Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Charles Martel |
Année : 732 |
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La Bataille de Poitiers.
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Tandis que le
christianisme étendait lentement sur l'Europe son influence
civilisatrice, un homme doué d'une imagination merveilleuse, d'une
énergie peu commune, d'une éloquence irrésistible, Mahomet proclamait
en Asie une doctrine, mélange confus des traditions juives et de
certaines hérésies chrétiennes, qui allait devenir la religion de
l'Orient. Appuyée sur
l'implacable loi du fatalisme, animée du sombre fanatisme de son chef,
la secte nouvelle avait fait de rapides progrès ; maîtresse de
l'Asie, elle avait pénétré en Afrique et soumis à ses principes toute
la côte septentrionale ; arrivée au détroit, en face de l'Espagne, elle
l'avait hardiment franchi et s'était solidement établie dans l'empire détruit
des Visigoths ; en moins d'un siècle enfin, de 622, première année de
l'Hégire, jusqu'en 711, la
loi de Mahomet, le Coran, avait fait reconnaître son autorité des bords
de l'Indus jusqu'au pied des Pyrénées. Ces éclatants
et prompts succès n'avaient cependant pas satisfait les musulmans ; le
fanatisme de leurs convictions et l'ardeur du pillage les poussaient vers
I' Europe chrétienne, et, paisibles possesseurs de la Péninsule, ils
convoitaient encore les Gaules. Déjà
ils avaient fait dans le Midi de rapides et désastreuses invasions ;
l'Aquitaine avait dû repousser leurs attaques sans complètement y réussir,
lorsque Abd el Rahman ou Abdérame, l'émir de Cordoue, le gouverneur de
l'Espagne, résolut de tenter la conquête de la Gaule, qui assurait en
Europe le triomphe de l'islamisme. Il réunit une
armée considérable, fait d'immenses préparatifs et, traversant les Pyrénées
au passage de Roncevaux, se précipite sur l'Aquitaine, que gouvernait le
duc Eudes, descendant éloigné de la race mérovingienne. Rien ne résiste
à l'impétuosité des Arabes, Eudes essaie inutilement de s'opposer à
leur invasion ; ils surmontent tous les obstacles, détruisent sur leur
passage les villes et
les églises, remportent une victoire importante sur les rives de la
Garonne et s'emparent, après un assaut sanglant, de la ville de Bordeaux,
qu'ils pillent et brûlent ensuite : l'Aquitaine était conquise, et Abdérame
continuait vers le nord sa marche victorieuse. La prise de
Bordeaux et la soumission de l'Aquitaine par les Arabes émurent non
seulement la Gaule mais toute l'Europe chrétienne. Le péril était
imminent, de toutes parts on voyait s'avancer l'étendard de Mahomet ; tandis que les
musulmans entraient dans les Gaules par les Pyrénées, ils se montraient
en Sicile et menaçaient l'Italie : sur
leur passage la terreur était
profonde ; leur conquête était impitoyable,
leur autorité inflexible, leur
marche persévérante, et un moment on se demanda si dans le monde entier
le Coran n'allait pas remplacer l'Évangile. C'était aux
Francs, c'était au fils de
Pepin d'Héristal, à l'aïeul de Charlemagne, que devait appartenir
l'honneur de sauver la civilisation chrétienne. Le duc
d'Aquitaine, fugitif, désespéré, s'était adressé à Charles Martel
pour obtenir son appui contre les Sarrasins. Charles, maître,
sous le nom des derniers rois mérovingiens, de la Neustrie et de
l'Austrasie, avait combattu Eudes et convoitait pour ses leudes la riche
province d'Aquitaine ; mais, également pressé par les Sarrasins et les
Francs, Eudes avait encore, préféré la dangereuse alliance de ceux-ci
à la domination arabe. Forcé de
reconnaître une suzeraineté, il avait choisi celle de Charles Martel, du
duc des Francs, comme il se nommait. Charles,
certain, en s'opposant à l'invasion, de défendre ses propres intérêts
autant que ceux du duc d' Aquitaine,
assemble une formidable armée et marche contre Abdérame. Les Arabes,
poursuivant leur route à travers le pillage et la destruction, étaient
arrivés à Poitiers, qui leur avait résisté avec courage. Ce fut là que
Charles les rencontra et que se décida, sur les bords de la Loire, cette
grande lutte entre les deux croyances, entre la loi du fatalisme et celle
du dévouement. Les Francs se
présentaient nombreux, vigoureusement disciplinés ; tandis qu'au
contraire les soldats d'Abdérame, embarrassés de leur immense butin, traînant
à leur suite des captifs, des troupeaux, marchaient dans un désordre
d'un funeste présage pour la bataille qui se préparait. Les deux armées
demeurèrent sept jours en présence, se considérant réciproquement avec
un curieux étonnement. Enfin, un
samedi du mois d'octobre 732, les deux armées s'attaquèrent, et la
cavalerie musulmane, renommée par son agilité, par la vivacité et la précision
de son mouvement, vint se heurter aux lignes franques hérissées de fer :
elles résistèrent à ce
choc impétueux, auquel elles opposèrent une calme immobilité ; les
charges multipliées des cavaliers arabes ne purent ébranler les
solides bataillons de Charles Martel, et la nuit survint sans que le succès
fût décidé d'aucun côté. Le lendemain,
au jour naissant, les deux armées, qui n'avaient point quitté le champ
de bataille, renouvelèrent leurs efforts : les cavaliers d'Abdérame réussirent
enfin sur quelques points à pénétrer dans les rangs serrés des Francs.
mais leurs coups glissaient pour ainsi dire sur les pesantes armures et
les fortes épées de ceux-ci ; les pesantes framées des hommes du Nord
au contraire atteignaient sans merci ces intrépides soldats, qui
n'avaient d'autre défense qu'un burnous flottant ou une légère
cuirasse. Après
plusieurs heures de combat, où cependant les avantages furent
partagés, une manœuvre habile du duc des Francs lui donna la
victoire. Un détachement de chrétiens ayant pénétré dans le camp arabe, une partie de l'armée d'Abdérame quitta le champ de bataille pour aller défendre les riches dépouilles enlevées à l'Aquitaine ; ce mouvement jeta parmi les troupes de l'émir un désordre dont les Francs profitèrent, et avant la fin de cette seconde journée la cause du christianisme et de la civilisation l'avait emporté sur l'ascendant si longtemps victorieux de l'islamisme : les nuées de cavaliers orientaux, armés de larges cimeterres, se brisèrent contre les murs de glace des fantassins du Nord armés de piques et de francisques. L'émir Abdérame
tenta vainement de ramener ses soldats au combat ; ils l'abandonnèrent et
le laissèrent, avec quelques braves demeurés fidèles qui voulurent
partager sa destinée, au plus fort de la mêlée, où il tomba sous les
lances chrétiennes. Le camp arabe,
rempli des dépouilles de la Gaule méridionale, devint la proie de
la Gaule du nord, et l'obscurité de la nuit sauva seule les
musulmans de la poursuite des
Francs. Selon les
historiens chrétiens de la bataille de Poitiers, la retraite des Arabes
fut couverte d'un mystère qui lui donne un caractère étrange et qui
exprime singulièrement la crainte qu'inspiraient les peuples de l'Orient.
D'après leur récit,
vers la fin de la seconde journée de la bataille de Poitiers, la victoire
n'était pas encore certaine pour les chrétiens et la nuit une seconde
fois avait suspendu la lutte ; les Francs attendaient impatiemment que le
jour leur permît de recommencer le combat. Dans
le camp des Arabes régnait un profond silence que l'obscurité rendait
plus solennel encore ; redoutant quelque surprise, frappés d'une terreur
superstitieuse devant cet ennemi, même vaincu, les chrétiens n'osaient
entrer dans le camp des musulmans bien que le jour eût paru : des éclaireurs
s'étant enfin avancés vers les premières tentes, s'aperçurent
seulement alors que le camp était désert ; l'armée d'Abdérame était
partie sans bruit durant la nuit, abandonnant la plus grande partie de ses
bagages. Cette journée
si importante pour l'avenir de la civilisation, cette rencontre solennelle
entre le Nord et le Midi, entre les chrétiens et les mahométans, causa
une vive impression sur le monde de cette époque. L'imagination
des chroniqueurs est frappée d'une émotion que reproduisent leurs récits
; la perte des Arabes est évaluée à 375,000 hommes par les auteurs chrétiens.
Charles y gagna une immense renommée, le courage qu'il avait montré dans
les guerres contre les Neustriens et les Aquitains sembla s'être encore
accru en présence des musulmans. C'est à cette
bataille de Poitiers qu'il reçut le surnom de .Martel, "pour
ce que, dit la Chronique de Saint-Denis, comme li martiaus debrise et
froisse le fer et l'acier,
ainsi froissoit-il et debrisoit-il tous les ennemis." Après la
victoire de Poitiers, Charles Martel poussa jusqu'en Languedoc ; il assiégea
inutilement
Narbonne, entra dans Nîmes et essaya de brûler le grand amphithéâtre
romain, les arènes, dont on avait fait une forteresse. Enfin le héros
du Nord, ayant parcouru le Midi en vainqueur, remonta vers l'Austrasie, où l'appelait l'invasion germanique,
ramenant avec d'immenses richesses une multitude de captifs. Ce fut surtout
à cette grande journée de Poitiers qu'il fit reconnaître ses titres à
la royauté, et c'est véritablement en face des musulmans, en sauvant
l'Europe du fatalisme de Mahomet, qu'il donna la couronne à son fils, à
Pepin le Bref, et qu'il établit sur une base glorieuse la dynastie carlovingienne. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le novembre 2005 Christian Flages