Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Charles le Chauve. |
Année : 843 |
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Le Traité de Verdun.
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A la mort de
Louis le Débonnaire, en 840, Lothaire, son fils aîné associé depuis
vingt-trois ans à l'empire et reconnu dans une assemblée générale des
Francs comme le successeur du dernier empereur, réclama auprès de ses frères
le titre et les droits fixés en 817 par la Constitution Impériale. Il prétendit
exercer sur eux une supériorité réelle ; il exigea l'hommage et le
serment de fidélité de Charles le Chauve, roi de Neustrie, et de Louis
le Germanique, roi de Bavière Il envoya donc
des messagers par tous les pays des Francs pour annoncer qu'il prenait
possession de l'empire et pour se faire prêter serment, annonçant qu'il
voulait continuer l'unité de l'empire et gouverner seul avec ses frères
pour lieutenants. Mais c'était
un vain projet que de songer à réunir sous un pouvoir unique les contrées
diverses, opposées de moeurs et d'intérêts dont Charlemagne avait
autrefois formé son vaste empire. Il avait fallu
pour les maintenir sous sa domination, le joug violent de la conquête,
après lui, dès le règne de son fils, les oppositions profondes des
peuples vaincus commencent à se manifester et se prononcent énergiquement
dans les guerres que les révoltes de ses enfants suscitèrent à Louis le
Débonnaire. Quand le vieil
empereur mourut au milieu du Rhin, cette frontière qui devait partager
son empire en deux grandes portions, l'union devenait de plus en plus
impossible ; et, lorsque les frères de Lothaire, pour se soustraire à
son autorité, armèrent contre lui, ils furent secondés dans leurs
hostilités par ce besoin d'indépendance, de nationalité, pour ainsi
dire, qui pressait les diverses parties de l'empire d'Occident. Sans se rendre
nettement raison du sentiment qui les faisait agir instinctivement en
quelque sorte, les provinces des deux côtés du Rhin, les Francs de
Charles-le Chauve et les Germains de Louis de Bavière, s'emparèrent
volontiers des querelles des fils de Louis le Débonnaire pour en faire le
prétexte d'une séparation. Lothaire le
premier donne le signal de la grande lutte qui allait s'engager et marche
contre ses frères : "ils le
supplient de ne pas troubler
les royaumes que Dieu et leur père leur ont confiés." L'empereur ne
voulut pas se retirer, et il attaqua Charles le Chauve qui le battit, tandis que Louis passait le Rhin et défaisait également
les troupes impériales. Enfin les trois
frères, Charles et Louis d'une part, Lothaire de l'autre, se trouvèrent
de nouveau en présence à Fontanet ou Fontenay près d'Auxerre. Avant d'en
venir aux mains les rois de Neustrie et de Germanie essayèrent encore de
fléchir l'orgueil de Lothaire, et lui offrirent une dernière fois la
paix. Celui-ci, qui
attendait Pepin, roi d'Aquitaine. son allié, feignit un instant
d'accueillir ce projet de conciliation ; mais, lorsqu'il eut réuni toutes
les forces dont il pouvait disposer, il envoya dire à ses frères
: "Sachez que le titre d'empereur m'a été donné par une
autorité supérieure, et que j'ai besoin de toute grandeur pour remplir
une si haute charge." Toute espérance de paix disparaissait, on se disposa à remettre la décision de ce débat au jugement du Dieu tout-puissant. Charles et
Louis se préparèrent au combat par le jeûne et la prière, et le 25
juin 841 s'engagea sur les bords de l'Endrie, près d'Auxerre, la bataille
de Fontanet. Toutes les
nations dont l'empire se composait étaient représentées dans cette
journée solennelle qui amena la conclusion du traité de Verdun, d'où
sortit l'organisation de l'Europe moderne. Trois cent mille hommes furent aux prises durant six heures, et les historiens de cette époque disent que quarante mille hommes demeurèrent de chaque côté sur le champ de bataille ; Lothaire cependant fut vaincu et s'enfuit devant ses frères. Ceux-ci, soit
épuisement, soit par un reste de pitié, ne le poursuivirent pas, et
remercièrent Dieu de sa
protection par un jeûne de trois jours. L'année
suivante Lothaire reprit les armes contre Charles le Chauve mais le roi de
Neustrie appela de nouveau Louis le Germanique à la défense de la cause
commune, et, pour donner à leur alliance un caractère plus stable, ils
voulurent en promettre publiquement le maintien. Les deux rois réunirent
leurs troupes sous les murs de Strasbourg, sur les rives mêmes du Rhin,
et là, en présence de leurs armées qui étaient comme les témoins de
leur engagement, après avoir chacun exposé la légitimité de leurs
demandes, la justice de leur cause, ils jurèrent de maintenir la séparation
nationale et de ne point faire la paix l'un sans l'autre. Afin de donner
à leur serment plus de force, le roi de Bavière, Louis, le prononça
dans la langue des Francs, en langue romane ou française, et Charles le
Chauve le répéta en langue germanique. Cet engagement
dont le texte est le plus ancien monument des langues française et
allemande. et qui pour la première indique positivement la division de
l'Europe en deux peuples distincts, était ainsi conçu dans la langue
romane, formée du celtique, du latin et du germain
: Pro Don amur,
et pro christian poblo, et nostro commun salvamento, dist di in avant,
in quant Deus savir et podir me dunat, si salvareio cist meon
fradre Karlo et in adjudha et
in cadhuna cosa, si cùm om
per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altre si fazet. Et ab Ludher
nul plaid nunquam prindrai qui meon vol cist meo fradre Karlo in damno sit.»
Voici, d'après
M. Augustin Thierry, la traduction de ce premier et précieux titre de
notre langue nationale, que nous a transmis Nithard témoin de la bataille
de Fontanet et de l'assemblée de Strasbourg : Pour l'amour de
Dieu, et pour le peuple chrétien, et notre commun salut, de ce jour en
avant, et tant que Dieu me donnera de savoir et de pouvoir je soutiendrai
mon frère Karle ici présent, par aide et en toute chose, comme il est
juste qu'on soutienne son frère, tant qu'il fera de même pour moi. Et iamais, avec
Lother, je ne ferai aucun accord qui de ma volonté soit au détriment de
mon frère. Après que les
deux rois se furent unis par ces solennelles paroles, les Francs et les
Teutons se lièrent également par un serment à la cause de leurs chefs : Si Louis garde
le serment qu'il a prêté à son frère Charles, dirent les Français, et
si Charles, mon seigneur, de son côté ne le tient pas, je ne lui
donnerai aucune aide contre Louis. « Les Allemands
répétèrent cet
engagement en changeant seulement l'ordre des noms des deux
rois. La
conclusion de cette alliance jurée dans des termes si précis, sur la
limite de ces royaumes qui venaient pour ainsi dire de se former devant
ces armées qui s'étaient associées aux serments des petits-fils de
Charlemagne, fut longuement célébrée par des réjouissances et des fêtes
militaires. La volonté de
maintenir ce bon accord, qui devait leur procurer l'indépendance, était
si forte dans l'esprit des peuples, dit
M. Augustin Thierry, qu'on n'apercevait plus la moindre trace de
leur ancienne hostilité. "Des
combats simulés mirent aux prises les nations que Charlemagne avait
autrefois armées l'une contre l'autre, sans qu'aucun ressentiment vînt
troubler ces jeux." .. "Des Gascons, des Austrasiens, des Saxons et des Bretons en nombre égal luttaient l'un contre l'autre dans une course rapide, rapporte Nithard…. C'était un
spectacle digne d'être vu, à cause de sa magnificence et du bon ordre
qui y régnait ; car. dans
une si grande foule et parmi tant de gens de diverse origine, il n'y eut
personne de blessé ou d'insulté." Ainsi réunis,
les deux frères se mirent à la poursuite de Lothaire et l'obligèrent à
reconnaître leur souveraineté. Le traité de
Verdun, conclu en 843, consacra définitivement le partage de l'empire de
Charlemagne entre ses trois petits-fils. Charles le
Chauve reçut toute la partie de la Gaule renfermée entre l'Escaut, la
Meuse, la Saône, le Rhône, la Méditerranée, les Pyrénées et l'Océan
; ce fut le royaume de France dont la féodalité devait un moment briser
l'unité pour la rendre plus tard aux efforts patients des Capétiens. Le royaume de
Louis le Germanique comprit les pays situés entre le Rhin, la mer du
Nord, l'Elbe et les Alpes. qui formèrent la nationalité Allemande. La portion
attribuée à Lothaire se forma de l'Italie, qui devait bientôt échapper
à ses descendants, et de diverses parties de territoire prises entre les
possessions de Louis et de
Charles. Le traité de
Verdun, le premier acte véritablement politique de notre histoire, détermine
la division actuelle de l'Europe en trois grandes nations principales : la
France, l'Allemagne, l'Italie. Le monde romain
et le monde barbare disparaissent également pour faire place aux peuples
modernes ; les populations, longtemps flottantes, s'arrêtent et fondent
leurs nationalités sur l'organisation nouvelle. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le novembre 2005 Christian Flages