pour le courage et la
voracité. Les derniers
rois sont les chiens, et la foule des petites bêtes indique ceux que
vexeront le peuple mal défendu par ses rois. Quelque
singulier que soit ce récit, n'est-ce pas après tout la fidèle histoire
de la famille de Clovis, qui s'en va constamment en s'affaiblissant, en
perdant les fortes qualités qui avaient commencé sa fortune ? La dégénération
est en effet rapide chez ces Mérovingiens, dit M. Michelet : des quatre
fils de Clovis, un seul, Clotaire, laisse postérité ; des quatre fils de
Clotaire, un seul a des enfants ; ceux qui suivent meurent presque tous
adolescents ; il semble que ce soit une espèce d'hommes particulière. Tout Mérovingien
est père à quinze ans, caduc à trente
: la plupart n'atteignent pas cet âge ; Charibert II meurt à
vingt-cinq ans ; Sigebert II, Clovis II, à vingt six, à vingt-trois ;
Childéric II, à vingt-quatre ; Clotaire III, à dix-huit ; Dagobert II,
à vingt-six ou vingt-sept. En mourant, Pépin
d'Héristal laissait un successeur qui devait continuer vaillamment sa tâche
et achever, à la bataille de Vincy, remportée en 717 sur les Neustriens
et les Aquitains réunis, l'œuvre commencée à
Testry : c'était
Charles-Martel, l'heureux vainqueur des Saxons, des Neustriens et des
Sarrasins d'Espagne ; le hardi conquérant, qui, sûr de sa force et de sa
puissance, ne désira même pas y ajouter le titre de roi. La dynastie
carlovingienne, qui devait sitôt déchoir et succomber sous
l'aristocratie féodale, comme celle de Clovis était tombée devant
l'influence des leudes, commençait avec éclat, et ses premiers chefs lui
acquéraient des titres solides de renommée. A une époque où
la société moderne n'était pas encore fondée, Pépin d'Héristal a
sauvé d'une ruine complète la domination franque en l'enlevant, dans la
journée de Testry, aux Neustriens affaiblis et en quelque sorte dégénérés. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le novembre 2005 Christian Flages