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SUR | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Messire Arnaud de Pontac. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Evêque et seigneur de Bazas. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Extrait du Glaneur, journal de l'arrondissement de Bazas. Bazas , imprimerie F. C0NSTANT.
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Le Glaneur
fut créé le 2 mai 1835, par un ancien officier, |
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Cet ouvrage fait partie de la collection de Christian de Los Angeles. Il
ne comporte aucune date. |
Avertissement
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Messire Arnaud de Pontac, Evêque, et seigneur de Bazas, dont nous voulons écrire succinctement la vie, fut, à la fin du XVI ème siècle, une des lumières de l'Eglise de France et l'une des gloires de l'Aquitaine. Peu de prélats, en ces temps malheureux, jouèrent un rôle aussi éclatant et élevèrent plus haut la dignité du caractère épiscopal. Il fut le conseiller et l'ami des rois, il parut avec honneur dans les assembles générales du clergé, dont il porta, les remontrances au pied du trône ; il exerça enfin sur l'épiscopat de son temps une véritable influence, dont il fut redevable à ses vertus, à la noblesse de son âme et à l'incontestable supériorité de ses talents.
Cependant, son nom est aujourd'hui à peu près tombé dans l'oubli, et dans le pays où il vit le jour, dans les lieux qui portent encore le magnifique et vivant témoignage de ses bienfaits, son souvenir survit à peine ! Sommes-nous donc si riches en gloires locales, qu'il nous soit permis de négliger celle-là, et n'est-ce pas un devoir de ne pas laisser s'éteindre la mémoire d'un illustre évêque qui nous appartient par son berceau et par sa tombe, par l'antique Eglise aujourd'hui unie à celle de Bordeaux dont il fut le pasteur, et par sa famille, qui depuis des siècles jouit parmi nous de la considération la mieux méritée ? Arnaud de Pontac naquit à Bordeaux vers l'an 1530. Son père, Jean de Pontac, greffier civil et criminel au Parlement de cette ville, avait déjà trois fils quand Dieu lui donna celui qui devait être l'évêque de Bazas. Les deux premiers entrèrent dans la magistrature et furent toujours fidèles aux nobles traditions de leurs ancêtres ; le troisième, Pierre de Pontac, préféra la carrière des armes, devint chevalier-profès dans l'ordre de Malte, et mourut glorieusement en combattant les ennemis du nom chrétien. Ce fut au collège de Guienne, qui comptait alors des professeurs renommés, comme les frères Govéa, Mathieu Cordier, Georges Buchanan, Elie Vinet, Nicolas Boyer, qu'Arnaud de Pontac commença ses études en compagnie de ses frères. Il fut ensuite envoyé à Paris avec son frère Raymond, qui devint président aux enquêtes, afin de se perfectionner dans la connaissance des belles lettres. Là, comme à Bordeaux, il répondit parfaitement aux vues paternelles, et, en se livrant avec assiduité à l'étude, réussit à sauvegarder la pureté de ses moeurs et l'intégrité de sa foi.
Aussi, Iorsqu'après quelques années passées loin des siens dans les labeurs de la science et de la vertu, il revint s'asseoir à l'austère foyer où s'abritaient depuis longtemps des vertus héréditaires, il y apporta avec une intelligence merveilleusement développée, un cœur que le mal n'avait pas prématurément vieilli. A la fin de ses études littéraires, il alla à Toulouse étudier la jurisprudence. Dans cette ville, comme à Paris, entouré de dangers sans nombre, il sut rendre sa jeunesse respectable en se garantissant, des écarts trop communs à ceux de son âge. Au lieu des liaisons dangereuses qui sont l'écueil des vertus les plus solides, il rechercha l'amitié des hommes graves dont la conversation pouvait l'instruire et dont la vigilance pouvait lui être une protection. Tous ces avantages, il les trouva réunis dans les relations qu'il eut le bonheur d'avoir avec un vieux chanoine de Saint Etienne, l'abbé de Sérès, aussi estimé pour son savoir que pour sa vertu. Il s'attacha si parfaitement à lui, qu'il fut bientôt, pour ainsi dire, de moitié dans les occupations de sa vie, et qu'au lieu de s'adonner exclusivement à l'étude des lois, il se laissa entraîner vers l'étude plus haute des sciences ecclésiastiques. Sur les pas de l'amitié, il entra dans le domaine de la théologie, et s'y sentit tout d'abord a l'aise. En même temps, il travailla à acquérir cette connaissance de l'hébreu qui devait plus tard l'aider si puissamment dans ses travaux sur l'Ecriture Sainte et être le fondement de sa grande réputation. Dès cette époque, il eut même occasion de faire servir à la gloire de Dieu la part déjà grande de science sacrée qu'il avait acquise.
M. de Sérès avait souvent des controverses avec les protestants ; or, son élève, qui assistait à côté de son maître à ces luttes pacifiques pour le triomphe de la vérité, ne se contenta, pas toujours d'en être le témoin ;plusieurs fois il défendît tout seul la bonne cause et la fit triompher. Cette liaison du saint et savant prêtre et de l'étudiant de l'Université de Toulouse fut l'origine de la vocation de ce dernier à l'état ecclésiastique. Jusque là, rien n'indique, dans les trop rares et trop succincts documents que nous avons pu consulter, qu'Arnaud de Pontac comme l'ont avancé quelques historiens, se fût dès son plus jeune âge voué au service des autels. Le désir d'entrer dans le sacerdoce ne naquit en lui que lorsqu'il touchait déjà aux dernières années de là jeunesse, alors qu'il était sur le point d'entrer dans cette carrière de là magistrature qui s'ouvrait naturellement devant lui. Son père, à qui il fit part de ses nouveaux projets, reconnaissant, un appel d'en haut dans cet attrait qui poussait son fils vers les choses de Dieu, et cédant à ses instantes prières approuva sa résolution. Arnaud de Pontac renonça donc à l'étude de la jurisprudence pour se livrer sans partage à celle de la théologie et de l'écriture Sainte, et quitta Toulouse pour aller à Paris. Ce ne fut pas probablement sans regret qu'il se sépara de l'abbé de Sérès, dont les exemples et les leçons avaient été pour lui une initiation aux vertus de là vie cléricale, et à qui il avait prodigué, notamment durant une longue et grave maladie les témoignages du plus entier et du plus filial dévouement. Mais la volonté de Dieu et de son père l'appelant dans la capitale, il n'opposa aucune résistance.
Paris, à cette époque, était encore le foyer des lumières. Autour des chaires de ses professeurs se pressait une jeunesse venue de toutes les parties de l'Europe, et, comme aux siècles précédents, elle trouvait des maîtres capables de la guider dans toutes les voies de la science. Mais si les ressources nécessaires aux développements de l'esprit ne manquaient pas, les occasions étaient nombreuses aussi de perdre la pureté du cœur. A la faveur des nouvelles opinions que le protestantisme naissant, avait semées en France, la licence des moeurs était arrivée à son comble, et la multitude de ceux qui fréquentaient les cours de l'Université de Paris n'échappait qu'avec peine à ce débordement. Arnaud de Pontac cependant, comme plus tard le jeune François de Sales, sut se garantir des atteintes de l'impiété et de la corruption. Il fut confié par la tendresse paternelle aux soins d'un jeune docteur de Sorbonne qui avait nom Génébrard, et qui devint dans la suite archevêque d'Aix. Celui-ci, à peu près du même âge que son disciple, n'eut qu'à se louer de ses rapports avec lui. Ensemble, ils se livrèrent à l'étude de la théologie et à celle des langues orientales, nécessaires à une intelligence plus parfaite des Saintes Ecritures, et leurs succès, surtout dans cette dernière partie de la science furent tels, que bientôt, ils publièrent, chacun de leur côté, des travaux, remarquables d'herméneutique sacrée. Le premier ouvrage d'Arnaud de Pontac, qu'il dédia à son père fut une traduction latine de l'hébreu et du chaldéen, avec commentaires, des trois petits prophètes Abdias, Jonas et Sophonias, publiée à Paris en 1556.
L'année suivante il fit paraître une chronographie, divisée en deux livres, et embrassant les temps écoulés depuis l'ère chrétienne jusqu'en 1567. Cet ouvrage d'érudition, qui témoigne d'un travail si patient et de connaissances si étendues, fut dédié à l'archevêque de Bordeaux, Antoine Prévost de Sansac. Il en parut une seconde édition à Louvain en 1570 ; et Génébrard, en 1585, à la prière de l'évêque de Bazas, en donna une troisième, qu'il enrichit de nouveaux et précieux documents. Le maître et le disciple vécurent longtemps dans la plus étroite intimité. Génébrard était pauvre ; c'était un de ces jeunes hommes, si nombreux alors, qui privés des dons de la fortune, pouvaient néanmoins puiser aux trésor de la science et s'élever par elle aux plus hautes dignités. Il aplanissait devant les pas de son ami les rudes sentiers où il l'avait précédé de quelques années, et celui-ci subvenait en retour à tous ses besoins. Cette générosité si touchante se prolongea même au delà du séjour à Paris d'Arnaud de Pontac ; de Rome, où il porta peu après ses pas, il fournit annuellement, en la prenant sur les fonds que lui allouait son père pour son entretien, la somme de 700 livres à son ancien maître. Et quand celui-ci fut promu à l'archevêché d'Aix (1592),son élève, depuis longtemps évêque de Bazas, mais dont les dignités n'avaient pas changé le coeur, mit à sa disposition l'argent nécessaire à l'acquittement des frais qu'entraîna sa nomination.
Ce fut sans doute vers cette époque, de 1566 à 1557, qu'Arnaud de Pontac après avoir fait les premiers pas dans la cléricature et être entré dans les ordres sacrés, fut pourvu, d'un canonicat au chapitre primatial de Bordeaux. La date précise de cette nomination ne nous est pas connue, mais le fait n'en est pas moins incontestable ; le vénérable historien Yéronime Lopez, qui écrivit peu de temps après la mort de notre prélat, le met au nombre des évêques sortis du chapitre de Saint André. On ne pourrait pas dire non plus à quelle époque il devint doyen de la collégiale de Saint Emilion, dignité qu'il conserva jusqu'à sa mort. En 1567 du consentement de son père et, dans le dessein de se mieux préparer, par l'étude et la prière, à la réception du sacerdoce, il partit pour Rome. Aucun lieu au monde ne lui parut plus favorable aux silencieux travaux de la science et aux labeurs de la piété comme la ville des Papes, et il eut raison ! Heureux ceux qui peuvent aller boire à ce puits intarissable de Jacob, les eaux vives de la foi, et qui vont demander à ce centre du divin sacerdoce l'onction sainte qui fait les prêtres ! Celui dont nous parlons était fait pour apprécier son bonheur et il sut s'en montrer digne. Il entreprit ce lointain pèlerinage à la suite du cardinal de Rambouillet, évêque du Mans, que Charles IX envoyait comme ambassadeur auprès du pape Pie V. Le cardinal apprécia bientôt, comme il le méritait, son compagnon de voyage, et bien que celui-ci ne fit pas précisément partie de sa maison, il se fit une joie de le produire dans tous les lieux où il s'arrêta.
A Valence en particulier, où le célèbre jurisconsulte Cujas eut l'honneur de recevoir l'ambassadeur à sa table, Arnaud de Pontac fut de la part d'un hôte si illustre, l'objet des plus délicates attentions, dont il fut redevable à ses brillantes qualités et à son nom si connu dans la magistrature. Mais ce fut à Rome surtout que la bienveillance du cardinal de Rambouillet fut profitable à notre voyageur. Dans cette ville souveraine où, l'on se perd si aisément dans la foule, il se fit, comme à son insu, des amis et des protecteurs puissants. Pendant que le cardinal ambassadeur lui gardait ses bonnes grâces, d'autres membres du Sacré Collège l'admettaient dans leur familiarité. Il devint le négociateur de nombreuses et graves affaires que le chargèrent de poursuivre des personnes considérables de France, en particulier le cardinal de Bourbon, auprès duquel il jouissait d'un si grand crédit, que les propres neveux du prince ne craignaient pas d'invoquer ce crédit en leur faveur. Le Souverain Pontife lui-même l'accueillait fréquemment avec une extrême bienveillance. Il est vrai que l'accès du Palais lui était facilité par un prélat de la maison de Sa Sainteté, extrêmement empressé à lui être utile en souvenir de l'hospitalité qu'il avait reçue à Bordeaux, dans la famille de Pontac pendant un voyage en France, à la suite du cardinal Alexandrin, neveu de Pie V, et son légat auprès de la cour d'Espagne. Tout conspirait donc à rendre agréable à Arnaud de Pontac le séjour de la ville éternelle.
Il se livra à l'étude avec une nouvelle ardeur et un succès toujours croissant. Sans négliger des occupations plus sérieuses, il eut soin de consigner dans des cahiers et des feuilles détachées que ses amis connurent plus tard tout ce qui lui paraissait digne de souvenir. Etudes, voyages, relations, avec des personnages illustres, visites aux monuments de l'antiquité païenne on chrétienne, tout avait sa place dans ces pages, hélas perdues ! où nous serions si heureux aujourd'hui de jetée quelques regards, et qui firent plus tard le charme des soirées du palais épiscopal de Bazas ou du château des Jauberthes. L'abbé de Pontac, si du moins l'époque que nous avons approximativement assignée à sa naissance ne s'éloigne pas trop de la vérité, avait dépassé l'âge ordinaire de la prêtrise. Il la reçut après de sérieuses études et un long exercice des vertus cléricales, au mois de novembre 1571, et célébra se première messe le16 du même mois, fête de saint Emilion. Ce fut quelques mois après que Grégoire XIII, qui venait de succéder à Pie V lui donna un témoignage éclatant de son estime. Ayant pu apprécier l'étendue de ses connaissances en hébreu, en histoire ecclésiastique et en droit canon,
Dans cette triple et difficile tâche, Arnaud de Pontac sut se rendre digne de la confiance du Souverain Pontife, et donna aux savants qui partageaient ses travaux, entre autres au fameux cardinal d'Hosius, une si grande idée de ses talents, qu'on l'appela bientôt à Rome le Docteur français, Doctor Gallicanus.
Toutefois, sa coopération à de si importants travaux, quoique extrêmement brillante, ne fut pas longue. Il arrivait d'un voyage en France où il était resté fort peu de temps, et venait d'être reçu docteur en théologie à l'Université Romaine lorsqu'il apprit sa nomination à l'évêché de Bazas, vacant depuis près d'une année par la mort de François de Balaguier. Il n'y avait pas un an qu'Arnaud de Pontac était prêtre, et déjà il lui fallait courber les épaules sous le redoutable fardeau de l'épiscopat ! En tout temps, c'eût été pour une âme si chrétienne un sujet d'épouvante. Que dut-il éprouver en pensant aux difficultés qu'allaient lui créer les guerres dont son pays était Ie théâtre ? Les terribles représailles de la Saint Barthélemy venaient d'avoir lieu ; la main débile de l'avant dernier des Valois avait peine à tenir les rênes du gouvernement ; les sectaires armés ravageaient les provinces, et son futur diocèse en particulier, était exposé à leurs attaques. Non loin de Bazas, à Nérac, où Jeanne d'Albret tenait sa petite cour protestante, existait un foyer permanent de dissensions intestines. Déjà, les émissaires de la secte répandaient jusque sous les murs de la vieille cité épiscopale le désordre, l'incendie et la mort. Trop longtemps même Bazas avait déjà gémi sous le joug des calvinistes. Le sang des prêtres et des fidèles avait coulé. La nuit de Noël de l'an 1561, sous l'épiscopat d'Amanieu de Foix, pendant qu'on célébrait la messe à Saint Jean, une bande de forcenés avait surpris la ville et mis tout à feu et à sang ; les cadavres des victimes avaient rempli un puits profond qui se trouvait au chevet de la cathédrale.
Il avait ensuite fallu de longs efforts pour reprendre cette position aux soldats de la réforme dont les chefs régnaient en maîtres dans plusieurs châteaux forts du voisinage, en particulier dans les places dépendantes du duché d'Albret, comme Auros, Aillas, et Villandraut. Arnaud de Pontac ne fut pas découragé par les difficultés qui l'attendaient ; il mit sa confiance en Dieu et se prépara à combattre vaillamment les ennemis du Seigneur. S'il avait, d'ailleurs, des motifs de crainte, il avait aussi des motifs d'espérance. Le Souverain Pontife avait ressenti de sa nomination un vif contentement, et il disait tout haut
Ce Pontife voulut même donner au nouvel élu d'autres témoignages de son estime ; il se chargea du rapport à faire au Sacré Collège avant la préconisation, le dispensa de produire les attestations ordinaires de vitâ et moribus, se portant garant de ses vertus et de son aptitude aux fonctions épiscopales. En plein Consistoire, il fit son éloge avec une complaisance toute paternelle, et ordonna que l'expédition des bulles fût faite gratuitement, en reconnaissance des services qu'il avait rendus au Saint Siège. De la part d'un Pape aussi vénérable et aussi grand homme que le fut Grégoire XIII, des distinctions pareilles sont une gloire pour celui qui en fût l'objet et un riche héritage pour sa famille. Le souvenir mérite d'en être conservé avec un religieux respect à côté des autres souvenirs qui sont l'histoire de l'un des plus illustres noms de la Guienne, uni aujourd'hui au nom le plus aimé de la Vendée militaire.
Ce fut le jour anniversaire de sa première messe, le16 novembre 1572, fête de saint Émilion, que l'abbé De Pontac reçût la consécration épiscopale des mains du Cardinal de Pellevé, archevêque de Sens et ambassadeur de sa Majesté Très Chrétienne auprès du Saint Siége. Cette date est toujours chère à son coeur ; il voulut qu'elle fût pour lui, pendant sa vie et après sa mort, une époque de grâces et dans cette pensée, il donna au chapitre de Saint Emilion la somme de l.500 livres pour la fondation à perpétuité d'une messe à son intention. Il songea ensuite à prendre le chemin de son diocèse, où l'appelaient les voeux du clergé et des fidèles, et où bien des ruines réclamaient une main réparatrice. En vain lui montra-t-on en perspective pour le retenir, la pourpre romaine dont il serait décoré, si, prolongeant quelque temps son séjour à Rome et continuant à mettre son savoir au service de l'Église, il laissait au Souverain Pontife le loisir de réaliser un vœu formé depuis longtemps. En vain, l'important archevêché de Narbonne, dont les titulaires étaient à la nomination du Pape étant venu à vaquer sur ces entrefaites, lui fit-on connaître la pensée de Sa Sainteté de le transférer à ce siége s'il en manifestait le désir. Il partit sans vouloir rien entendre de ces flatteuses ouvertures, et, par son éloignement, détourna de sa personne l'attention de ceux qui voulaient briser les liens déjà si doux et si forts qui l'unissaient à l'antique et vénérable église de Bazas.
Ce fut là le premier gage de dévouement qu'il donna à son peuple : magnifique début qui dut faire heureusement augurer de l'avenir. Le nouvel évêque quitta Rome dans les premiers mois de l'année 1573, et fit son entrée solennelle à Bazas, le jour de l'Ascension. On l'y attendait avec impatience, et on l'y reçut avec d'autant plus d'allégresse, qu'on savait, déjà dans ce pays, si voisin de celui qui avait été son berceau, les grandes qualités de son esprit et de son cœur. Le clergé, avec tous les dignitaires du diocèse, le peuple conduit par les jurats, les communautés religieuses, se portèrent à sa rencontre jusqu'aux portes de la ville pour lui faire une réception triomphale. Selon l'ancien usage ce fut le seigneur de Roquetaillade, le premier baron du Bazadais, qui conduisit par la bride, la haquenée épiscopale jusqu'à la porte de la cathédrale au milieu des cris de joie d'une multitude heureuse de saluer celui, qui venait de si loin pour être son seigneur et son évêque. On ne connaît plus aujourd'hui ces enthousiasmes des temps anciens ; les populations s'émeuvent à peine quand arrivent au nom du Seigneur, ceux qui doivent gérer les intérêts sacrés de leurs âmes. Mais au XVI ème siècle encore, alors que le protestantisme avait déjà commencé à refroidir l'élan des peuples vers les choses spirituelles, la venue d'un évêque, du père de la famille diocésaine, était saluée comme un insigne bienfait du ciel.
Dans la circonstance dont nous parlons ce ne fut pas seulement la voix populaire qui se fit entendre pour jeter l'hosanna de la bienvenue autour du nouvel évêque : un religieux cordelier de la ville, le Père Caillau, du haut de la chaire de la cathédrale, se fit l'interprète du sentiment public. Son discours, fut imprimé à Bordeaux ; mais, malgré nos recherches, il nous a été impossible de le retrouver. A peine arrivé dans sa ville épiscopale, l'évêque ,de Bazas se mit résolument à l'œuvre. Trouvant un clergé bien disposé en sa faveur, heureux et fier d'avoir à sa tête un prélat d'un si grand mérite, il mit tout en usage pour se l'attacher par des liens indissolubles. Il y réussit si bien, dit son panégyriste, l'archidiacre Dupuy, que, jusqu'à la fin de ses jours, ce ne fut avec ses prêtres qu'un même jugement, affection et volonté. Son prédécesseur, François de Balaguier avait été en cela moins heureux : les difficultés qui ne cessèrent de régner entre lui et ses coopérateurs furent la grande épreuve de son court épiscopat. Tranquille de ce côté, messire Arnaud de Pontac tourna toutes ses préoccupations vers la réforme des mœurs. Celles-ci, depuis l'invasion du calvinisme dans cette partie de la France, n'avaient cessé de se corrompre, même parmi les populations des campagnes. L'évêque de Bazas sonda le mal et s'occupa de le guérir. Il employa pour cela tous les moyens que lui suggéra le zèle le plus apostolique, stimula l'ardeur du clergé, se montra dans, les églises les plus pauvres des landes bazadaises, enfin comme le Divin Maître, parcourut tous les sentiers pour ramener à Dieu les âmes égarées.
Il était partout où la vérité avait subit quelque atteinte, où ses exhortations étaient nécessaires pour ramener ses diocésains aux pratiques de la vie chrétienne. A Bazas, où l'hérésie avait régné en maîtresse ; où un moine de Langon, du nom de Solon, avait, pendant un Avent et un Carême, semé dans les âmes les erreurs du Calvinisme, où même, avant la prise de la ville en 1561, on avait chanté sous les voûtes étonnées de la cathédrale, les Psaumes de Clément Marot, il était nécessaire de donner au peuple un enseignement qui le prémunît à l'avenir contre les séductions de l'erreur. Le zélé et savant Prélat se chargea de ce soin, et tous les dimanches de l'Avent et du Carême, pendant trente ans, il fit entendre à ses enfants sa parole toujours écoutée avec avidité. En qualité de seigneur temporel, il prit aussi tout les moyens de mettre la ville à l'abri d'un coup de main, il craignait, et avec raison, le. renouvellement de la surprise et des violences qui avaient marqué d'une manière si sanglante la nuit de Noël de 1561. Loin de s'être calmée, la colère des partis n'avait fait que s'envenimer. Il fallait que les Bazadais fussent plus que jamais sur leurs gardes pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi. Ayant ainsi pourvu aux premières nécessités de son diocèse, messire Arnaud de Pontac fit un voyage à la cour.
Il y fut accueilli avec une bienveillance toute particulière, et son mérite fut tellement apprécié par le Roi qu'après l'avoir nommé membre de son conseil privé et lui avoir conféré le droit de siéger avec voix délibérative au Parlement de Bordeaux et dans toutes les Cours souveraines du royaume, il fut sur le point de lui confier la charge importante de chancelier de France. S'il ne fut pas donné suite ce projet, cela tint, uniquement au déplaisir que ressenti un peu plus tard Sa Majesté de la faveur exceptionnelle dont l'évêque de Bazas jouissait auprès de la reine mère Catherine de Médicis. Cette princesse, que les fluctuations de la politique rapprochaient et éloignaient du Pouvoir à des intervalles peu éloignés, avait alors momentanément perdu son influence auprès de son fils. Dans sa disgrâce, elle avait trouvé un conseiller dans le sage et savant évêque de Bazas. Mais on ne lui pardonna pas cet adoucissement à son infortune, et M. de Pontac lui-même fut puni d'être resté fidèle à une mère délaissée et à une reine malheureuse, quand la fortune ne l'était plus. Notre Prélat, peu ému de cet orage, reprit le chemin de son diocèse, s'applaudissant d'avoir sacrifié à l'indépendance de sa charité, une dignité qu'il n'avait jamais ambitionnée, et s'estimant heureux de reprendre les fonctions de son ministère. Il ne jouit pas longtemps du bonheur de se trouver au milieu de ses ouailles. Un édit royal venait de convoquer à Blois, 16 août 1576, les Etats du royaume, il fut élu pour représenter dans cette assemblée le clergé de la province de Guienne. Pour l'évêque de Bazas, une pareille élection fut sans doute un honneur, mais ce fut aussi un péril.
Les intérêts les plus sacrés, ceux de la foi compromis par le récent édit de pacification, allaient être débattus. Des passions ardentes allaient se trouver en présence ; une circonstance pouvait se présenter où les députés du clergé auraient à courir de grands dangers, entre la faiblesse du pouvoir royal et les exigences des huguenots ; Arnaud de Pontac n'hésita pas. Il partit avec la ferme volonté de remplir courageusement sa mission et de défendre, envers et contre tous, les intérêts sacrés de l'église. Persuadé que laisser à l'erreur sa libre expansion c'était trahir la vérité, il s'unit à la majorité des Etats pour demander qu'on maintînt l'unité de croyance et que la religion catholique fût la seule tolérée. Ce fut lui qui rédigea les instructions écrites qui furent données aux ambassadeurs chargés d'aller porter aux chefs protestants des paroles de paix et de conciliation, démarche qui n'amena aucun résultat favorable. Après que les Etats eurent été dissous sans avoir résolu le difficile problème de la pacification de la France, l'évêque de Bazas profondément attristé de la tournure que prenaient les événements, retourna parmi les siens, mais ce fut encore pour peu de jours. Les protestants étaient plus audacieux que jamais en Guienne. La ville de Bazas, dont ils convoitaient la possession, défendue quelque temps avec succès, succomba. Les soldats du roi de Navarre y entrèrent, mais Arnaud de Pontac l'avait quittée depuis quelques jours.
Ce fut à Bordeaux qu'il apprit cet événement et les malheurs qui le suivirent : l'assassinat du maire, la destruction de l'église Saint Martial, le sac de Saint Jean, la profanation des tombeaux de ses prédécesseurs, la dispersion de ses communautés religieuses, et les nombreuses apostasies amenées par la violence. Il ne détourna pas un seul instant ses regards d'un spectacle si affligeant pour son coeur, employa tous les moyens restés à sa disposition de secourir son troupeau, et parvint, à force d'argent, à arrêter la destruction déjà fort avancée de son église cathédrale. Pendant que le Calvinisme s'implantait ainsi au coeur même du diocèse Arnaud de Pontac assistait aux conférences de Fleix et de Nérac ; il réunissait un synode à La Réole, peu après un autre à Monségur, et assistait enfin à l'assemblée du clergé à Melun (30 mai 1579). Élu, dans cette dernière circonstance, pour porter la parole devant le Roi, il s'acquitta de cette charge avec une liberté tout apostolique. Sa remontrance contenait trois chefs principaux la nécessité de rétablir la discipline ecclésiastique, de publier et faire observer les décrets du concile de Trente, et de rétablir les élections. Le développement de ces trois points nécessitait des détails sur lesquels on ne pouvait insister sans s'exposer à encourir la colère de Sa Majesté. Notre Prélat ne recula pas. Lorsqu'on lit aujourd'hui ce magnifique discours, et qu'on se reporte au temps où il fut prononcé, on reconnaît aisément qu'une noble indépendance a toujours été une des vertus de l'Épiscopat, et que l'Église n'a jamais été asservie aux pouvoirs humains.
Elle a toujours été avec eux comme une reine, une reine d'origine céleste, jamais comme une servante. Arnaud de Pontac, en cette mémorable circonstance, fut son digne et glorieux représentant. Dans les pourparlers qui suivirent entre les délégués du pouvoir royal et ceux du clergé relativement aux subsides, demandés par la couronne, il joua encore un des principaux rôles. Les conférences à ce sujet furent longues et n'aboutirent à aucun résultat satisfaisant. Enfin, lorsque, avant la dissolution de l'assemblée, Nicolas l'Angelier, évêque de Saint Brieuc, se présenta au Roi pour insister sur les demandes déjà faites, l'évêque de Bazas était avec lui. De retour à Bordeaux, tout en veillant sur son troupeau et en faisant dans les parties de son diocèse que n' occupaient pas les protestants de fréquentes visite pastorales, il sut se concilier l'affection et l'estime des principales autorités de la province. Il se montra assidu au Parlement. Nous le voyons, en particulier, assister à la séance qui fut tenue pour recevoir les communications du duc d'Anjou revenant de son entrevue avec le roi de Navarre (1581). Dans cette occasion, dit Dom Devienne, il siégea à la droite du prince. Trois jours après, il suivit la procession solennelle qui fut faite en actions de grâces de la conclusion de la paix, avec les évêques de Dax et de Vannes. L'année suivante (1582), il fut encore député à l'assemblée du clergé tenue à Paris, dans le cloître de Notre Dame, sous la présidence d'Arnaud de la Beaune, archevêque de Bourges.
Ce fut ce dernier Prélat, accompagne des évêques de Bazas et de Noyon, qui porta au Roi, à Fontainebleau, les remontrances de son ordre. Il s'acquitta de sa mission avec savoir et éloquence, mais sans plus de succès que ses prédécesseurs. En 1583, un Concile Provincial fut convoqué à Bordeaux par l'archevêque Antoine Prévost de. Sansac. On y traita de la foi, de la discipline, de l'éducation des jeunes clercs, et là, comme partout, Arnaud de Pontac, qui en faisait partie en qualité de député royal avec l'archevêque de Vienne, exerça une incontestable autorité. Il signa, par privilège, les actes de cette assemblée qui obtinrent du Saint Siège la plus élogieuse approbation, avec l'archevêque de Bordeaux, les évêques : Jean Frégose d'Agen, Charles de Boni d'Angoulême, Nicolas de la Courbe de Saintes, François de Salignac de Sarlat, et avec les délégués des diocèses suffragants de Poitiers, de Luçon, de Maillesais, de Périgueux et de Condom. Cependant, les hérétiques régnaient toujours en maîtres à Bazas et dans les pays voisins. Le maréchal de Biron qui commandait en Guienne l'armée catholique, ayant fait une démonstration de ce côté, les calvinistes, quoique secourus par les soldats du roi de Navarre, furent obligés d'abandonner cette ville. Arnaud de Pontac y rentra aussitôt après leur départ. Mais quel spectacle s'offrit à ses yeux. Sa belle cathédrale ressemblait à un monceau de ruines ; la façade était découronnée, les statues des saints mutilées, les voûtes de la grande nef et des bas côtés abattues : c'était l'image de la désolation.
Les barbares de l'invasion, eux aussi, avaient passé par là, ils n'avaient pas laissé de leur passage une trace aussi profonde. A côté de la maison du Seigneur, le palais des évêques offrait l'image d'une place saccagée. Partout le fer et le feu avaient détruit ce que la piété des siècles avait édifié. Mais encore qu'étaient ces ruines matérielles comparées aux ruines spirituelles ? Dans cette ville autrefois si fière de se rattacher par le sang du Précurseur au berceau du Christianisme, qui brillait parmi les églises de la province Auscitaine par son antiquité, l'apostasie avait fait de nombreuses victimes. Il fallut relever les autels profanés ou détruits, réunir les pierres dispersées du sanctuaire, et surtout ramener à la vérité les âmes égarées. Jamais un zèle plus intrépide et une abnégation plus entière ne furent employés à une tâche si difficile. Messire de Pontac consacra le reste de sa vie à la restauration de sa cathédrale. Mais la rage des démolisseurs avait été si grande qu'il ne vit pas la fin de son oeuvre. Après sa mort, sa famille recueillit comme un précieux héritage le soin de continuer ce qu'il avait commencé et ce ne fut qu'en 1635 que l'église Saint Jean se trouva dans l'état où nous la voyons encore aujourd'hui. Il avait fallu cinquante ans de pénibles efforts et de sacrifices énormes pour réparer les ruines amoncelées en quelques années par l'hérésie.
En travaillant à relever la maison de Dieu le généreux prélat n'oublia pas la restauration de l'édifice spirituel de la Foi, si malheureusement ébranlé dans son diocèse. Il n'épargna pour cela ni les veilles, ni les courses apostoliques, ni les prédications. On le vit, comme un missionnaire infatigable, disputer à l'erreur l'âme de ses enfants avec un zèle au dessus de tout éloge et un succès qui le dédommagea de toutes ses fatigues. Cependant, en 1589, il fut encore député par la province de Guienne aux derniers États de Blois. Il y retrouva les mêmes égards de la part du roi, la même confiance de la part de Catherine de Médicis . Cette princesse qui termina pendant la durée des Etats une vie qui avait été si agitée, eut encore recours, pendait les derniers jours de son existence, aux conseils de l'évêque de Bazas. Celui-ci, sur ces entrefaites, fut désigné par le roi pour aller à la rencontre d'une princesse de Lorraine mariée au grand duc de Toscane. Dans une autre circonstance, dit l'archidiacre Dupuy,
Ce fut pendant la durée des États de Blois que roi Henri III nomma Arnaud de Pontac à l'archevêché de Bordeaux.
S'il faut en croire son panégyriste, le siége primatial de I'Aquitaine était vacant par la démission de l'archevêque Antoine Le Prévost de Sansac. Mais cette nomination n'eut pas d'autre suite, l'archevêque de Bordeaux revint sur sa détermination et l'évêque de Bazas, renonçant à des droits qui lui étaient contestés se résigna sans peine à mourir au milieu de son troupeau. Après son départ de Blois, où les passions religieuses et politiques avaient mis sous ses yeux des événements importants, quelquefois tragiques, et où il avait couru le danger d'être assassiné avec d'autres prélats, il ne quitta plus son troupeau jusqu'à l'assemblée du Clergé de 1604. Pour se rendre cette dernière fois dans la capitale, il passe par la Bretagne, séjourna à Rennes et au Mans, et partout se concilia par ses vertus et ses talents, la vénération de tous ceux qui l'approchèrent. A Paris, il présida les réunions du Clergé, assista au conseil du roi sur les instances qui lui en furent faites par le chancelier, de la part de Sa Majesté, et fut un des évêques qui allèrent à la rencontre du cardinal de Florence, légat du Saint Siège et depuis pape sous le nom de Léon XI.
Ses dernières années furent fécondes, comme les premiers jours de son épiscopat, en oeuvres dé zèle et de charité.
Il fonda une chaire de théologie à Bordeaux, qui lui coûtait 1.000 à 1.200 livres par année, et fournit de l'argent à force jeunesse pour s'entretenir aux études... Il nourrit force pauvres étudiants à Paris et envoya souvent des secours aux séminaires des pauvres écoliers. En 1598 il posa les fondements du collège des Barnabites ; cet établissement, aujourd'hui occupé par les dames Ursulines, fut achevé par Monseigneur Litophi-Maroni, l'un de ses successeurs. La même année, une peste terrible qui ravageait les contrées voisines, menaça Bazas. L'évêque, qu'on voulait forcer à s' éloigner, resta à son poste. Il mit tout en oeuvre pour conjurer le fléau, releva les courages abattus, et, comme l'archevêque de Milan, se fit propitiation et victime pour ses ouailles. Il eut le bonheur de voir sa ville épiscopale échapper aux redoutables atteintes du mal. Une épouvantable famine survenant bientôt après, il se fit le nourricier de ses enfants, et se dévoua tout entier à leurs besoins. Pendant deux ou trois ans, il donna du pain et des aliments à dix huit cents ou deux mille pauvres tous les jours. Sa charité s'étendait, à tout : Dans une circonstance il fit prendre les armes aux habitants de Bazas pour délivrer un nouveau converti, l'avocat Barjonneau, que des soldats protestants avaient pris et mis à rançon. D'autres fois, il fournissait aux prédicateurs qui allaient prêcher en Béarn, avec les conseils de son expérience, de l'argent, des livres et des chapelets. Lui-même envoyait à ses frais des prêtres dans ce pays.
Son archidiacre avait été de ce nombre.
Le vénérable prélat avait pour habitude de donner aux religieux qui passaient à Bazas la douzaine ou vingtaine, aux gens de lettres nécessiteux la cinquantaine ou centaine d'écus. Il faisait enfin tenir avec soin le rôle des pauvres de sa terre de Gans, ne voulant pas qu'un seul d'entre eux restât sans assistance. C'était là, il faut le reconnaître, noblement employer sa fortune et les revenus de la manse épiscopale. Un tel homme devait être universellement aimé, et il le fut en effet. Clergé et fidèles rivalisèrent toujours de vénération pour sa personne ; et quand il eut cessé de vivre, sa mémoire fut longtemps en bénédiction dans le Bazadais. Au milieu des discordes politiques qui agitèrent la France à cette époque, pas un évêque ne garda une attitude plus ferme et ne parla avec plus de courage en faveur des droits de l'Eglise. Ses remontrances au roi, à l'ouverture de l'assemblée de Melun resteront comme un éternel monument de dignité et d'indépendance. Elles suffiraient à elles seules pour assurer à leur auteur le souvenir de la postérité et l'admiration, de l'histoire. L'évêque de Bazas était de la famille de ces grands pontifes qui, par l'élévation de leur caractère, l'éclat de leur sainteté et l'étendue de leur savoir, donnent à leur mission une irrésistible autorité.
Il honora son ordre, son diocèse, son pays et l'Église tout entière. On se ferait difficilement aujourd'hui une juste idée de l'immense considération et du respect dont il fut entouré par ses contemporains. Son savoir contribua pour beaucoup à sa renommée : il fut théologien, coutroversiste, historien, mais surtout orientaliste distingué. Aujourd'hui encore ses ouvrages sont consultés avec fruit ; et, si les progrès de la science les ont rendus moins utiles, ils restent toujours comme un glorieux témoignage des connaissances étendues de celui qui les composa. Il fit paraître en 1566 sa traduction avec commentaires, des trois prophètes Abdias, Jonas et Sophonias et une chronographie s'étendant l'ère chrétienne à l'année même de cette publication. Pendant son séjour à Rome, il fit imprimer sur les jésuites, et sous le nom de monsieur de l'Ange, conseiller au Parlement de Bordeaux, une lettre qui fit du bruit et se trouve à la page 61 du plaidoyer de Dumesnil pour l'Université. En 1579, il publia ses Remontrances au roi, à l'occasion de l'assemblée du clergé ; en 1579, 1600 et 1601, trois ouvrages de controverse intitulés :
Ce dernier ouvrage fut dédié à Henri IV. Les termes de cette dédicace respirent le respect le plus profond et le plus entier dévouement.
0n sent, en lisant ces pages, que celui qui les a écrites avait foi en cette grande royauté française qui venait encore une fois de sauver la patrie, et qu'en lui l'amour de l'Église s'alliait à l'amour qu'il portait à son souverain :
Nous l'avouons sans peine, cette explosion de sentiments monarchiques nous va droit au coeur. Nous aimons, dans notre évêque, à côté d'un dévouement héroïque à la foi et à la liberté de l'église cet attachement profond à la royauté. C'était chez lui une tradition de famille, c'était aussi le résultat d'une conviction réfléchie. Il lui semblait que l'Église et l'État n'avaient rien à gagner à être désunis, et que c'était un devoir, en craignant Dieu, d'honorer le roi : Timete Deum, honorificate regem.
L'évêque de Bazas, qui se distinguait par des vertus et des talents qui brillent au dehors, possédait aussi au suprême degré les qualités qui rendent, un homme aimable à ceux qui l'entourent. La piété la plus douce et l'humilité la plus vraie tempéraient admirablement ce qui pouvait se trouver de rigide dans sa nature. Il était bon et affable à tous ceux qui l'approchaient, et ceux de sa maison l'aimèrent et le vénérèrent toujours comme un père. Je n'en voudrais pour preuve que l'oraison funèbre que prononça le jour de ses funérailles son archidiacre et son ami, l'abbé Dupuy. Cette longue composition , fréquemment entachée de mauvais goût, mais pleine de mouvement oratoire et d'applications heureuses de l'Écriture, renferme quelques pages d'une sensibilité touchante. On sent, en la lisant, que c'est un coeur ému qui inspire l'orateur et on se laisse entraîner par la sincérité évidente de sa parole. L'évêque de Bazas, après un épiscopat fécond durant lequel il avait reconstitué tout un diocèse, comme il avait reconstruit son église cathédrale, rasée par les hérétiques jusqu'aux fondements, après avoir honoré par ses vertus et son génie son caractère sacré, arriva, enfin au terme de sa carrière. Depuis longtemps malade de la pierre, il était allé chercher un peu de soulagement à ses souffrances auprès de sa belIe-sœur, Madame la présidente de Sales, qui habitait le magnifique château des Jauberthe situé à trois lieues de Bazas, dans un site délicieux. C'est là , au milieu des soins dont on ne cessa de l'entourer, qu'après avoir reçu tous les secours de la religion et donné à tous l'exemple de la piété la plus vive, il rendit son âme à Dieu le 27 du mois de février 1605, après 32 ans d'épiscopat.
Le bruit de sa mort amena au château des Jauberthes un nombre considérable de prêtres, de religieux et de séculiers de toutes les classes, qui ne cessèrent de répandre leurs prières et leurs larmes sur le cercueil de leur évêque. . Les honneurs funèbres rendus au prélat furent des plus pompeux. Ils sont racontés avec de précieux détails dans un opuscule dédié par l'archidiacre Dupuy à l'archevêque d'Auch, et réimprimé, il y a quelques années, par les soins de la famille de Pontac. Ce fut le 9 mars seulement que le corps du vénérable défunt fut transféré à Bazas, et le 19 qu'il fut mis au tombeau. Pendant l'intervalle de temps écoulé depuis la mort, les prières et les saints sacrifices ne cessèrent pas, auprès de la dépouille mortelle, soit au château des Jauberthes, soit dans la chapelle ardente de l'évêché, soit pendant les trois jours consacrés aux funérailles dans la cathédrale. Le diocèse tout entier prit part à cette manifestation de douleur :
En même temps des aumônes abondantes furent distribuées par les soins de madame la présidente de Sales, qui agit en toute cette occurrence avec une Magnificence et une générosité presque royales. L'évêque d'Aire, présida aux funérailles, et l'archidiacre Dupuy prononça l'oraison funèbre.
La tombe s'ouvrit ensuite pour enfermer les restes du pontife qui a jeté le plus d'éclat sur le siège épiscopal de Bazas ! Aujourd'hui quand on pénètre dans cette magnifique cathédrale qui est la sienne puisqu'il la reconstruisit tout entière par lui-même ou par ses héritiers, après avoir admiré les belles proportions de l'édifice, on est heureux de lire, sur une plaque de marbre noir placée au-dessus du maître autel, dans un endroit où le regard va naturellement se poser, l'inscription suivante que nous traduisons du latin
Ces quelques lignes, gravées par la reconnaissance, sont le seul signe qui rappelle Arnaud de Pontac aux Bazadais. Au dehors, une rue porte son nom. Son tombeau lui-même a disparu ;il avait été placé près de l'autel, du côté de l'épître. Le pavé de marbre qui couvre le sanctuaire, le cachant aux yeux, l'a peut être sauvé de toute profanation pendant les mauvais jours. Le tombeau de Bossuet est resté ainsi longtemps ignoré dans la cathédrale de Meaux, et pendant un siècle et demi, on n'a pas su où dormait son sommeil le grand et immortel évêque.
Nous ne nous plaignons pas de cette obscurité qui entoure quelquefois la tombe des grands hommes. Leurs oeuvres, leur sont un monument plus durable que les marbres les plus beaux et les plus fastueuses épitaphes. Celui d'Arnaud de Pontac, c'est l'église qu'il a réédifiée, c'est cette enceinte si pure et si harmonieuse, ce sont ces voûtes qui se courbent avec tant de grâce, c'est le souvenir de tous ceux qui ont pu connaître ses vertus et admirer son génie |
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Réalisée le 20 novembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le novembre 2005 Christian Flages