La
GARONNE
et ses
AFFLUENTS
DE LA RIVE GAUCHE
par
André
REBSOMEN
FERET
et fils éditeurs
9 rue de GRASSI
à BORDEAUX
1913
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Extraits :
concernant le CIRON,
rivière, ses
affluents
et les communes de sa vallée.
Les N° de pages
correspondent aux pages de l’ouvrage source.
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Le Ciron en latin Sirio, est de beaucoup la plus importante des rivières que nous avons à décrire. Il sort de la lagune de Lubbon, dans les Landes, traverse une petite pointe occidentale du Lot‑et‑Garonne et, entrant dans la Gîronde à 90 mètres d'altitude, arrose le territoire de la commune de Lartigue.
Son parcours dans
notre département est de 70 kilomètres et forme une immense courbe qui
s'arrondit vers l'ouest. Il enserre la plus grande partie de l'arrondissement
de Bazas, l'acculant à la Garonne au nord. Tout le territoire qu'il enferme
ainsi, par sa culture variée, son sol fertile, son altitude, ses habitants
même, tranche d'une façon très singulière avec la lande immense qui borde toute
sa rive gauche. Les rives du Ciron sont la limite même de cette démarcation
particulièrement nette et cette note caractéristique est certes une des plus
grandes singularités de cette région.
Lartigue
que le Ciron traverse n'offre aucun intérêt. Olivier de Rieubers en était
seigneur en 1273.
Suivant
son parcours, le Ciron passe au sud du bourg de Saint‑Michel de
Castelnau.
L'église
de ce modeste village, récemment reconstruite, ne conserve de l'ancien
édifice que le bas du clocher et la porte d’entrée du xrve siècle. Les anciens
usages s'y sont maintenus et les métayères déposent encore sur l'autel les
oeufs qu’elles veulent faire couver afin que les poulets soient bien conformés.
Les mères de famille placent également sur l'autel de la Sainte Vierge, les
chemises, les bonnets ou les robes des enfants qu'elles consacrent à Marie. Il
y a peu d'années chacun venait aux offices tenant à la main un petit cierge de
cire qu'il fabriquait et qu'il allumait dans l'église; les fumées de ces
lumignons emplissaient l'atmosphère et noircissaient la voûte. Enfin, en mai et
en octobre, de nombreux pèlerins accourent de fort loin en pèlerinage à Saint‑Michel‑de‑Castelnau
pour y fêter le céleste archange.
Bientôt les rives du Ciron s'élargissant, le ruisseau se
transforme en un
étang charmant aux rives boisées de pins et de chênes. La
végétation y est touffue comme celle des forêts vierges; au milieu des verdures
et des arbres de belle venue, de vénérables troncs à demi effrités s'inclinent
sous le poids des ans, du lierre et de la mousse. Au bord du rivage, les
plantes aquatiques verdissent les sombres eaux de ce gracieux petit lac dont le
calme et le silence n'est troublé que par le cri de la poule d'eau ou des
bécassines.
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Mais les eaux ne tardent pas à reprendre leur cours normal
et avant de redevenir rivière, l'homme a su les capter pour les nécessités de
son industrie. Une papeterie aux machines puissantes broye la paille de seigle
si abondante dans la contrée, pour en faire un papier roux mince ou épais,
Qui
des magasins aux offices,
Parmi
les cornets pleins d'épices
Sert
à transporter sans à‑coups
Et
les gigots et les saucisses.
(Le Ciron,
poésie de M. l'abbé Ferrand.)
Une cascade à la chute majestueuse qui brise la masse des
eaux du Ciron, un peu après un vieux moulin, l'arcade d'un pont en ruines que
les lianes enserrent, achèvent délicieusement ce petit coin de la lande
Bazadaise.
Un mince affluent du Ciron sur sa rive droite, le Gua sec,
nous fait découvrir à quelques cents mètres de là, bien protégé par une superbe
avenue d’ormeaux séculaires, le chàteau de Castelnau de Mesmes habité par M.
Edmond Lamothe de Mondion.
Du château primitif, il reste fort peu de chose, et les
restaurations ou additions faites au XVIIe siècle ont été encore considérablement
altérées au XIXe. On avait, en 1820, transformé cet édifice en forge et l’une
des vieilles tours de défense, appelée la Tour d’Epernon, aux murs épais,
consolidés par des cercles de fer était devenue un haut‑fourneau. Un
traitement aussi violent devait amener sa ruine et il n'en demeure plus trace.
Aujourd’hui, des agréments modernes qui gênent un peu
l’archéologue, on dégage facilement la masse principale du château, grand
équerre flanqué, à chacun des angles nord‑est, nord‑ouest et sud‑ouest
d'une tour ronde, l’une arrivant au niveau du toit, l’autre en reconstruction
sur remplacement de l’ancienne, écroulée en 1907, et la troisième à machicoulis
et crénelée, contenant la chapelle seigneuriale.
Au centre de l’équerre s'élève une sorte de tour
rectangulaire percée au rez‑dechaussée d'une porte ornée d'un fronton
brisé et d'un médaillon.
La toiture de cette tour est élevée et aiguë, tout comme celle du bâtiment principal. De grandes fenêtres à croisées, quelques‑unes ayant deux traverses superposées et terminées en haut par deux petits arcs en plein cintre, sont les seuls détails caractéristiques de cette architecture. Un jardin anglais recouvre les anciennes basses‑cours du château et le fossé nord‑ouest, à demi comblé, rappelle celui qui entourait jadis la forteresse. Enfin, de vertes prairies limitées par de beaux bouquets d'arbres complètent du côté nord-est cette agréable résidence.
Certes l'histoire du château de Castelnau‑de‑Mesmes
a été mieux conservée que le château lui‑même, et les archives anciennes
nous rappellent qu'un de ses premiers seigneurs, en 1242, était convoqué par
Henri III d'Angleterre, et qu'en 1294, Edouard 1er écrivait à
Bertrand de Mesmes, seigneur de la terre de Castelnau.
Cette même terre appartenait, dès 1421, à la famille de
la Motte, dont les principaux représentants furent Jean de la Motte, chevalier
d’honneur de la Reine, mort en 1500, et François 1er de la Motte, premier baron du Bazadais, mort
vers 1569. Ce dernier personnage avait épousé Marie de Ballanguier. Comme il
ne pouvait payer ses dettes, un de ses créanciers, Gaston de Béarn, seigneur de
Bonnegarde, arriva devant le château de Castelnau et en défonça les portes
malgré la résistance de ses défenseurs. Ce n'était que le premier des sièges
que cette forteresse allait supporter.
En 1574, la garnison protestante de Casteljaloux, comrnandée
par Théodore Agrippa d’Aubigné, le célèbre historien, était venue du côté
de Castelnau, et selon le récit qu'en fait ce dernier, avait pris le château «
par escalade ou par intelligence ». François 1er de la Motte était mort depuis 1569 et sa
veuve, Marie de Ballanguier, était maîtresse de ses biens. Elle usa de
l'influence qu'elle avait sur le marquis de Lavardin et fit désavouer cette
affaire par Henri, roi de Navarre qui renonça à sa prise.
Mais les vainqueurs ne voulaient pas lâcher leur conquête.
Alors on se servit pour les faire partir d'une ruse qui se retourna contre ses
auteurs.
Le capitaine La Salle du Ciron, catholique, accepta de mener
l'affaire. Il s’entendit avec deux soldats de la garnison qui consentaient à
lui ouvrir les portes du château quand sa troupe et lui se présenteraient. On
devait choisir le moment où d'Aubigné serait sorti pour quelque expédition avec
le gros de son régiment
Les deux soldats, par crainte ou par franchise, racontèrent
la chose à leur capitaine D'Aubigné feignit une sortie, mais au milieu de la
nuit rentra dans la place. Le lendemain matin, une bande de soldats de La Salle
se présenta à la porte d’entrée, vêtus, les uns en paysans, les autres en
femmes. Ils furent introduits dans la cour et se croyaient déjà sûrs du
succès, quand soudain des détonations retentissent de tous côtés, les balles
sifflent et quarante‑huit de ces malheureux tombent mortellement frappés
après une lutte inutile.
Pendant ce temps La Salle s'avançait suivi de 80 « salades »
ou chevau‑légers; un des siens, échappé au carnage, fut le prévenir à
temps et La Salle tourna bride, poursuivi par cinquante cavaliers huguenots qui
le pourchassèrent pendant quelque temps.
Marie de Balanguier voyait ses projets s'écrouler encore une
fois, elle se tourna alors vers l’amiral Honorat de Savoie, marquis de Villars,
qui s'était déjà distingué dans plusieurs affaires contre les réformés. Villars
accepta de venir occuper Castelnau à condition qu'il n'aurait pas à combattre
pour y entrer. Il emmenait avec lui quatorze pièces de canon qu'il
traînait à travers les sables de la lande. Mais à son arrivée, Villars aperçoit
une grosse troupe de cavalerie, et un corps d'arquebusiers qui stationnaient en
ce lieu avant de se rendre à Casteljaloux. Villars crut qu'on avait manqué à la
parole donnée, et laissant Castelnau, se dirigea d'un autre côté.
Quelques années plus tard, en 1592, le château de Castelnau
fut de nouveau assiégé et pillé par le maréchal de Matignon.
Ce n'est pas encore tout: les frondeurs après les huguenots
s'acharnent autour de
cette place et la ravagent en 1652. A
cette époque, les sieurs Marchin et Balthazar, généraux de l'armée du prince de
Condé, bombardent ses murs avec deux pièces de canon pendant deux jours,
obligeant sa garnison à capituler. Les appartements furent mis au pillage, des
charrettes pendant plusieurs jours emportèrent le mobilier. Les sieurs de Saint‑Michaud
et de Barbuscan y demeurèrent avec leurs soldats pendant six mois au nom du
prince de Conti.
A
ce moment Castelnau était un marquisat et appartenait à la célèbre Guyonne de
la Motte,fille de François II de la Motte, maréchal de camp des armées du Roi,
mort en 1624.
Guyonne
s'était mariée cinq fois, d’abord avec Jean de Gourdon, marquis deVaillac,
puis, en 1652, avec le marquis de Villefranche; après lui elle avait épousé le
sieur de Brue, président , du Parlement
de Bordeaux, et enfin s’était donnée à Jean d’Espagnet, président à
mortier du même Parlement.
En 1698, nous trouvons Castelnau aux mains de messire Gaston
de Bouzet, marquis de Poudenas, et enfin, à la veille de la Révolution, devenu
la propriété de messire Jean de Brethon, marquis de Castelnau, premier baron du
Bazadais.
Si nous remontions le cours du Gua Sec pendant quelque temps
et que nous inclinions vers la gauche, nous pourrions arriver, au milieu des
pignadas, à une petite source limpide et ensuite à une motte de sable
recouverte de débris de briques et de pierre. C'est là que s'élevait la
chapelle de la Magdeleine, dont l'ancien bénitier sert maintenant de borne au
département à quelques cents mètres de là. à Bourdassay, non loin du lieu
appelé les Trois Chênes, la station de Tres Arbores de l'ancien
itinéraire de Bordeaux à Jérusalem.
Un peu en aval de Castelnau, le Ciron reçoit sur sa rive
droite le ruisseau de Garillon et sur sa rive gauche le Thus.
Le Garillon nous mène à Goualade. Une verrerie, située sur
les bords de ce ruisseau, près de la grande route et de ce village, avait, en
1785, pour directeur un gen
tilhomme verrier très habile, M. de Verbigin. Ce n'est là qu'un souvenir
dont les années ont effacé la trace, mais le temps a respecté l’église
paroissiale de Goualade, qui domine le petit ruisseau et la route du haut d'un
tertre élevé où elle est fort pittoresquement située.
Des marches en pierre conduisent à la porte d'entrée abritée
d'un porche: au‑dessus s'élève le clocher pignon et sa bretèche pour les
cloches, flanqué, à droite, d'une tour ronde. Autour de l'église, vers le
chevet est peinte une litre funéraire paraissant aux armes des seigneurs de La
Trave, ce qui n'est pas la moindre curiosité de cette église. A l'intérieur, le
sanctuaire Renaissance est orné d’un rétable en bois sculpté portant en bas‑relief
l’Annonciation et la Cène. Le maître autel est dédié à Saint‑Seurin,
tandis que dans la chapelle du bas‑côté gauche, une bonne toile
représente saint Antoine, et que le bas‑côté droit est consacré à la
Sainte Vierge. Ces trois patrons de l'église ont chacun leur fête, leur « botte
» comme on dit dans le pays, mais celle de saint Antoine, le premier dimanche
de mai, l'emporte sur les autres.
Le Thus est un affluent du Ciron assez important qui le
relie à Giscos, humble village perdu au milieu des pins.
Non loin de là, un peu en aval, deux autres localités
avoisinent le Ciron, chacune sur une rive, Lerm. et Escaudes.
Lerm est situé sur un plateau élevé d'où l’on découvre de
tous côtés les masses uniformes des pins qui se perdent dan le lointain. Le sol
de cet endroit est particulièrement fertile et forme comme une oasis au milieu
de la lande. Des jardins tout remplis d’arbres fruitiers, pommiers, pêchers ou
autres, encadrent agréablement des maisons bien bâties.
En 1272, Bertrand de Ladils possédait en ces lieux, des
terres dont il faisait hommage au roi d’Angleterre, et dès 1283, la paroisse
était sous la dépendance des évêques de Bazas qui y possédaient un château. Le
nom des « Tourasses » appliqué à une maison moderne rappelle seul cet édifice
aujourd’hui disparu. Au XVIIe et au XVIIIe siècles, la famille de Lespinasse
qui s'illustra au présidial de Bazas, y avait aussi acquis des terres.
L'église de Lerm, au clocher pignon à quatre ouvertures, est
précédé d'un porche daté de 1630 et n'offre pas d'intérêt.
Le village d’Escaudes n'est intéressant que par son église
particulièrement. Son entrée est précédée d'un porche fortifié du XVIe siècle
sous lequel se conserve encore le coffre aux oblations ou « accoussures » en
bois de chêne percé en dessus de trois ouvertures correspondantes à trois
divisions intérieures, et où les fidèles versaient le seigle, le mais ou le
millet. C'était le sacrifice volontaire que les métayers s'imposaient pour
obtenir le secours divin lorsqu'eux ou leurs animaux étaient malades.
L'intérieur de l'église est divisé en trois nefs. La grande nef est recouverte
d'une voûte d’arêtes à nervures du XVIIe siècle. Le bas‑côté de gauche a
aussi une voûte à nervures prismatiques avec une clef datée de 1548: l'autel
dédié à saint Eutrope est un centre de pèlerinage
pour les malades du pays. Quant
au bas‑côté droit, il est placé sous le vocable de saint Raphaël. Sa
voûte est ornée d'une clé pendante cylindrique où l'on a gravé une inscription
presque illisible. On ne peut guère y comprendre que la date de 1677, le nom du
patron de la chapelle et celui du donateur « Joseph Isbar ». Le choeur est
carré et de style roman : à l'extérieur des modillons figurant des têtes
humaines supportent une corniche. Enfin, dans la sacristie se conservent des
ornements du XVIIe siècle.
Sur la paroisse d’Escaudes, un peu perdu dans les bois et
dans la lande, se rencontre le château du Boscage, propriété de M. Camille
Darquey.
Son porche d'entrée est daté de 1678. Sa large cour
intérieure, close de murs et de servitudes sur trois côtés, est achevée, au
nord, par la maison d'habitation, corps de logis à un étage, complété au centre
et aux extrémités de pavillons et appartenant au XIIe siècle. Aujourd'hui c'est
une métairie; jadis, c'était la maison de campagne de l'importante famille de Laborie,
dont les représentants s'illustrèrent au Présidial de Bazas, au Parlement de
Guyenne ou dans les armées du Roi, et dont l'hôtel, près de la mairie, sur la
grande place de Bazas, donna l’hospitalité à Louis XIV, à l’infante Marie‑Anne‑Victoire
et au duc d'Angoulême.
Presque en face du château du Boscage, le Ciron reçoit les
eaux d'un de ses principaux affluents, le Barthos, qui lui‑même est
grossi de plusieurs petits ruisseaux. L’un d'eux, le ruisseau d’Artiguevieille
prend son nom d'une ancienne paroisse rappelée aujourd'hui par son humble
église, lieu de pèlerinage en l'honneur de saint Michel. Autrefois, les sires
de Langlade de Ladils, de Lacase, de Sauviac, ainsi que les abbés de
Fontguilhem avaient des droits féodaux en ce lieu. Au XIIIe siècle, on y
rencontrait une forme de propriétaires ruraux très spéciale, celle des
possesseurs de petites terres allodiales ou féodales qui se donnaient le titre
d'hommes francs du roi ou d'hommes libres.
Un peu en amont du confluent du ruisseau d'Artiguevieille,
nous arrivons à une autre ancienne paroisse, celle de Musset. De la
construction de l'ancienne église il ne demeure plus qu'un morceau de mur qui
sert de clôture à un petit cimetière, près du Barthos. Une modeste chapelle
moderne construite un peu plus au sud et perdue dans les bois, conserve, de
l'ancien mobilier, la cloche, datée de 1784, don de Félix d'Arcos, habitant de
Birac, et une petite statue en bois, de saint Jean.
Le moulin de Musset appartenait aux seigneurs de Castelnau
de Mesmes, tandis que plus haut le moulin de Monge ou des moines, situé dans un
site charmant, évoque le souvenir des religieux de l'abbaye de Fontguilhem,
dont il était la propriété.
Parti du voisinage de l'ancienne petite église de Magnac
située dans un endroit solitaire, le ruisselet de Chantemerle se jette non loin
de là dans le Barthos. Il sert de limite naturelle aux deux localités de
Marions et de Lavazan, tandis que le ruisseau de Sillas conduit au village de
ce nom.
Une tradition qui fait un peu sourire rapporte que les
armées de Marius (Marions) et de Sylla (Sillas) se rencontrèrent dans ces
parages et se livrèrent bataille. Après le
combat, chaque soldat lava le sang (Lavazan), dont il était
couvert, dans le ruisseau de Chantemerle.
Marions n'offre d'intéressant que la maison ancienne de
Brocas avec fenêtres à meneaux, qui, en 1671, appartenait à noble Gabriel de
Brocas. Lavazan et Sillas gardent encore leurs églises à abside romane
restaurées au XVIe siècle et sans grand
cachet. Sur ce haut plateau qui s'étend au delà de la rive droite du Barthos et
dans cette région dont nous venons de parler, la culture du tabac a pris,
depuis quelques années, une extension considérable.
Reprenons maintenant notre route vers l'ouest et regagnons
la rive boisée du Ciron qui serpente au milieu des forêts de pins et, la
papeterie de Tierrouge franchie, nous suivrons le petit ruisseau du Martinet
pour arriver, grâce à lui, tout près de Cudos et de son église, seul monument
ancien qui puisse nous arrêter en ce lieu.
Sous un porche ouvrent les trois portes de cet édifice: au
centre, une entrée surmontée d'une arcade trilobée, à droite et à gauche, des
portes Renaissance. Des clés de voûte dans le bas‑côté gauche portent des
armoiries et une date du XVIIe siècle; une belle grille de communion, en fer
forgé, se rattache au style Louis XV. A l'entrée du cimetière, une porte en
plein cintre surmontée d'un fronton avec une croix de pierre sculptée et un
petit mur assez bas complètent d'une façon originale cet ensemble.
En descendant le coteau vers le sud, la pente devient de
plus en plus accentuée et bientôt nous entrons dans Beaulac.
Reposons‑nous quelques instants en cet agréable lieu
et accoudons‑nous sur le parapet du pont de pierre dont l'arche élégante
fait passer au‑dessus du Ciron la grande route nationale pavée qui va de
Paris à Madrid. Non loin de nous voici des bouviers qui guident leur attelage :
cette paire de boeufs couverte d’un drap blanc traîne une charge encore plus
pesante que sur les chemins ordinaires, grâce aux ressauts des pavés.
Au-dessous de nous, dans un ravin étroit, tout embroussaillé d'arbres et de
branches, les eaux jaunâtres de la rivière décrivent une courbe pleine de grâce
et de charme. Un bruit sourd et régulier nous rappelle la fonderie à laquelle
le Ciron donne la vie et le mouve
ment. Ses hauts‑fourneaux
et ses feux d'affinerie demeurent dans cette région des landes, les derniers
restes d'une industrie jadis florissante qui exploitait le minerai de fer
hydraté de l'alios ou des sables siliceux du pays et qui recourt aujourd'hui
aux minerais d’Espagne. M. E. Darquey dirige actuellement cet établissement
métallurgique.
Dans le bourg, un ormeau séculaire ombrage encore une
hôtellerie, ou « hospitalet », où les pèlerins de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle,
au cours de leur longue route, trouvaient asile de jour ou de nuit. Une vieille
porte cloutée et un escalier de pierre à l'intérieur caractérisent cette
demeure. Dèe 1262, Amanieu VI d'Albret laissait 200 sous à l'hôpital de Beaulac
et en 1594, le pape Clément VIII donnait le prieuré, la commanderie, l'hôpital
et le moulin de Beaulac aux Feuillants de Bordeaux qui les cédaient ensuite, en
1603, aux hospitaliers de Saint‑Antoine, que Pontdaurat nous a déjà fait
connaitre.
Le moulin de Chaulet, au cadre si pittoresque, une fois
franchi, nous pouvons monter par un chemin boisé qui nous conduira à un
gracieux vallon, dominé par l'église de Bernos. Cette église conserve sur un de
ses piliers une inscription en lettres gothiques fixant à l'an 1523 la date de
sa construction et le nom de son fondateur, Amédée de Cazeneuve. Devant
l'église, une petite halle abrite un perron à triple escalier, peut-être ancien
perron seigneurial.
Nous pouvons rappeler ici que Bernos fut le siège d'un
archîprêtré d'où dépendait, entre autres, les paroisses de Bazas, y compris sa
cathédrale, et qu'en 1789, le seigneur de Bernos était Jacques‑Justin de
Chillaud.
Poursuivant vers l'ouest, nous ne tardons pas à apercevoir
la masse du château de Libet du XVIe siècle, qui appartint jadis à la famille
de Lescale, et qu'occupe aujourd'hui M. Cazenave. Près de la route, une vieille
croix ombragée d'un ormeau servait jadis de limite aux deux paroisses de Bernos
et de Thaleyson, cette dernière aujourd'hui disparue, est rappelée par une
métairie de ce nom qui fut l'ancien presbytère.
Du sommet du coteau de Labarie où nous nous sommes arrêtés,
près de la vieille croix, une vue magnifique se déroule sous nos yeux. Des
prairies verdoyantes closes de haies et de barrières en bois s'animent de
bestiaux aux formes superbes, tandis que des pins francs lèvent leur panache
vers le ciel. Comme un immense tapis qui se perd dans l'horizon, les milliers
de pins de la lande forment une masse compacte dominée par la ligne régulière
des peupliers de la route d’Espagne qui mène au blanc clocher de Captieux.
Quittant ce lieu plein d'attraits, nous descendons vers le
Ciron qui se cache dans les arbres, et nous allons chercher à suivre ses bords.
C'est chose difficile, ses rives sont presque à pic, dominant le cours d'eau de
près de vingt mètres de hauteur et un voile épais de verdure dérobe aux yeux la
rivière dont on entend à peine le léger bruissement.
Cette végétation est surtout formée de taillis de chêne, de
massifs de pins et même de hêtres vigoureux.
Soudain une éclaircie se produit et nous voici devant
l'embouchure de la Gouaneyre,
« les eaux noires », en patois gascon. Glissons‑nous au milieu des
arbustes et des arbres qu'arrose ce ruisseau et remontons son cours.
Après quelque temps de marche au milieu de cette forêt
vierge nous inclinerons vers l’ouest pour atteindre d'abord le Brésigual
ancienne habitation féodale aux croisées intéressantes, puis la Graville.
Deux édifices existaient à la Graville le manoir et le couvent.
Le manoir, encore debout, appartenait à M. de Quincarnon, du
présidial de Bazas, qui, en 1646, le légue aux solitaires de Port‑Royal,
à charge d'y établir un séminaire. Ceux‑ci refusent, mais les religieuses
de Port‑Royal, substituées à eux, acceptent ce legs que peu après elles
abandonnent, en 1655, aux Ursulines de Bazas. Le manoir vendu à la Révolution,
fut acheté par le colonel Villars, ancien officier du premier empire. Il est
maintenant la propriété de M. Marcel Courrégelongue, sénateur, conseiller
général et maire de Bazas.
Quant au couvent de la Graville, il n'en demeure plus que
des traces. C'est tout près de la Gouaneyre, au lieu dit le Coumben, un peu en
aval du poétique moulin de Basset que l'on retrouve aujourd'hui avec peine,
dans le sable, des débris de ses fondations. Ce monastère appartenait à l'ordre
des Carmes. Il fut fondé en 1641 au moment où cette congrégation célèbre
commençait en France à jeter le plus vif éclat. Le père Blanchard, originaire
de Clermont, trouva en ces lieux, le « désert » convenable à la vie
contemplative de son ordre, et, protégé par l'évêque de Bazas, autorisé du Pape
et du Roi, il put, grâce à la générosité de M. de Quincarnon, mettre son projet
à exécution.
Nous savons peu de chose de cette communauté qui vécut
seulement neuf années, mais qui s'illustra plutôt tristement par un de ses
membres, le fameux Jean Labadie. Labadie, né à Bourg‑sur‑Gironde,
en 1610, fut ordonné prêtre à Bazas, et erra de diocèse en diocèse et de
congrégation en congrégation. Il finit par échouer à Port‑Royal, revint à
Bazas, d'où il fut chassé à raison de ses opinions hérétiques et enfin se
réfugia à la Graville près du Père Blanchard (1649). Peu à peu, abusant de la
confiance et de la crédulité des religieux, il arriva à les dominer et à leur
imposer les excentricités les plus singulières en même temps qu'un mysticisme
égaré. L'évêque de Bazas, Martineau de Turé, dut intervenir avec la force armée
pour rétablir l'ordre dans le monastère. Labadie s'enfuit et se réfugia à
Castets‑en‑Dorthe, près de Fabas. Là, il embrassait le
protestantisme, puis il passa à Genève et mourut en 1674 en Prusse.
L'année du départ de Jean Labadie (1650), le Père Blanchard
quittait la Graville, les autres religieux se dispersaient, et le couvent
retournait à la famille de Quincarnon qui le garda jusqu'à la Révolution.
En continuant à remonter le cours de la Gouaneyre, nous
découvrons un endroit où aboutissent un grand nombre de petits ruisseaux qui
arrivent du fond des landes. L'un d'eux, le Jambon, nous conduit tout droit au
bourg de Captieux.
Captieux ne tire son importance que de sa situation sur la
route d'Espagne c'est l'étape qui suit
Bazas en allant vers les Pyrénées. C'est là où s'arrêtèrent, par la néçessité
des relais, tous les grands personnages dont nous parlions
précédemment à propos de leur passage à Bazas. En 1571, Jeanne d'Albret y
couche, en 1581, Henri IV y dîne. En 1660, Louis XIV y passe la nuit et un
tremblement de terre vient troubler son repos. La sentinelle qui veillait sous
les fenêtres de sa chambre, effrayée et ne comprenant pas le phénomène, se mit
à crier : « Aux armes! » Le roi se leva et s'étant rendu compte de la cause de
l'alerte se recoucha paisiblement. Un peu plus tard, en 1674, la noblesse des
sénéchaussées de Périgueux, de Sarlat et de Bergerac se réunit à Captieux, en
tout, cent gentilshommes avec leur équipage. Ils étaient convoqués par le
maréchal d'Albret pour repousser les invasions probables des Hollandais et des
Espagnols. En 1745, c'est l’infante Marie‑Thérèse‑Antoinette‑Raphaële
qui passe à Captieux, arrivant d'Espagne pour se marier au Dauphin Louis, fils
de Louis XV. Elle descend à la cure, seule maison convenable du lieu, où l'on
avait fait de grands frais d'installation, et en son honneur on planta de pins
la route de Captieux à Bazas pour rompre la monotonie du paysage.
Quant à l'histoire de Captieux, elle est brève à narrer, les
documents sont courts et rares. Nous savons qu'en 1273, Pierre de Cabanes et
Guillaume de Lugarosse de Captieux sont tenus au devoir d'étage envers leur
seigneur, probablement Gaston de Béarn, qui, à cette époque avait des droits
seigneuriaux en ce lieu.
En 1299, Guichard de Marciac, commandant l'armée de Guyenne
pour Philippe le Bel, protège le château de Captieux contre les Anglais. Plus
tard, en 1425, Isabelle, comtesse de Foix, conclut une trêve avec Jean de
Radcliff, sénéchal de Guyenne, en vertu de laquelle les Anglais pourront aller
et venir dans sa terre de Captieux, sans que les habitants aient quoi que ce
soit à redouter de leur part. Lors de la guerre de Richelieu avec les
protestants (1621), on poursuit les rebelles qui courent « le plat pays »,
notamment ceux qui composent la garnison de Captieux.
Nous disions que Captieux avait un château, il n'en reste
plus traces. Ses anciens remparts crénelés, ses portes, ses fossés, ses donjons
ne sont plus. Son couvent de cordeliers avec hospice et chapelle a disparu
ainsi que son ancienne église où la chapellenie de Saint‑Gabriel
rappelait la fondation de la veuve de Jean de la Loubère, continuée par les
sieurs de Testa,. ses descendants.
Quand nous aurons mentionné le médaillon ancien de la Vierge
et de l'Enfant, souvenirs d'une ancienne chapelle, enchassé à la métairie de
Moutchan, la fontaine de Saint‑Blaise, les scieries de bois, les
fabriques de paillons de paille de seigle, les tuileries, nous aurons tout dit
sur le Captieux ancien et moderne.
Nous aurions cependant encore à parler de cette contrée des
landes, bien intéressante par ses moeurs et son originalité.
Nous aurions à décrire ces vieilles métairies à l'ample
toiture de tuiles creuses posée sur un mur de torchis et soutenue par des
assises en briques. Elles forment un angle largement ouvert et présentent
toujours à l'est, côté opposé au vent de pluie, un devant de porte abrité,
ayant sur le côté une chambre de débarras en saillie. Deux poutres, maîtresses verticales
soutiennent le toit qui surplombe en auvent. En‑dessous les poules
picorent, les enfants jouent, la ménagère prépare la « cruchade » faite de
farine de maïs ou la « miffiasse » petits pains ronds de farine de millet Pour
les cuire, elle les porte au. four, au « hourn » sans cheminée, coiffé d'un
toit carré de tuiles, édifié tout près de la demeure et qu'elle chauffera avec
de la brande. De beaux chênes noirs ou rouvres donnent une ombre bienfaisante
près de l'habitation et tranchent sur la monotonie des pins environnants; dans
leurs basses branches on a mis le « pourey » ou poulailler, afin que la
volaille soit à l’abri des dents pointues des renards ou des fouines. C'est
pour cette gent ailée que l'on a semé dans le voisinage la millade, pour les
bestiaux que 17on cultive ce champ de topinambours aux fleurs d'or, et pour les
oies et les cochons que l’on conserve ces lourds épis de maïs.
D'autres animaux plus petits qui se nourrissent tout seuls
et qui donnent aussi un revenu avantageux sont installés dans un coin
tranquille et isolé ce sont les abeilles. dont on ira à la fin de la saison,
vendre à Captieux le miel assez estimé bien que grossièrement recueilli.
Dans l'étable aux litières faites de bruyère, on entend
mugir les vaches bazadaises utiles par leur travail robuste et les vaches
bretonnes qui donnent le lait et les veaux..
Un puits creusé parfois à une grande profondeur fournit
l'eau nécessaire à tous ces êtres vivants. Pour amener le liquide à la surface
du sol, une longue antenne basculant en son centre sur un montant vertical
retient le seau suspendu à son extrémité au moyen d'une perche légère,
rappelant les puits égyptiens.
Tout cet ensemble forme un tableau pittoresque plein de
curieux et très gracieux détails. Et le soir, à l'automne, « à la basse »,
comme l'on dit en patois, quand le soleil est très bas à l'horizon, que ses
rayons flamboient à travers la masse des pins élevés, que sous les bois, la
fougère commence à prendre les chaudes teintes de la rouille, et que les.
feuilles flétries des chênes tapissent le sol, le métayer ramène à sa demeure
son attelage
indolent. A ce moment l’atmosphère commence à s'imprégner des
brouillards de la nuit, les odeurs délicieuses de la nature se mêlent aux
bonnes senteurs d'étable que ces boeufs laissent en un odorant sillage. Les
vaches conduites par un jeune berger rentrent doucement à la métairie en
agitant leurs sonnettes harmonieuses dont le tintement folâtre se mêle au son
plus grave de l'Angelus du soir
Puis tout se tait, la
nature et les hommes vont prendre leur repos.
Le silence a levé son
doigt mystérieux Et la lune apparaît lentement dans les cieux. (Camille
Delthil, Les Sonnailles.)
C'est également à l'automne que toute cette région du
Bazadais s'agite et se passionne pour son sport préféré : la chasse à la
palombe. Quel entrain, quel branle‑bas, quelle fièvre intense! Tout le
monde est devenu chasseur, depuis le cultivateur qui pioche le sol avec son
fusil en bandoulière, prêt à faire feu, jusqu'aux gamin qui sortant de J'école
poussent le cri mystérieux et sacré : « Semè_ ro ! Semè... ro !
», quand ils voient voler dans les airs l'oiseau tant recherché.
La palombe est un pigeon sauvage au plumage brillant bleu
cendré, au poitrail et au cou irisé cerné d'une blanche collerette. Ses pattes
sont roses et son bec jaune ou rouge. Les palombes commencent à arriver par
milliers du nord de l'Europe vers le 15 septembre, se dirigeant vers des
contrées au climat plus doux: l’Espagne ou l'Afrique.
C'est alors que le chasseur avisé a organisé comme il
convient sa palombière et ses appeaux. La palombière se compose d'abord de la
cabane des chasseurs qui forme un couloir plus ou moins long, comme une galerie
de mine, fait en branchages et laissant de place en place quelques ouvertures.
Au‑dessus de cet abri dans les branches élevées des pins, on installe une
mécanique sur laquelle sont posés les appeaux qui est elle‑même reliée à
la cabane par des cordelettes. Quand le vol de palombes est proche, on tire
avec art les ficelles, la mécanique bascule, les appeaux battent des ailes et
les palombes sauvages se rapprochant de leurs congénères, se perchent sur les
branches voisines. La première opération ayant réussi, il s'agit d'attirer le
gibier à terre. Devant la cabane s'étend un grand rectangle soigneusement
aplani, c'est le « sol ». On lance sur le « sol » d'autres appeaux appelés «
poulets», qui à l'inverse des premiers ont les ailes liées et les pattes
libres. On a répandu sur le sol du blé en abondance, les « poulets » s'y
précipitent. Le chasseur doucement roucoule, il « chante la palombe ». Les
oiseaux perchés au sommet des pins voient avec quelle avidité et satisfaction
leurs semblables d'en bas se régalent de blé, ils se laissent duper encore par
ce dernier stratagème et descendent les uns après les autres prendre part au
repas. Voilà toutes les palombes agitées et heureuses, ne perdant pas un coup
de bec. Soudain un déclanchement s'opère et les deux grands filets ou pantes
qui bordent les deux côtés du sol et que les imprudentes n'ont pas vu, se
rabattent, aussi prompts que l'éclair. Tout le vol est captif, se démenant,
mais en vain, sous les rets perfides. La journée a été bonne!
Le vent et le temps ont sans doute été, eux aussi,
favorables, car ils jouent un grand rôle dans cette chasse et peuvent réduire à
néant toutes les plus savantes combinaisons. La date est également un facteur
puissant : demandez aux Bazadais ce qu'ils pensent du 18 octobre. « A la saint
Luc, disent‑ils, le grand truc ». Ce jour‑là est le point culminant
de leur saison cynégétique et provoque la mobilisation générale de tous les
chasseurs de palombes. C'est alors que dans toutes les demeures on se nourrit
du délicieux gibier, cuit au four, en salmis, à la broche, chacun le
prépare, le déguste, le savoure. C'est la spécialité du pays, le régal
des gourmets.
Mais, déjà notre lecteur a trouvé que nous nous égarions
dans les landes bazadaises, et pour un peu refuserait de nous conserver pour
guide. Qu'il nous pardonne d'avoir voulu lui décrire ces régions très spéciales
et mal connues et qu'il veuille bien maintenant reprendre avec nous notre
promenade des bords du Ciron.
Après
l'embouchure de la Gouaneyre, nous arrivons à la papeterie de Lauvergne, autrefois moulin à
foulon d’étoffes grossières, puis à l'embouchure du Bageran, petit cours d'eau qui semble, comme
d'ailleurs la plupart des autres ruisseaux
de cette région, se frayer avec peine un passage à travers le plateau assez élevé de la lande, et coule
au fond d'une tranchée. C'est lui qui nous mènerait à Insos
et
à Lucmau si nous ne craignions de fatiguer le patient lecteur. Insos, ancienne
paroisse à laquelle Amanieu VI d'Albret laissait,en 1268, cinquante sols par
testament, n'offre plus au voyageur que son église. située
dans un petit cimetière clos de murs
et perdu au milieu des pins et des chemins défoncés. Un porche abrite sa façade
principale composée d'un pignon triangulaire à une ouverture avec double
bretèche pour les cloches et d'un autre petit pignon à une ouverture au‑dessus
de l'arc d'entrée du choeur. A une faible distance de l'église, à l'est, on
peut reconnaître, sous les pins, les traces d'un ancien cimetière de
Protestants, où étaient enterrés jadis les ouvriers des verreries de la région
qui appartenaient presque tous à la religion réformée.
Lucmau possède une église au clocher pignon chargé d'une
bretèche appuyée sur des corbeaux en pierre à deux consoles superposées et
flanqué sur le côté d'une tour ancienne à pans hexagonaux. Son abside est
romane et le reste de la construction paraît être du XIVe siècle.
Au sud‑est de l'église on remarque le Castéra, butte
couverte d'herbe, entourée de fossés, et posée sur une pointe élevée de terre,
dans un vallon près du ruisseau. On y retrouve la trace d'une tour cylindrique
et quelques pierres émergent du sol. Seraient-ce les restes du château de
Bertrand de Ladils qui, en 1272, donnait au roi d'Angleterre les propriétés
qu'il possédait dans la paroisse de Lucmau? Nul ne le saura jamais.
Après l'embouchure du Bageran, nous voici sous la côte assez
abrupte des Gillets qui domine une importante papeterie dirigée par M.
Médeville et un beau pont construit d'abord en 1601, écroulé en 1886 et
réédifié en
1889.
Tout auprès, enfoui dans les arbres et placé à une courbe du
Ciron se dresse le château de Cazeneuve, bâti sur un banc de rochers,
actuellement la propriété du comte Charles de Sabran‑Pontevès.
Cette antique demeure appartenait en 1250 à Amanieu V
d'Albret qui, en cette année, rendait hommage pour cette seigneurie à Gaston de
Béarn. Au cours des XIVe et XVe siècle, il demeura dans la même famille et, en
1461, Antoine de Cazeneuve, sénéchal de Bazas, y habitait. En 1515, un
d'Albret, seigneur de Cazeneuve, rend hommage à FrançoiS 1er.
Enfin, Henri de Navarre, qui, d'après la tradition, aurait
envoyé sa femme, Marguerite de France, la fameuse reine Margot, passer quelque
temps à Cazeneuve, vendit le château et la baronnie, en 1581, à M. de Rancé.
Ces propriétés passèrent, en 1594, aux mains de Raymond de Vicose, conseiller
du roi, intendant des finances en Guyenne. En 1608, le château était ravagé par
les guerres, inhabité et inhabitable, il n'y avait plus que des masures.
Raymond de Vicose fit alors bâtir sur les fondations de l'ancien château ruiné
et laissa ses biens en mourant, en 1618, à son fils Henri. Ce dernier avait
épousé Marie de Favas qui devait plus tard se remarier avec le marquis de
Cabrerès, sénéchal du Quercy.
La fille aînée d'Henri de Vicose, Marguerite, hérita de
Cazeneuve et passa ce domaine, en 1648, à son mari, François de Caumont,
marquis de Castelmoron, fils du célèbre maréchal de la Force. Une fille de ces
derniers, Charlotte‑Rose, née à Cazeneuve en 1650, fut une romancière
féconde et de mérite qui eut son temps de vrais succès littéraires. Une autre
fille des mêmes, Marie, épousa, en 1674, Charles Bordeaux de Roche
fort, marquis de Théobon, et fut mère de Marie‑Guionne. Celle‑ci
se maria, en 1704, avec son oncle, Louis de Pons‑Saint‑Maurice,
maître de la garde‑robe du duc de Berry, et devint elle‑même dame
d’atours de la duchesse de Berry. Cette famille de Pons devait conserver
Cazeneuve jusqu'au commencement du siècle dernier.
L'ensemble du château affecte la forme d’un vaste triangle
dont la pointe se dirige vers le confluent du ruisseau de Honburens et du
Ciron. On y distingue deux parties principales. C'est d'abord le château
proprement dit, enveloppant une cour intérieure, dominant, au nord‑est et
au nord‑ouest, des lices qui l'enserrent et limité au sud‑est et au
sud‑ouest par un large fossé. Au‑devant de ces constructions
s'étend une grande basse‑cour dont les murs ou remparts ont disparu sauf
la porte d'entrée, porche dégradé tout couvert de lierre et d'un très
pittoresque effet.
Si l'on veut pénétrer dans le château, on commence par
franchir un pont de pierre à deux arceaux qui est jeté au‑dessus du grand
fossé. On arrive alors dans une cour entourée de bâtiments qui paraissent être
du XVIIe siècle. A l'intérieur on remarque la cheminée du salon chargée de
sculptures en pierre et en marbre, de la même époque et portant une citation
empruntée à la reine Margot: « Point ne font de laides amours ni de belles
prisons ». Au même étage se trouve une chapelle à trois nefs, avec voûtes à
nervures et balustrade en pierre, qui fut fondée en 1680 par Marguerite de
Vicose, marquise de Castelmoron.
Une végétation luxuriante, surtout du côté du Ciron, forme
un cadre de fraîcheur exquise à ce vaste château et ajoute le charme à la
grandeur
Nous disions que le ruisseau de Honburens bordait un des
côtés de Cazeneuve; nous compléterons ce détail en rappelant que ce petit cours
d'eau prend sa source au fond des landes, près de Cazalis. Cazalîs nous
rappelle l'hôpital fondé en ce lieu par les chevaliers de Saint‑Jean‑de‑Jérusalem,
auquel Amanieu d'Albret léguait mille sols en 1262 et qui était devenu
commanderie au XVIe siècle.
Au‑dessous de Cazeneuve, le moulin de Caussarieu sur
le Ciron, pourra nous arrêter un instant par sa belle chute d'eau, son site
gracieux et pittoresque et aussi par les restes du château du Battant, situés
sur la rive droite de la rivière, propriété de M. Dubois Dufresne.
Ces restes sont peu de chose; c'est d'abord un fossé creusé
dans le roc et fort bien conservé, qui du nord‑est passe à angle droit au
nord‑ouest et enveloppe une terrasse où devait s'élever jadis la
forteresse. Au sud‑ouest, coule le Ciron, et au sud‑est le petit
ruisseau de Pompéjac, aux cascatelles babillardes. Des débris de murs détruits
par la mine gisent bouleversés sur les bords de ce petit cours d’eau. Nous
savons qu'en 1383, un Bertrand de Pompéjac possédait Caussarieu, était‑il
aussi maître du château du Battant? C'est fort possible.
Nous parlons de Pompéjac pourquoi ne pas dire un mot de son
église et de sa maison noble de La Salle, habitée aujourd'hui par M. Caubit?
Cette église se distingue par son élégante abside à cinq
pans droits, éclairée par
deux fenêtres latérales très étroites et très hautes et au chevet par
une belle fenêtre ogivale. Sous la chaire placée dans le choeur existait, dit‑on,
une fontaine dans laquelle on plongeait les enfants malades. Dans le clocher,
une cloche du XVIIe siècle, armoriée, ne sonne que pendant les orages. Près de
l'église on remarque des chênes superbes.
La maison noble de la Salle se présente avec une cour carrée
entourée de bâtiments divers. Ceux du fond se composent d'un corps de logis
flanqué de deux pavillons carrés avec meurtrières. Deux tours rondes du XVIe
siècle protègent l'entrée de la cour. Cette maison appartenait à la famille de
Niac.
Au delà de Pompéjac est situé Marimbault, dont l'église
dépendait dès 1188 des chanoines de Bazas et qui renferme des débris de
mosaïques gallo‑romaines, à dessins intéressants trouvés dans le
cimetière.
Revenus à Caussarieu, nous nous laisserons aller doucement
au fil de l'eau, jouissant des beautés que la nature déploie devant nos
regards, nous sommes en effet dans la plus jolie partie du Ciron.
La végétation y est d'une variété extrême. Les tilleuls, les
peupliers, les vergnes, les chênes aux branches tordues enveloppées de lierre,
allongent leurs rameaux au‑dessus des fougères de la berge et des roseaux
de la rive.
Ces bords sont le plus souvent des rochers où s'accrochent
les racines des arbres, et dont les creux aux profondeurs ténébreuses sont
tapissés de plantes vertes à la gamme infiniment nuancée.
A travers l'eau jaunâtre et ferrugineuse de la rivière on
aperçoit le sable ridé en petites vagues et de ci de là quelque bloc de pierre
éboulé du rivage, émergeant à la surface, comme quelque monstre aquatique
endormi pendant sa baignade.
Au‑dessus de la rivière, des libellules vertes, bleues
ou dorées voltigent avec des papillons aux ailes étincelantes, tandis que dans
l'ombre mystérieuse du courant passent
et repassent les truites, les goujons, les anguilles, les
barbeaux ou les cabosses. Les oiseaux peuplent aussi ces lieux, les
canards sauvages, les poules d'eau, les culs blancs, les martins pêcheurs, les
bergeronnettes animent ce ravissant paysage de leurs cris et de leurs vols.
La barque du pêcheur s'avance silencieuse et rapide poussée
par la perche ou la rame. Les branches des arbres s'inclinent au‑dessus
d'elle comme pour voiler à l'homme
les mystères de
cette riche nature. Le calme et la paix de cette atmosphère délicieuse ne sont
rompus que par le bruit lointain de la cascade d'un moulin. A certains endroits
cet enveloppant rideau semble se déchirer et apparaissent de petites clairières
où la verdure aux tons variés se développe en un charmant décor tranchant sur
le ciel bleu. Quelques fontaines d'eau limpide de ci de là près de la rive
semblent inviter le voyageur à débarquer et à venir se reposer sous ces frais
ombrages.
Soudain, à une courbe de la rivière, au milieu des grands
pins et des peupliers se dresse une fantastique apparition. Ce sont les ruines
d'un petit château délabré couronné de restes de machicoulis, aux murs percés
de fines meurtrières. On l'appelle la Travette ou la Füe, l'histoire est muette
sur son passé et ses dispositions assez bizarres laissent mal comprendre sa
destination.
Bientôt la gorge du Ciron se resserre et se creuse de plus
en plus et nous arrivons au château de La Trave, situé sur la rive gauche, près
d'un pont élégamment jeté à dix mètres au‑dessus de la rivière.
On ne rencontre plus que des pans de murs bouleversés et des
fondations à la place de la construction primitive. Le plan de l'édifice était
rectangulaire, chaque angle fortifié par une tour carrée posée diagonalement au
tracé de la forteresse. Une basse‑cour séparée du château par un fossé
s'allongeait au nord‑ouest et l'ensemble était encore enveloppé d'un
fossé qui en faisait tout le tour.
Quand on pénètre dans l'intérieur du château, après avoir
laissé à gauche, surplombant au‑dessus du Ciron, un grand mur percé de
quelques ouvertures, on franchit un fossé et l'on a devant soi une porte basse
et étroite qui s'ouvre sous une tour carrée; elle était munie d'une herse.
Contre
le mur de cette tour vient s'appuyer un pan de mur qu'un examen attentif permet
de reconnaître comme ayant été renversé horizontalement sur sa tranche. Il présente
un aspect des plus curieux. Un peu plus loin, trois blocs de maçonnerie sont
couchés à terre. Ces quatre débris sont les restes du donjon. D'autres
fragments sont tombés.
dans
le Ciron où ils forment comme des récifs. Une mine puissante a seule pu
produire d’aussi importants ravages.
C'est qu'en effet ce château a subi bien des vicissitudes
depuis qu'Arnaud‑Bernard de Preyssac le bâtit en 1306. Ce seigneur était
qualifié de « soudan » titre singulier qui a un cachet mahométan ou égyptien et
qui symbolise sa puissance. On pense qu'il épousa la fille d'Arnaud‑Garcias
de Goth, frère de Clément V.
En 1356, son successeur, lui aussi soudan de la Trave, se
distingua à la bataille de Poitiers dans les rangs anglais, fit avec le Prince
Noir la campagne de Languedoc, et, changeant de parti, lutta avec ardeur aux
côtés de Du Guesclin à la bataille de Cocherel (1364). Revenu ensuite à la
cause anglaise, le même personnage accompagnait le Prince, Noir en Espagne pour
y soutenir Pierre le Cruel chassé du trône de Castille. En 1372, il combattait
sous les murs de la Rochelle, et, en 1378, assiégé dans Mortagne, tenait
courageusement tête à l'armée française. Tant de services rendus lui valurent
les faveurs
bien méritées des rois d'Angleterre, nouveau motif pour lui de leur
prodiguer son dévouement.
Nous le retrouvons, en effet, en 1381, avec le comte de
Cambridge, frère du Prince Noir, partant avec lui pour aller secourir le roi de
Portugal attaqué par les Espagnols. Une tempête disperse la flotte, le navire
où était le soudan de la Trave avec les seigneurs gascons, perdant sa
direction, franchit le détroit de Gibraltar, s'égare en Méditerranée et, après
de nombreuses vicissitudes finit par retrouver Lisbonne. Les seigneurs gascons
débarquent enfin et entrent dans une église où ils trouvent les barons et
chevaliers anglais vêtus de noir, célébrant les obsèques des disparus qu'ils
tenaient pour morts. Le soudan et ses compagnons demeurèrent un certain temps
en Portugal, attendant les renforts anglais. Ne pouvant contenir leur ardeur
belliqueuse, ils organisent des chevauchées et des expéditions en Espagne,
malgré les ordres de leurs chefs, et aussi malgré la pénurie de leur solde.
Enfin, le Portugal et l'Espagne s'étant réconciliés, les Anglais rentrèrent
chez eux et les Gascons durent en faire autant.
A la fin du XIVe siècle, la soldanie de la Trave passa dans
la famille de Montferrant, fidèle alliée des Anglais. L'un d'eux, Pierre de
Montferrand, avait épousé Marie, fille naturelle de Jean, duc de Bedfort et
devint l'un des plus riches et des plus puissants seigneurs de la Guyenne.
Après la conquête de cette province, il fut exilé par Charles VII. Mais, ayant
eu l'imprudence de rentrer en France avec un faux sauf‑conduit, il fut
pris, emmené à Poitiers, condamné à mort et exécuté. Son
corps, coupé en morceaux, fut cloué aux quatre portes de la ville. Quant à son
château de la Trave, on le rasa et la pioche ou la poudre eurent raison de ses
murs de défense.
Le titre de Soudan de la Trave et la seigneurie demeurèrent
jusqu'à la fin du XVIIe siècle dans les mains des Montferrant. En 1705, nous
les trouvons dans la famille de Pons‑Saint‑Maurice, par le mariage
de Marie‑Guionne de Rochefort‑Théobon avec Louis de Pons dont nous
avons parlé plus haut, à propos de Cazeneuve. Le château de la Trave est
maintenant la propriété du comte de Sabran‑Pontevès.
En laissant les ruines de la Trave, nous pourrons gagner à
peu de distance de là le bourg de Préchac bien bâti et bien ombragé de beaux
platanes. Son église paroissiale est fort intéressante. Ses quatre nefs du XIIe
et du XVe siècle, sont séparées par des piliers couronnés de chapiteaux aux
sculptures originales. Elles figurent tantôt des chiens qui se disputent un os,
tantôt des cônes de pin fort bien sculptés et de caractère très local, des
personnages aux attitudes diverses ou encore une frise délicate aux motifs
variés. Extérieurement le clocher arcade est percé de cinq baies ogivales, un
clocheton arcade à une baie surmonte l'arc triomphal, et les trois absides
ornées de chapiteaux se présentent avec un certain aspect de force et de
grandeur que complètent encore l'épaisseur des murs.
Revenus maintenant au pont de la Trave et, regagnant le
Ciron, reprenons notre barque qui nous attend.
La physionomie de la rivière a un peu changé. Le courant est
plus encaissé, l'eau
coule comme un torrent. C'est que le Ciron est devenu
flottable désormais, et l'homme dédaignant son charme et sa poésie, va utiliser
sa force pour les besoins de son commerce et de son industrie. Déjà l'ancienne
forge de la Trave, mise
en mouvement par ses eaux, est devenue usine d’électricité et fournit à
la région la lumière et la force motrice. Mais le Ciron a encore autre chose à
faire. Il va transporter les bois de pin des grandes forêts landaises jusqu'à
la Garonne, d'où ils iront à Bordeaux, puis en Angleterre, soutenir dans les
mines de charbon les parois des galeries.
Les pièces de bois sont reliées entre elles de façon à
former des radeaux. Ces radeaux sont divisés en six ou huit travées attachées
les unes aux autres et articulées par une sorte de charnière au point de
réunion. L'ensemble du système peut ainsi facilement suivre les méandres de la
rivière. Quand les trains de bois arrivent à un moulin, ils franchissent le
bief sur un plan incliné appelé lindat ou passelis. établi sur le
barrage, après avoir parfois payé un droit de péage. Il faut voir alors avec
quelle sûreté les radeliers, armés d’une longue perche conduisent leur train de
bois emporté à une vive allure. Ils filent le long des lindats ou s'engouffrent
sous les moulins pour en ressortir presque aussitôt avec une précision qui
émerveille. Le mouvement du flottage sur le Ciron, en 1911, fut de 1.566
radeaux correspondant à 26.320 tonnes.
Nous disions qu'à partir du pont de la Trave, le cadre du
Ciron avait changé d7aspect. Nous pouvons ajouter que son courant lui‑même
a été transformé. De petites digues en pierre
ont
été construites pour resserrer son cours et lui donner plus de force. La
verdure l’enveloppe toujours, peut‑être encore plus enchevêtrée qu'en
amont, parce que l’espace humide et fertile est plus restreint. Des rochers aux
couches horizontales, parfois brisés et bouleversés, se massent sur ses bords,
ou bien la rive devient sablonneuse, le petit vallon s'élargit un peu et
apparaissent des carrières exploitées qui se prolongent jusqu'à Villandraut.
C'est sur ce parcours, à peu près à moitié chemin entre La
Trave et cette dernière localité que se rencontre le château d'Illon, habité
par M. Etienne Dupuy.
C'est une maison moderne accommodée sur des murs de
terrassement anciens et flanqués, à un coin, d'une vieille tour. L'ensemble a
grand air à vingt‑cinq mètres, à pic au‑dessus de la rivière, posé
sur ses assises escarpées et solides.
Ses origines remontent au XIIIe siècle: le registre des hommages
au roi d'Angleterre pour l'année 1274 fait mention du fort d'Illon, de ses
fossés et des terres de Guillaume Arnaud de Sescars; plus tard, en 1586, la
seigneurie d'Uzeste lui fut rattachée et Illon en devint le château, habité par
les familles Baudry de Beauséjour et de La Lane.
Un petit affluent du Ciron, sur sa rive droite, la Clède, a
son embouchure à une faible distance de là, en aval. La Clède comprend deux
branches l'une qui vient du bourg d'Uzeste et l'autre du village de Lignan.
Uzeste, dans l'étude que nous faisons du Bazadais est le
centre et le foyer d'où rayonna, au XIVe siècle, la puissance seigneuriale et
ecclésiastique qui transforma cette contrée, édifia des châteaux et des
forteresses que les guerres et les siècles n'ont pu détruire, et fit la gloire
et la renommée de ce coin de Guyenne.
Un homme, un seigneur, un archevêque de Bordeaux devint le
promoteur de ce mouvement: Bertrand de Goth. Sa famille connue dans le pays par
ses droits et ses titres avait déjà donné à l'Eglise un évêque de Bazas, un
évêque d’Agen, un cardinal archevêque de Lyon. Que pouvait‑il rester en
fait d’honneur et de prestige à cette illustre lignée? Le suprême pontificat
peut‑être? C'est en effet cette éminente dignité qui fut conférée à
Bertrand de Goth, en 1305. Le nouveau pape Clément V est trop connu pour que
nous cherchions même à retracer l'histoire de son pontificat : le transfert du
siège apostolique à Avignon, cause du grand schisme d'Occident, la réunion du
XVe Concile oecuménique de Vienne et la destruction de l'ordre des Templiers en
marquent les étapes saillantes.
Et c'est après une existence glorieusement remplie que,
sentant ses forces s'affaiblir malgré son âge peu avancé, il voulut respirer
l'air de son pays natal, espérant y trouver une nouvelle vitalité. Il partit
pour Uzeste, mais la maladie le terrassa sur les bords du Rhône et il mourut à
Roquemaure, en 1313, âgé de cinquante ans. Suivant son désir, son corps fut
ramené à Uzeste pour y être enseveli dans l'église Notre‑Dame.
Nous sommes heureux de reproduire ici le portrait de Clément
V, peint vers 1350 sur les murs de la célèbre chapelle des Espagnols, dans le
cloître de l'église Santa Maria Novella, à Florence. Cette oeuvre, attribuée
aujourd'hui à Andrea da Firenze, forme un
des sujets d'une vaste composition figurant le Triomphe de
l’Eglise. Le pape incarne la loi canonique, à gauche, Justinien personnifie la
loi civile et à droite, Pierre Lombard, la Théologie pratique. Ce portrait est
celui qui par son ancienneté offre les plus grandes garanties de ressemblance.
L'église d'Uzeste avait déjà eu les prédilections marquées
du Pontife. En 1312, il avait constitue et richement doté un chapitre, ainsi
d'ailleurs qu'à Villandraut. Ces deux fondations furent rattachées à
l'archevêque de Bordeaux et mises en jouissance d'abondants privilèges.
Ce n'est pas tout encore. Clément V avait voulu, en souvenir
de ses jeunes années, transformer l’église romane qui abritait une statue
vénérée de la Vierge, encore conservée, l'embellir, et en faire le sanctuaire
élégant du XIIe siècle que nous contemplons aujourd'hui.
Telle qu'elle est, l'église d'Uzeste se présente avec trois
parties distinctes se rattachant à trois périodes différentes : ses nefs, son
chevet et son clocher.
La masse extérieure de ses nefs appartient à la période
romane: elle forme une construction lourde et peu attrayante soutenue par des
contreforts, percée de fenêtres étroites et allongées, en forme de meurtrières,
et de deux portes latérales.
A son chevet du XIVe siècle, trois absidioles rayonnantes,
éclairées par des fenêtres à meneaux de style flamboyant, sont surmontées du
mur du rond‑point du choeur enchâssé de fenêtres semblables et formant
extérieurement comme une tour hexagonale couronnée d’une balustrade à arcatures
trilobées. L'équilibre de l'ensemble est maintenu par des arcs‑boutants
d'un style simple mais élégant et soigné.
Dominant cet ensemble, se dresse le clocher, haut de 52
mètres, édifié au XVe siècle solidement maintenu aux angles par de solides
contreforts en retrait, agrémentés de pinacles, orné de fenêtres flamboyantes
et aux deux étages d'une balustrade de même style. Le tout s'achève en une
flèche octogonale ajourée de petites ouvertures multilobées qui paraît un peu
grêle par rapport à sa base.
Tel est l'aspect général extérieur de l'église. Complétons
cette vue d'ensemble en mentionnant quelques détails qui nous ont échappé.
C'est d'abord, au‑dessus de la porte sud, un tympan, hélas! mutilé, mais
dont les lignes révèlent une exquise sculpture figurant le couronnement de la
Vierge. Le Christ et sa mère sont assis sur le même siège, des anges les
entourent. Nous avons déjà rencontré ce motif au tympan sud de la cathédrale de
Bazas. Mais ici, l’attitude de la Vierge, que l'on devine facilement malgré les
mutilations, est plus réservée et plus modeste, et le léger recul en arrière
traduit à lui seul ces sentiments d'humilité confuse dont le sculpteur a voulu
imprégner son travail. Et comme pour arriver à vaincre cette timidité exquise,
le Christ étend le bras droit avec une certaine autorité douce et persuasive.
Les anges de côté, surtout celui de gauche, contemplent la scène dans une sorte
d'abandon du corps, comme s'ils étaient distraits plutôt qu'impressionnés par
ce spectacle. Au dessous un linteau sculpté, mais presque incompréhensible,
peut représenter l'obole de la veuve et le figuier stérile.
Nous ne laisserons pas cette description extérieure sans mentionner le petit escalier enveloppé d'une tourelle octogonale finissant en pyramide et dont les marches se continuent sur la butée de l'arc-boutant voisin. Terminons en indiquant la rosace qui
étale
ses jolis rayons sur la façade occidentale.
Pénétrons
maintenant dans l'intérieur de l'église. Ce qui frappe le regard de suite, ce
sont les douze piliers qui soutiennent la voûte à nervures saillantes de la
grande nef: six d'entre eux, à l'apparence robuste, sont formés de huit
colonnettes engagées, six autres n'ont que quatre colonnes et impressionnent
par leur aspect fluet et léger, que les premiers font encore mieux ressortir.
En nous avançant vers le sanctuaire, nous nous rendons compte de la
particularité de l'abside dont les trois chapelles et le déambulatoire ne font
pour ainsi dire qu'un. En effet, des voûtes sexpartites, inscrites dans un
hexagone, couvrent à la fois chapelles et déambulatoires et retombent sur
quatre piliers formés de six colonnettes placés en demi‑cercle et
entourant le choeur.
C'est au centre de ce demi‑cercle, dans l'axe de la
nef que se trouve aujourd'hui le tombeau de Clément V le joyau de cette église.
Jadis ce monument fut « dressé de jaspe, d'albâtre et de
marbre blanc richement élabouré ». C'était l'oeuvre d'un artiste d’Orléans,
Jehan de Bonneval, commandée par un neveu du pontife défunt, Bertrand de Goth,
vicomte de Lomagne, et que devait faire achever le cardinal Gaillard de la
Motte, en 1359.
Ce travail d'art fort remarquable et cette tombe illustre
allait, en 1572, être odieusement mutilée et profanée par les huguenots; les
ossements du pape furent jetés dans les flammes. Leur fureur ne put cependant
tout détruire. Il y a quelques années, une restauration fort heureuse a permis
de rapprocher ensemble bien des fragments épars et le monument est à peu près
complet, quoique privé de ses sculptures, de son jaspe et de son albâtre. Au‑dessus
du soubassement du coffre et de la table supérieure du tombeau qui sont de
marbre noir repose la statue couchée de Clément V en marbre blanc. Sa tête, affreusement mutilée, s'appuie sur un coussin dans lequel elle s'enfonçait autrefois, coiffée de la tiare. Ses deux mains se croisent pieusenient sur sa poitrine. On observera les fines sculptures du col de l'amict, du bas de l'aube, du manipule et de la chaussure. Tout autour de la dalle supérieure, taillée en biseau, court une inscription aux lettres gravées en creux et dorées qui constitue l'épithaphe de cette tombe célèbre.
Dans le déambulatoire, on remarque un autre sarcophage. Sur
la dalle funéraire est figuré un chevalier couché dont on distingue les détails
de l'armure, l'épée et le bouclier chargé d'un écusson aux armes de la famille
de Grailly.
Près de l'église, une fontaine, dite du pape, est surmontée d'un écusson de pierre aux armes de Clément V. Non loin de là, de vieilles maisons ont conservé leurs fenêtres à meneaux du XVe siècle.
Nous disions plus haut que le petit ruisseau de la Clède
arrosait non seulement Uzeste, mais aussi Lignan.
Au nord‑ouest de ce village on remarque une motte de
terre ou douc située au lieu dit de Boutevin, une des plus remarquables que
nous ayons rencontrées. Elle s'élève en forme ovale à
une hauteur de 15 mètres au‑dessus du ruisseau coulant au sud et
un fossé l'entoure sur le côté nord. Un vallum enveloppe ce fossé à l'est, au
nord et à l'ouest et un second vallum, un peu plus loin, se recourbe du nord à
l'ouest. Cet ensemble devait constituer une forteresse; aucun débris de
maçonnerie n'y révèle de construction. La tradition locale suppose qu'une peau
de veau, enveloppant des pièces d'or, y est enfouie .....
Il est temps maintenant de revenir au Ciron et de gagner
sans plus tarder le château de Villandraut dont nous apercevons bientôt,
émergeant au milieu de la sombre verdure des pins, les grosses tours rondes aux
tons fauves.
Nous voici devant ces ruines imposantes. Imaginez‑vous
un rectangle presque équilatéral, flanqué à chaque angle d'une tour ronde de 30
mètres de hauteur, une porte d'entrée au milieu de la façade méridionale
encadrée de deux tours, semblables aux quatre autres, des fossés profonds et
larges alimentés par une source abondante et dont les lignes reproduisent les
contours du château. Cet ensemble impressionne et arrête le voyageur. La
saillie vigoureuse de ces tours sévères, la simplicité en même temps que
l'aspect de force et de majesté de cet édifice le saisissent tout d'abord;
puis, un examen plus attentif' lui en fait ressentir le charme et apprécier les
beautés. On admire la hardiesse de celui qui éleva en ce lieu dépourvu de
défense naturelle une forteresse aussi grandiose et qui sut rendre ces
constructions capables de résister au délabrement des siècles, aux dislocations
des guerres et au vandalisme des hommes.
Comme pour préserver ce monument de tant de fléaux divers,
la nature a voulu le voiler de verdure. Les arbres poussent dans ses fossés
comme pour mieux arrêter l'assaillant et un manteau superbe de lierre
l'enveloppe majestueusement, dérobant aux regards ses glorieuses cicatrices.
Nous avons parlé de la tombe de Clément V qu'Uzeste conserve
jalousement: ici nous sommes devant son berceau.
Expliquons‑nous: les historiens se divisent au sujet
de la naissance de Bertrand de Goth. Les uns la placent à Uzeste, les autres à
Villandraut. Ceux‑ci, plus nombreux, semblent plus rapprochés de la
vérité. En effet, nous savons que le père de Bertrand, Béraud de Goth, s'il
était seigneur d'Uzeste, l'était aussi de Villandraut et avait une résidence,
un manoir, peut‑être même un château dans cette dernière localité. Aucun
souvenir ne rappelle semblable avantage pour Uzeste.
Cette demeure seigneuriale était‑elle à l'emplacement
du château actuel? Sur ce point les hypothèses continuent sans pouvoir se
vérifier, mais avec vraisemblance. Plus tard l'histoire nous apprend que
Clément V fit construire en 1307, peut‑être sur le lieu de son habitation
natale la grandiose forteresse dont nous voyons aujourd'hui les restes
imposants. Il y séjourna au cours de son pontificat, datant de ce lieu
plusieurs bulles. Le même pontife avait même érigé en collégiale et transféré
dans le château l'église paroissiale de Saint‑Martin de Villandraut.
Régine de Goth, femme de Jean 1, comte d'Armagnac, petite‑nièce
de Clément V devint propriétaire de ce castel qui passa, en 1336, aux mains
d'Aymeri de Durfort,
seigneur de Duras. Ce dernier était cousin germain de Régine
de Goth qui n'avait pas eu d'enfant de son mariage.,
Les Durfort conservèrent Villandraut jusqu'à la fin du xvie
siècle. Pendant ce temps, Anglais et Français se disputaient et se repassaient
cette place forte. Du Guesclin et le duc d'Anjou l'occupèrent, les Anglais la
reprirent, et enfin, en 1453, le sire d'Albret la rendit définitivement à la
France.
Plus tard, les guerres de religion vinrent encore menacer le
château de Villandraut et devenir la cause de sa décadence. Les huguenots
échappés de Bordeaux en 1572, après le massacre de la Saint‑Barthélemy
s'en étaient emparés et s'y étaient retranchés. Montferrant les en délogea
quelques jours après. Ils devaient revenir plus tard, en 1592, et cette fois le
château allait soutenir un terrible siège. Mille deux cent soixante coups de
canon ébranlèrent et démantelèrent ses murailles: le 25 août il ouvrait ses
portes au maréchal de Matignon qui s'en rendait maître au nom du roi. Le
maréchal avait ordre de le faire raser. Mais Jacques de Durfort intrigua si
bien près d'Henri IV qu'il obtint de lui des lettres patentes prescrivant
d'interrompre la démolition de son château. Le roi mettait comme condition que
ce seigneur le gardât à ses propres dépens afin que les ennemis ne puissent
plus s'en emparer.
Bientôt les Durfort abandonnaient cette demeure devenue
presque inhabitable, qui passait aux seigneurs de Lalanne, famille qui fournit
au Parlement de Bordeaux d'illustres magistrats. Un de ses membres, Sarrau II
de Lalanne, esprit original et aventureux, président à mortier et lieutenant
général de l'amirauté, allait faire subir à Villandraut son dernier siège.
Convaincu d'avoir fabriqué de la fausse monnaie, il se réfugia dans l'antique
forteresse et ses complices et lui n'y furent délogés qu'après un assaut
vigoureux des troupes royales.
En 1679, dame Marie de Lalanne, épouse de messire René de
Martineau, marquis de Thuré « met et baille » l'aveu et le dénombrement de sa
seigneurie de Villandraut. Nous y trouvons la description du château d'alors,
qui comprenait la forteresse flanquée de six grandes tours garnies de
girouettes et entourée d'un fossé à fond de cuve revêtu de pierrée.
Il se complétait d'un pont‑levis, d'une bascule, de
basses‑fosses, de prisons, de bâtiments et logements garnis de défenses
et canonnières et hérissés à leur sommet de créneaux. Devant cette place forte
des terrasses et des bastions renforçaient les moyens de protection. Enfin, un
grand jardin clos de murs, une garenne et un bois de haute futaie agrémentaient
le voisinage.
La famille de la Faurie succéda à la famille de Lalanne et à
la famille de Salomon, et vendait, en 1789, la seigneurie de Villandraut à
Charles‑Philippe, comte de Pons, dont nous avons déjà parlé à propos de
Grignols, de Cazeneuve et de la Trave. Actuellement ces ruines grandioses sont
aux héritiers du comte Jean de Sabran‑Pontevès.
Tel qu'il est le château de Villandraut demeure un des types
les plus parfaits de l'architecture militaire du XIVe siècle et de ce qu'on est
convenu d'appeler le château de plaine. Sa visite présente le plus grand
intérêt.
Sa porte d'entrée particulièrement curieuse à étudier,
formant une allée longue de onze mètres, est précédée d'un pont à trois arches
jeté au‑dessus du fossé et dont le tablier devait être primitivement en
bois. La première fermeture était une porte dont les gonds sont encore en
place. Elle forme le seuil d'une sorte de bastille carrée à un étage, voutée et
munie de chaque côté d'une meurtrière. Un assommoir vient après et est suivi
d'une seconde porte dont on voit les gonds; dans l'intervalle on remarque les
deux, meurtrières à droite et à gauche des deux grosses tours. Enfin, une herse
et une troisième porte achèvent de rendre ce passage presque inexpugnable.
Une fois rentré dans l'intérieur du château on se trouve
dans une vaste cour carrée, encadrée de
constructions élevées sur trois de ses côtés; en face, à droite et à gauche, et
dont le délabrement est du plus pittoresque effet.
Le bâtiment de droite se composait, au rez‑de‑chaussée,
d'une vaste salle où l'on pouvait entrer par trois portes en arc bombé,
décorées de moulures et de colonnettes, et que chauffaient trois grandes
cheminées. Cette pièce est éclairée par trois meurtrières du côté de la campagne
et par deux grandes fenêtres carrées du côté de la cour. Une salle plus petite
est à sa suite.
En face de la porte d'entrée il ne reste plus, des
constructions d'autrefois, que les traces de deux cheminées et de grandes
fenêtres. Sur cette même façade s'ouvrait une poterne ogivale à laquelle devait
s'adapter une passerelle en bois.
A gauche, c'est‑à‑dire à l'ouest, la grande
salle du rez‑de‑chaussée, sans cheminées,
parait avoir servi de magasin. Deux ouvertures pratiquées
dans le sol furent sans doute des monte ‑ charges communiquant avec la
vaste cave voûtée qui s'étend en dessous. Le premier étage semble avoir été la
salle d'honneur, à en juger par
les deux portes surmontées d'un cintre bombé qui s'ouvrent
sur un perron de pierre du XVIe siècle et par les deux fenêtres encadrées d'une
archivolte saillante et de colonnettes à chapiteaux sculptés.
Chaque tour comprend quatre étages, sauf la tour sud‑est
qui a été à moitié démolie. C'est d'abord un caveau ou cachot dont le sol est
presque de niveau avec le fond du fossé, et qui est voûté en berceau. Au‑dessus,
une salle octogone, au rez‑de‑chaussée, est voûtée à huit nervures
ogivales réunies au centre par une clef de voûte décorée de feuillages; elle
est éclairée par trois meurtrières à large ébrasure, recouverte d'une voûte en
berceau, et ouvrant extérieurement en fente cruciforme. Une grande cheminée sur
un des côtés se rencontre dans la plupart de ces salles.
Le premier étage des deux tours qui défendent la porte
d'entrée est desservi, du côté de la cour, par une galerie du XVIe siècle,
supportée par des piliers. Le visiteur qui y monte franchit une porte et se
trouve dans une petite chambre voûtée où se tenaient les soldats chargés de
manoeuvrer la herse et de lancer des projectiles par l'assommoir. Ils pouvaient
aussi, par une meurtrière donnant du côté du pont‑levis, lancer leurs
flèches sur les envahisseurs. Les deux salles octogones de droite et de gauche
conservent encore sur leurs murs des lignes de peinture rouge simulant les
assises des pierres.
La chambre de la tour nord‑est, toujours au premier
étage, porte à sa clef de voûte un bas‑relief représentant saint‑Pierre
coiffé de la tiare, assis et bénissant.
Le second étage des tours est octogone, mais au lieu d'être
voûté, était autrefois recouvert d'un plancher en bois. C'est à la hauteur de
ce second étage que régnait un chemin de ronde reliant toutes les tours et
passant au sommet des courtines. Celles‑ci étaient crénelées et les tours
étaient munies de hourds dont on retrouve les boulins.
Du sommet du château la vue s'étend au loin; le ciel bleu
semble se confondre avec la plaine immense de la lande et le sommet des pins;
vers le nord, le regard découvre les coteaux de Sauternes qui se dessinent dans
le lointain. Vers l'ouest étincelle la nappe d'eau d'un vaste étang que
traverse le Baillon, né au fond de la lande près du hameau perdu de Bourideys.
Et tout près du spectateur, à ses pieds, s'étend le bourg de Villandraut aux coquettes
maisons, aux belles places ombragées de platanes et d'acacias. Une certaine
animation donne de la vie à ses rues; des scieries, des distilleries de résine,
des exploitations de carrières remplacent des industries aujourd'hui disparues,
telles que la fabrication des tabatières en corne de boeuf ou la verrerie de
verre noir que M. de la Molette dirigeait en 1785.
A une faible distance de Villandraut, toujours en suivant la
vallée du Ciron, se rencontre le château de Noaillan, situé à l'est de la rivière,
et qui est possédé par M. Georges Guillot de Suduiraut.
Cette forteresse présente un plan polygonal fort irrégulier
et clos de murs. L'ensemble se compose aujourd'hui de bâtiments d'exploitation
agricole au nord‑est et au sud‑est, au sud, de l'ancienne chapelle
du château, et à l'ouest, du château proprement dit.
Le gros mur d'enceinte de cette dernière partie, qui paraît
être du XIIIe siècle, commence près de l'église par les restes d'une ancienne
poterne; il se continue par une petite tour ronde suivie un peu plus loin d'une
grosse tour, également ronde, qui devait servir de donjon, et contre laquelle
s'appuient les appartements seigneuriaux du XIVe siècle, dont il demeure encore
les fenêtres à meneaux. Des lices où l'on peut facilement se promener entourent
les anciens remparts et dominent une vaste prairie. Ce château est fort bien
tenu, aussi bien que des ruines peuvent l'être sans perdre leur cachet
archaïque. Quelques arbres ombragent ces débris sans les étouffer et le lierre
enveloppe discrètement ces restes du passé.
L'ancienne chapelle du château, maintenant église
paroissiale, élève dans les airs son clocher pignon percé de cinq baies et se
compose de trois nefs et de trois absides circulaires. Celle du centre est
ornée de chapiteaux intéressants.
L'histoire de la seigneurie de Noaillan nous révèle qu'elle
était une des plus anciennes du Bordelais. Amanieu de Noaillan, chevalier,
nommé dans un titre du 2 mars 1225, fut un des soutiens d'Henri III
d'Angleterre à la bataille de Taillebourg, en 1242.
Plus tard, le 19 mars 1274, Bertrand de Noaillan reconnaît
tenir du roi Edouard ler le château de Noaillan « au devoir d'une lance
d'esporle à muance de seigneur », et ce qu'il possède dans la paroisse de
Salles, au devoir d'un « autour saur ». Le même jour, un de ses parents,
Guillaume de Noaillan, reconnaît devoir au duC d'Aquitaine une paire de gants.
Le roi d'Angleterre compte sur l'appui du sire de Noaillan, ainsi que le prouve
la lettre qu'Edouard Il écrivait à Amanieu de Noaillan, en 1312, pour lui
demander ses chevaux, ses armes et ses soldats. En 1322, il le convoquait pour
la guerre d'Ecosse. En 1373, le seigneur de Noaillan prêtait serment de
fidélité au prince de Galles. Mais peu d'années après, la famille de Noaillan
abandonne son château d'origine qui passe à la famille de la Motte. Gaillard de
la Motte en était seigneur en 1383.
Au commencement du XVe siècle, les rois d'Angleterre
reprennent Noaillan pour le donner à des vassaux d'une fidélité plus sûre que
celle des La Motte, et le concèdent enfin, en 1428, à Bernard Angevin, qui, de
simple clerc, était devenu un des plus puissants seigneurs de la province,
chancelier d'Aquitaine et membre du grand conseil.
Après la conquête de la Guyenne par les Français, les la
Motte recouvrèrent Noaillan. L'un d'eux, Jean de la Motte, recueillit la riche
succession laissée par le maréchal Xaintrailles, son oncle, et sa famille
demeura à Noaillan jusqu'en 1567. Cette année‑là, François de la Motte
vendit les terres de Noaillan et de Léogeats à Jean Le Berthon, conseiller au
Parlement de Bordeaux, pour la somme de 12.000 francs bordelais. Un long procès
commencé à la même époque et achevé en 1578, rendait Noaillan à dame Marie de
Ballanguier, douairière de la Motte, mère de François Il de la Motte (dont nous
avons déjà parlé à propos du château de Castelnau de Mesme) et annulait sans
doute la vente dont nous parlons. Ce François Il de la Motte eut pour fille
Guyonne de la Motte, marquise de Castelnau, qui épousa, en dernier lieu, Jean
d'Espagnet, et déjà connue du lecteur.
Enfin Jean Duroy, conseiller au Parlement de Bordeaux,
achetait la moitié de la
terre de Noaillan, dont le reste appartenait à la famille de
Piis. Vers 1700, les Duroy de Suduiraut faisaient l'acquisition de cette part
et demeuraient ainsi seuls seigneurs du lieu jusqu'à la Révolution.
Avant de laisser Noaillan, nous n'aurons garde d'oublier ce
qui fait sa célébrité culinaire, la culture intensive de l'ail, cette «
thérîaque des paysans » comme on l'appelait jadis.
Un peu après Noaillan, le Ciron reçoit les eaux de son plus
important affluent: la Hure, long de vingt kilomètres et qui traverse un pays
sauvage et pittoresque agrémenté de souvenirs intéressants.
Si nous remontons le cours de ce ruisseau nous gagnerons
bientôt l'étang de la Ferrière aux rives vallonnées et échancrées en de
délicieuses petites criques où les vieux pins s'inclinent poétiquement au‑dessus
des eaux profondes et poissonneuses. Un peu avant de l'atteindre nous passions
auprès du confluent d'un de ses tributaires: la Nère, au gracieux vallon boisé
de saules et de châtaigniers, qui nous conduit droit à Balizac.
Doit‑on tirer l'étymologie de ce nom du latin vallis
aquarum? Les innombrables sources qui jaillissent du sol, notamment celle qui
avoisine le moulin de Triscos, donneraient un crédit facile à cette assertion.
Quoi qu'il en soit, laissant les sources de côté, nous
porterons nos pas vers les ruines de l'ancien château qui se trouve au hameau
de Pinot, tout au sommet du coteau. Ces ruines sont peu de chose : des
fondations en forme de parallélogramme de vingt mètres de côté, flanquées aux
angles de contreforts ronds, une porte jadis munie d'une herse, formant avant‑corps
saillant sur la façade orientale et précédée d'une barbacane, et le tout drapé
de lierre, ombragé d'arbres et posé sur une terrasse au talus à peu près
régulier.
Son histoire se résume en quelques mots. En 1314, Jordan de
l'Isle possédait la seigneurie haute et basse de la paroisse de Balizac. En
1417, Jeanne d'Armagnac, veuve d'Amanieu de Madailhan, sire de Lesparre, vendit
la terre de Balizac à Henri V d'Angleterre, et le connétable de Bordeaux,
Guillaume Clifford, fut chargé de l'administrer. Cette seigneurie semble avoir
appartenu dans la suite aux Montferrant et avoir eu les mêmes maîtres que celle
de Castelnau de Cernès, dont elle était si proche.
Origne, formé de métairies éparses, se trouve sur la Nère,
en amont de Balizac. Cette humble paroisse, citée dès 1420, donnait son nom à
des seigneurs connus au XIVe siècle. Bernard d'Origne était prieur de Soulac en
1356 et Assalhite d'Origne, femme de Guillaume de la Planhole, habitait Cérons
en 1361. En 1608, cette seigneurie se rattachait à celle de la Trave et au sire
de Montferrant; à la fin du XVIIIe siècle elle appartenait au marquis de Pons
et dépendait de Cazeneuve. Maintenant le château de Balizac est la propriété
des héritiers du comte Jean de Sabran‑Pontevès.
L'église d'Origne, de style roman, a trois nefs terminées
par trois absides semicirculaires voûtées en cul‑de‑four. Les
autres voûtes sont modernes et la porte principale est également romane: elle
est surmontée d'un clocher arcade à deux baies.
Arrêtons ici notre promenade sur les bords de la Nère, sans
même remonter jusqu'à Louchats où rien ne nous attire, et revenant vers le sud‑est,
dirigeons‑nous vers Castelnau de Cernès dont nous parlions un peu plus
haut.
Sur les bords de la Hure, dans un endroit délicieux, se
dressent les murs vénérables de ce château féodal. Ces ruines s'élèvent sur une
petite hauteur perdue au milieu des pignadas, au‑dessus d'un moulin dont
le barrage, en retenant les eaux du ruisseau forme une pièce d'eau à la surface
miroitante. Un large fossé protège la place à l'ouest et le ruisseau l'entoure
également de ce côté, au nord et à l'est.
Sa forme générale est celle d'une ellipse dont le grand axe
est dirigé du nord au sud. Ses deux enceintes de murailles, tout en se
développant selon cette courbe géométrique suivent une ligne brisée comprenant
le rempart extérieur à huit faces droites, et le mur intérieur à neuf pans. Au
centre s'élève un beau donjon carré de 30 mètres de hauteur et de 10 mètres de
côté à la base, élevé de trois étages. Dans les remparts de la première
enceinte se remarquent des meurtrières cruciformes dont l'ébrasure s'encadre
d'un arc ogival et dont le sommet de la fente extérieure est percé en ogive.
Dans une tour carrée, située au sud et faisant partie de cette même ligne de
défense, on observe aussi une porte, ogivale également, défendue par une herse
et un assommoir.
Enfin, à l'est, il faut noter le pont jeté sur la Hure et
dont la disposition coudée en zig‑zag facilitait la protection de ce
passage. Ce très curieux château du XIIIe siècle, un des plus originaux que
nous ayons à décrire, mériterait certes une étude plus prolongée si nous en
avions le loisir.
Son histoire est assez détaillée: nous la résumerons en
quelques faits saillants. Connue dès 1263 par le testament d'Amanieu d'Albret,
la seigneurie de Castelnau de Cernès appartenait à la famille d'Albret, et un
autre document de 1314 fait mention expresse du château. En 1426, Henri VI
d'Angleterre confisque au sire d'Albret, qui avait pris parti pour le roi de
France, tous ses domaines, y compris Castelnau, et les donne à Gaston de Foix,
comte de Longueville, puis à François de Montferrand.
Ce dernier trouva le château bien délabré par un siège
violent qu'il venait de subir et dut se hâter de le reconstruire. Mais après la
conquête de la Guyenne, le roi de France rendit Castelnau aux ducs d'Albret.
Henri de Navarre l'engagea, en 1581, à Guillaume de Rancé, et devenu roi de
France, le passa à Raymond de Vicose. La destinée de cette seigneurie allait
depuis lors devenir la même que celle de Cazeneuve dont nous parlions plus
haut. A présent le château est aux mains de M. Georges Bannal.
En suivant au milieu des bois les bords de la Hure, nous
gagnerons le petit village de Saint‑]Léger de Balson. La fontaine de Saint‑Clair, lieu de
pèlerinage pour les maux d'yeux, et de foire le ler juin, située près de ce
village, étanchera notre soif en nous procurant une halte agréable.
A quelques pas de là nous pourrons visiter l'église
paroissiale à trois nefs, formant un grand rectangle, édifiée au XVe siècle et
éclairée de six fenêtres à meneaux flamboyants.
Ces murs enserrent une abside romane où se conservent des
restes de chapiteaux ornementés qu'un barbare quelconque a cru devoir
horriblement badigeonner. Les piliers séparant les nefs sont formés de nervures
prismatiques qui s'élancent fort élégamment vers la voûte, sans interruption de
chapiteaux, et s'arrêtent aux clefs sculptées en forme de fleurons, de coeur ou
de soleil. Un autel dédié à saint Clair, orné d'un tableau représentant le
saint et enrichi d'une châsse contenant ses reliques, est ouvert en dessous de
façon à permettre aux pèlerins, le jour de sa fête, d'y passer en procession,
en baissant
la tête. Une inscription du XVIe siècle, gravée sur le
pilier de la chaire, fixe la date de ce support de maçonnerie.
Enfin, pour terminer la description de cette église, non
sans mérite, au pied du clocher pignon très aigu, percé de quatre baies, sont
demeurées deux tables en pierre qui servaient jadis à déposer les offrandes des
pèlerins.
Saint‑Symphorien, où nous nous rendons ensuite, et
dont Saint‑Léger semble être le faubourg, est un centre des plus
intéressants au point de vue industrie locale, et qui a plus que triplé depuis
quarante ans. Tous les produits de la lande viennent s'y métamorphoser pour les
besoins de l'homme.
Ce sont d'abord les troncs des pins que d'importantes
scieries débitent en planches; puis les racines ou les vieux débris de ces
mêmes arbres que d'autres fabriques convertissent en goudron; ensuite la
résine, cet or du pays, que des distilleries transforment et destinent à
d'innombrables emplois. L'odeur de la sciure de bois fraîche se mêle aux
effluves balsamiques des colophanes ou de la térébenthine et révèlent au
passant l'activité de ces usines. Plus loin, dans les fabriques de paillons,
les femmes manient avec dextérité la paille résistante du seigle. On y fait
aussi un commerce important de miel et de cire provenant des apiers du
voisinage. Et comme cadre à ces foyers de travail, des maisons à l'aspect
agréable prouvent l'aisance et le bien‑être de ses habitants. Des
peupliers élancés et des chênes touffus, ou bien des prairies bordent les
sinuosités de la Hure qui traverse le bourg en donnant à l'homme la force
motrice dont il a besoin. Sa tâche accomplie, cette rivière, humble et
discrète, vive et limpide, va se perdre au milieu des fougères et dans les
mystères de la forêt, sous un tunnel de verdure.
Au centre du bourg, une place ombragée de platanes superbes,
voisine avec l'église, monument de la fin du XVe siècle. L'intérieur de cet
édifice comprend trois nefs dont les clefs de voûtes soutiennent des sculptures
variées: le bon pasteur avec sa houlette et ses brebis, sainte Catherine et sa
roue, un seigneur équipé d'une cuirasse et de cuissards. Ces figures paraissent
être du XIVe siècle. A l'extérieur, un contrefort au sud porte les armes de la
famille de Goth. Enfin, devant la façade principale se dresse une croix de
cimetière sculptée du XIIIe siècle.
Jadis, au XIVe siècle, existait à Saint‑Symphorien une
seigneurie se rattachant à celle de Landiras et un château fort: Gaillard de
Saint‑Symphorien, seigneur de Landiras et maréchal de l'armée d'Aquitaine
en était possesseur en 1340. Ces souvenirs ont entièrement disparu aujourd'hui.
Mentionnons, pour en finir avec ce coin des Landes, la
paroisse du Tuzan faisant partie, dès 1341, des seigneuries de Bernard Ezi Il
d'Albret.
Après ce détour forcé qui nous a bien éloignés du Ciron,
reprenons contact avec ses bords et dirigeons‑nous vers le hameau de
Cameillac un peu au nord du confluent de la Hure et du Ciron et sur la rive
droite de cette dernière rivière.
Si nous entrions dans la cour de la métairie de Villetorte
et que nous demandions au métayer de dégager un peu le tas de fumier qui s'y
étale, nous pourrions voir les
restes d'une mosaïque gallo‑romaine
qui peu à peu
se
désagrège et se perd. Une villa s'y dressait sans doute aux premiers siècles de
notre ère, mais l'insouciance des hommes ne tardera pas à avoir raison de ces
souvenirs lointains. A quelques mètres de là, à l'ouest, dans une prairie, des
fouilles pratiquées il y a peu de temps pour le forage d’un puits ont mis à
jour des cercueils en briques, et la tradition
locale
y fixe l'emplacement de l'ancienne église paroissiale, dénommée au XIIe
siècle, Saint‑Laurent de Camelhac.
De cet endroit à Léogeats, il n'y a qu'un pas et nous voici
au pied de cette petite bourgade, très pittoresquement bâtie sur une sorte
d'éperon rocheux aux flancs escarpés piqué çà et là de bouquets d'arbres et
dominant la vallée.
L'église est posée presque à la pointe de ce promontoire, et
son petit cimetière ombragé de cyprès l'entoure mélancoliquement. A
l'intérieur, les nervures de la voûte retombent sur des consoles à têtes
humaines grimaçantes et curieuses. Un grand Christ en bois peint, de style
naïf, placé en face de la chaire, et plusieurs statues, dont une en bois,
représentant saint Christophe portant l'enfant Jésus accroupi sur les épaules
du saint, et, les jambes pendantes en dehors, dénotent un art grossier plein de
candeur.
A l'ouest de Léogeats, près du Ciron, se présente un fortin
ruiné, en forme de quadrilatère, appelé la Tourasse. Cette construction
comprenait jadis trois étages: il en reste trois murs dont deux à demi détruits
et l'autre percé de deux meurtrières. Les moellons, qui les composent sont
reliés entre eux par un ciment ferrugineux de la plus grande dureté et de
couleur rouge.
Presque au‑dessus de la Tourasse, sur le coteau opposé
à Léogeats se cache dans les arbres la maison noble de Jamart composée d’une
tour carrée en ruines jointe à des bâtiments sans caractère. La famille Jamart
était alliée aux sires d'Aulède.
Ne nous attardons pas trop en ces parages et rendons‑nous
tout droit au village de Budos perché sur le sommet du coteau et dominant la
vallée de la Garonne au nord, au sud et à l'est, celle du Ciron.
Notre première visite sera pour l'église paroissiale et pour
son abside romane. Extérieurement ce chevet se présente avec neuf pans séparés
par un groupe de trois colonnes accouplées et se divise en trois zones
horizontales. un soubassement et deux étages.
Le premier étage, séparé du soubassement par un gracieux
cordon couvert de feuillages, est percé de trois fenêtres encadrées d'une
petite arcade cintrée reposant sur des chapiteaux finement fouillés. A
l'intérieur, quelques chapiteaux sculptés figurant des entrelacs et des oiseaux
soutiennent la base des arcades qui entourent ces mêmes fenêtres.
Mais la curiosité archéologique de cette église consistait
en quatre chapiteaux à figures qui ornaient jadis son portail du XIVe siècle.
Aujourd'hui, le portail modernisé n'en conserve plus que deux, représentant la
luxure et la gourmandise. La luxure est personnifiée par une femme qui serre
avec force deux dragons pendant que des diables à pattes de grenouilles lui
peignent les cheveux. La gourmandise est symbolisée par un personnage joufflu
mangeant un os, un singe et un chien l'accompagnent. Les deux autres chapiteaux
sont enchâssés dans le mur du presbytère. L'un figure la colère: deux hommes en
robe longue se battent. Sur l'autre, un diable à grosse tête étreint un
personnage qui porte une bourse au cou: c'est l'avarice. Ces oeuvres naïves,
emblêmes des combats de l’âme chrétienne, rappellent le thème favori des
prédicateurs de l'époque.
En prenant la route qui se dirige à l'ouest du bourg nous
gagnons, au milieu des pins, les ruines de l'ancienne chapelle Saint‑Pierre.
Jadis, le jour de la fête de ce saint il s'y pressait un grand concours de
fidèles, mais des abus s'étant glissés dans ces cérémonies, la fête fut
supprimée en 1763. Aujourd’hui, cette petite église ne garde plus que trois
murs en ruines, l'abside a disparu et les ramures verdoyantes des arbustes et
des arbres remplacent les voûtes de pierre.
Si nous poussons une pointe vers le nord‑ouest du
bourg, nous découvrirons, à gauche du chemin, un tertre boisé, aux taillis
touffus: c'est un tumulus appelé Tuco de la motte de quarante mètres de
diamètre à la base. Taco ou tuc, truc, veut dire, en patois, lieu élevé,
hauteur. De cet endroit on jouit d'une vue superbe sur la vallée de la Garonne
et la petite vallée du Tursan, qui se jette dans le Ciron en face de Bommes.
Revenus maintenant au village, nous nous acheminons vers le
nord en suivant la grande route qui s'incline peu à peu vers la vallée. Déjà
nous apercevons les ruines élevées du vieux château de Budos, encore quelques
pas, et nous serons au pied de ses remparts. En des rapides notes rappelons son
histoire.
C'est en 1273 que le premier seigneur de Budos dont fassent
mention les anciennes archives, Géraud de Budos, rend hommage au roi
d'Angleterre. Raymond de Budos lui succède: ce Raymond avait épousé Jeanne de
Goth, soeur du Pape Clément V. Son fils, Raymond‑Guillaume, baron de
Budos, était, grâce à l'autorité de son oncle, gouverneur d'Avignon.
Trouvant sa demeure trop peu importante, il demanda à
Edouard I d'Angleterre l'autorisation de la créneler, de l'entourer de murs, de
tours et de fossés. Par respect pour le pape, le roi accéda à la demande qui
lui était présentée, et son successeur, Edouard II, lui octroya la haute et
basse justice avec tous les droits royaux dans la paroisse de Budos. Le sire de
Budos acquit aussi d'autres seigneuries, entre autres celle de la Motte d'Ayran
et la baronnie de Portes‑Bertrand en Vivarais. Il mourut, laissant ces
biens à son fils, André, qui prit parti pour les Anglais. Ce dernier abandonna
aux Français les terres que ceux‑ci lui confisquaient, compensant ces
pertes par de nouvelles acquisitions. Il mourut à son tour, laissant une
nombreuse lignée de vingt‑deux enfants mâles. Son héritier, Thibaut, rend
hommage au Prince de Galles, en 1363, dans la cathédrale de Bordeaux, mais, en
1377, il cédait aux troupes de Du Guesclin et du duc d'Anjou et passait dans le
parti français. Pendant ce temps, Richard Il d'Angleterre confisquant Budos,
donnait la seigneurie de son sujet rebelle à Jean de Stratton, et en 1400 à
Henri Bowet.
André de Budos, fils de Thibaut, animé des sentiments les
plus cordiaux pour la France, guerroyait avec une telle ardeur qu'il méritait
d'être surnommé le Fléau des Anglais, malgré la perte de ses biens.
En effet, les Bordelais, pressés par Henri V d'Angleterre de
faire le siège de quelques châteaux qui tenaient pour les Français, firent
avancer leurs milices, commandées par un jurat, vaillant capitaine et habile
homme de guerre, Vigoros Estèbe. Menant de Fabars était à la tête des troupes,
anglaises
Pour mieux réduire la forteresse, on avait décidé de se
servir de la grande bombarde qui lançait des boulets de pierre de cinq
quintaux, engin de guerre assez imposant pour l'époque, et d'y joindre deux
canons plus petits. Un gabarier devait amener cette artillerie jusque sous les
murs de Budos en remontant la Garonne, puis le Ciron.
Mais André de Budos, effrayé, céda: il livra son château et
donna son fils en otage. Les Bordelais en furent pour leurs préparatifs de
siège.
Le roi d’Angleterre prit alors possession du château de
Budos et le concéda au duc de Glocester, vers 1433, puis à François de
Montferrand, en 1440.
Après la conquête de la Guyenne, Thibaut, fils d'André de
Budos, rentra dans le château de ses pères. Il devint, sous Louis XI, capitaine
de deux compagnies, puis maître d’hôtel et chambellan de Charles VIII. Son
fils, Jean, se distingua au siège de Perpignan et guerroya en Italie avec
François ler. Jacques de Budos, son héritier, se bat en Italie sous Henri II,
et Charles IX lui confie le commandement de plusieurs places fortes. Sa fille «
la plus belle et la plus accomplie dame de son siècle » épouse le maréchal,
puis connétable de Montmorency.
En 1571, Jacques de Budos vendait le château de Budos à
Raymond de la Roque pour 30.000 livres.
Pendant les guerres de religion, il fut bien gardé et
demeura aux catholiques, mais lors de la Fronde, le sieur de Lasserre,
capitaine de cavalerie, dont nous avons déjà parlé en retraçant l'histoire de
Langon, et qui bataillait contre les soldats du Parlement, s'empara, en 1652,
du château de Budos qu'il saccagea. M. de Balthazar, lieutenant‑général
des armées du Prince de Condé, envoya quelques troupes contre lui qui le firent
prisonnier.
Depuis cette époque jusqu'à la Révolution, Budos demeura
dans la famille de la Roque, connue dès le commencement du XIVe siècle et qui
tirait son nom du bourg de La Roque situé au nord‑est de Cadillac. Le
dernier baron de Budos avant la Révolution fut Charles‑Armand de Laroque,
qui était aussi baron de Montferrand et, en cette dernière qualité, premier
baron de Guyenne. Actuellement le comte de Beauregard est propriétaire du vieux
château.
Ce qui reste aujourd'hui de l'ancienne habitation de tant de
nobles seigneurs offre au visiteur un aspect bien dévasté, mais rempli de
détails du plus haut intérêt. Décrivons‑le rapidement.
Le plan du château a la forme d'un vaste quadrilatère
flanqué à chaque point cardinal d'une tour, fort élevée, portant les boulins
des hourds et percée de meurtrières cruciformes.
Trois de ces tours sont rondes: celle de l'ouest, qui fut un
colombier, est Octogonale. Au milieu de la façade sud‑est se dresse une
autre tour carrée sous laquelle s'ouvre la porte d'entrée. Cet ensemble est bordé,
de braies très apparentes, puis d'un large fossé dont les lignes reproduisent
celles des remparts.
La plus curieuse partie de cette forteresse est la porte
d’entrée, relativement bien conservée.
Tout d'abord, au bord de la grande route, on remarque les
murs démolis d'une petite tour carrée, jadis fortifiée, placée à l'extrémité
d'une barbacane aujourd'hui disparue. De ce point à la porte d'entrée de la
façade sud‑est dont nous parlions à l'instant, s'allongeait un couloir
entre deux murs dont il ne reste plus que les fondations. L'axe de ce passage
était en oblique par rapport à la façade du château.
A
son extrémité se présentait le fossé que l'on franchissait au moyen d'un pont‑levis,
remplacé plus tard par le pont de pierre que nous voyons maintenant. De ce pont-levis,
il demeure, dans le haut du pied droit de la porte d'entrée, les deux pierres
échancrées formant les coussinets sur lesquelles reposaient les tourillons de
son tablier.
Le
seuil franchi, un assommoir pouvait arrêter l’envahisseur. Des soldats, postés
dans un chemin de ronde crénelé qui enveloppe la tour à la hauteur du sommet
des courtines assuraient le service de ce moyen de défense. Une herse venait
ensuite, puis une porte consolidée par des
barres
qui s'enfonçaient dans des trous, de niveau inégal, creusés dans les murs
latéraux. On se trouvait ensuite dans une sorte de vestibule voûté en ogive. A
droite et à gauche, des meurtrières à ouverture cruciforme et pattée défendaient
les fossés. Tout contre, deux petites portes ogivales permettaient aux hommes
de garde de passer sur les
braies. Avant et après ces ouvertures on observe les traces de rainures et de trous carrés, seuls restes des deux dernières portes. Au‑dessus de ce rez‑de‑chaussée s'élèvent trois étages: le premier servait d'arsenal, les deux autres, munis de meurtrières, constituaient des postes retranchés d'utile défense.
Une
fois qu'on est rentré dans la cour, la végétation variée qui s'y presse
semble
vouloir arrêter le visiteur et lui dérober la vue de ces murs délabrés. Malgré
tout, écartons branches et ramures et parcourons ce vaste emplacement carré,
entouré jadis, en face, à droite et à gauche, des appartements seigneuriaux,
comme à Villandraut. Une poterne, semblable à celle de ce dernier château,
ouvrait sur la façade nord‑ouest, un peu reportée vers le nord. Dans
l'intérieur de la tour sud, on voit encore les traces des deux étages qui
s'élevaient au‑dessus du rez‑de‑chaussée, et sur les murs on
remarque un revêtement en plâtre chargé de moulures Louis XV à rinceaux qui
semblent un véritable
anachronisme
dans ce château du XIVe siècle.
Continuant notre route nous nous dirigeons vers le Ciron en
passant par Foubanne et en laissant à droite les restes sans intérêt de
l'ancienne maison noble de Margaride.
Ponbanne est célèbre par sa source abondante et limpide, dont le débit
est de 350 litres par seconde. Ces eaux sont amenées à Bordeaux, depuis 1887,
par un aqueduc de 31 kilomètres de longueur.
Nous allons maintenant traverser le Ciron sur le pont de la Magdelaine, ainsi nommé d'une petite construction en ruines qu'on découvre tout auprès du Ciron, sous les arbres et dans un coin très pittoresque. C'est une simple enceinte rectangulaire bâtie en belle pierre. On l'appelle la chapelle de la Magdelaine, mais rien n'indique qu'elle
en fût une. Il semble, bien au contraire, que nous soyons en présence d'un fortin ou tour carrée, tout comme la Tourasse de Léogeats. Nous gravissons le coteau en pente douce et nous voici rendus au château Filhot habité
par le comte Eugène de Lur‑Saluces. Cette demeure moderne fut reconstruite en 1845, au milieu d'un parc superbe où croissent des
milliers d'arbres aux essences variées, chênes, bouleaux, cèdres,
hêtres pourpres, peupliers, dont les masses profondes se reflètent dans
une large pièce d'eau. Les souvenirs historiques de cette magnifique rési dence
se rattachent à l'un de ses anciens propriétaires, Jacques de Filhot, trésorier général de France en la généralité de Bordeaux,qui déploya,
pendant la révolte de l'Ormée, à Bordeaux, en 1651, un dévouement
remarquable à la cause royale. La famille de Filhot, célèbre dans l'histoire du Parlement de Bordeaux, était déjà connue en 1450.
D'autres parlementaires, les d'Arche habitaient près de là
le château qui porte encore leur nom, mais qui n'offre plus guère d7intérét. Il
rappelle seulement une famille d'ancienne origine qui fournit plusieurs membres
distingués au Parlement de Bordeaux et à la cour des Aides de Guyenne. M. J.
Lafaurie en est à présent propriétaire.
Le château d'Arche, sur la hauteur, est séparé du bourg de
Sauternes par un vallon assez profond. Sauternes possède une vieille église à
abside romane dont les pierres gardent encore de nombreuses marques de
tâcherons. Tout auprès, le presbytère conserve, dans une de ses chambres, un
tableau de valeur de l'école italienne, représentant saint Jean‑Baptiste
dans le désert. La peinture est un peu grise, mais les chairs sont bien peintes
et la tête est vivante et expressive.
Laissant Sauternes et
inclinant vers le nord‑est, nous atteignons bientôt le château Yquem,,
propriété du comte Eugène de Lur‑Saluces.
Cette demeure seigneuriale des XVIe et XVIIe siècles se
présente d'une façon assez pittoresque. Une cour carrée avec courtine crénelée
est flanquée aux angles de trois tours rondes percées de meurtrières à mousquet,
et au quatrième angle nord‑est, d'une tour oblongue. Sur les façades est
et ouest s'ouvrent les deux portes d'entrée placées, sous des tours carrées à
un étage. La tour est renferme, au premier étage, la chapelle et
extérieurement, une bretèche. Les vanteaux de la porte sont en bois, doublés à
l'inté‑
rieur de traverses
disposées en losange. Au centre de la cour, un puits dont la margelle, à rebords
et la panse renflée semblent indiquer le XVIe siècle.
Autrefois les sires de Sauvage habitaient le castel.
François de Sauvage, écuyer, sieur d'Yquem, prend part, en 1649, aux séances
préparatoires à la tenue des Etats généraux que Mazarin voulait convoquer à
Orléans, mais qui échouèrent. Plus tard, Laurent de Sauvage d'Yquem, ancien
colonel d'infanterie, marie sa fille, Françoise‑Joséphine, en 1785, avec
Louis‑Amédée de Lur‑Saluces, colonel du Régiment de Penthièvre
Dragons. Depuis cette époque la noble famille des Lur‑Saluces conserve
cette demeure fort agréable.
Mais ces souvenirs ne sont rien à côté de la gloire dont le
vignoble d'yquem jouit depuis tant d'années, presque depuis des siècles. C'est
en ces lieux, sur ces hauts coteaux du Ciron, que l'on cueille un raisin doré
d'où sortira la liqueur vermeille, véritable nectar divin, que la France et les
nations lointaines dégustent avec respect et savourent avec convoitise.
Un vieux chevalier disait, en parlant de ce vin: « Il n'y a
à le boire que les Dieux, nos dames et nous, les Dieux debout, nos dames
assises et nous à genoux! »
Mais pour arriver à cette perfection, quels soins minutieux
et attentifs ne faut‑il pas! Les vendanges se conduisent avec un art
consommé. On laisse les raisins se confire au soleil, et les bons grains,
soigneusement détachés de la grappe, sont précieusement recueillis. Plusieurs
cueillettes se succèdent ainsi, constituant l'origine de plusieurs sortes de
vins. Et lorsque le liquide précieux est recueilli dans les barriques, quelle
prudence ne faut‑il pas encore pour arriver à le faire vieillir et à lui
faire produire tout son bouquet, sa saveur et sa finesse!
Ces opérations difficiles à bien mener sont confiées à un
personnel qui habite la localité et qui se transmet cette charge délicate de
père en fils depuis nombre de générations.
Deux propriétés avoisinent Yquem: le château Rabaud
appartenant à M. Adrien Promis, ancien domaine des familles parlementaires de
Rabaud et de Cazeau, d'où l'on découvre un panorama superbe au nord et à
l'ouest, et le château Lafaurie‑Peyraguey à M. Frédéric Grédy.
Cette dernière demeure appartenait au conseiller de Pichard
et conserve à ses angles des tours portant encore sur le côté quelques petites
meurtrières. Les murs ont gardé des restes de créneaux et la porte d'entrée, en
forme de porche carré couvert, est ancienne, du XVe ou du XVIe siècle. Ce
château a été aussi la propriété de M. J. Saint‑Rieul‑Dupouy, le
spirituel chroniqueur de la vie bordelaise, vers 1850.
En bas des coteaux où nous sommes, et dont les vignes
célèbres donnent un vin réputé, le petit village de Bommes, près du Ciron,
n'offre guère d'intérêt. Nous inentionnerons cependant trois jolis chapiteaux
romans provenant sans doute de l'ancienne église paroissiale, aujourd'hui
disparue. On a eu la très heureuse idée pour les conservd de les enchâsser dans
un mur voisin de l'église moderne actuelle. L'un d'eux figure une
corbeille: un autre représente deux colombes affrontées
portant sur le flanc une sorte de roue ornée en rosace et buvant dans une coupe
qu'abrite un palmier.
En suivant le cours du Ciron, qui coule à travers des
prairies et qu'ombragent des bouquets d'arbres, on atteint le moulin et le
château de la Salle, tous deux voisins l'un de l'autre, cachés dans la verdure
et encadrés d'un site exquis de fraîcheur et de pittoresque.
Du moulin il y a peu à dire: sa force motrice actionne une
dynamo qui fournit l'électricité à Langon et en même temps une scierie où l'on
fabrique des jantes en bois d'acacia pour les automobiles. Où sont les quatre
meules d'antan qui, par an, broyaient 12.000 hectolitres de grains?
Mais nos regards ont déjà découvert à travers les branches
la délicieuse petite gentilhommière du château de la Salle, où réside M.
Pouchan‑Lacoste.
Ce poétique manoir présente un plan barlong dont les
soubassements et les portes ogivales paraissent être du XIVe siècle. Une tour
hexagonale renfermant l'escalier à vis s'appuie contre sa façade nord et une
toiture pointue à double égout couronne l'ensemble.
Les souvenirs de ce petit castel et du moulin voisin sont
bien reculés dans l'histoire. Nous savons qu'en 1207, Jean de Staples, seigneur
de la Salle, ayant reçu en fief du roi Jean d'Angleterre, en 1205, le cours du
Ciron, de Budos à son embouchure, permit à noble Jean de la Salle, de
construire un moulin à trois meules sur le Ciron, près de la maison noble de la
Salle. Plus tard, le moulin est en ruines et appartient au sieur Jean de
Sauboa. En 1540, nous trouvons la maison noble aux mains de noble Jean de
Portepain, écuyer, sieur de la Salle du Ciron, qui avait épousé Jeanne de
Montferrant, soeur de Pierre de Montferrant, soudan de la Trave. Un autre Jean
de Portepain de la Salle du Ciron, chevalier et gentilhomme de Henri III, était
ce capitaine de cent chevau-légers qui périt au siège de Langon, en 1578, et
dont nous avons narré plus haut le superbe héroïsme.
La
résidence de La Salle demeura dans la même famille jusqu'au XVIIIe siècle
cedant arma togæ, les
parlementaires y remplacèrent alors les capitaines. Le fameux président
Emerigon en fit son séjour.
L’èglise de Pujols pourrait avoir servi de chapelle à un
prieuré et ce prieuré parait avoir été le presbytère actuel. A l'intérieur de
l'église, au pilier du milieu, la tête et le buste d'un moine coiffé d'une
capuce, émergent au bas de la retombée d'un arc aujourd'hui disparu; ce détail
pourrait confirmer ces indications.
Un peu en aval de Pujols, nous rencontrons la fontaine de
Lomagnon aux eaux abondantes, située tout près du confluent du ruisseau de
Landiras avec le Ciron.
Ce petit cours d’eau prend son nom du bourg assez important
de Landiras qu'il entoure au nord.
L'église de Landiras est de style roman et abrite des
sculptures fort curieuses. Ce sont d'abord des chapiteaux très remarquables qui
soutiennent les arcs doubleaux de la croisée du transept. L'un d'eux figure le
Christ emmené au jardin des
Oliviers, un autre
représente des colombes se becquetant et affrontées, au milieu de pommes de
pin. Sur un troisième on voit le Christ entouré du tétramorphe, le lion de
Saint Marc porte une croix sur sa cuisse. L'intérieur de l'abside principale
circulaire, dont les lignes sont très pures et très élégantes, est décoré
d'archivoltes et de chapiteaux sculptés. Sur l'arc triomphal, du côté de
l'entrée, deux bas‑reliefs figurent des personnages. A l'extérieur de
l'abside principale les fenêtres sont encadrées de colonnettes supportant des
chapiteaux représentant des entrelacs ou des animaux fantastiques. Ce qui
paraît vraiment digne de remarque dans cet ensemble. c'est le grand nombre, la
variété et le fini du travail de toutes ces sculptures.
Au delà de Landiras,
vers l'ouest, près de la route de Landiras à Guillos, au lieu de la Capère ou
de la Capelle, s'élevait autrefois l'église de Saint‑Martin de Lassats,
centre d'une paroisse importante connue dès 1273 et aujourd'hui disparue. Une
petite source qui donne naissance au ruisseau du Pin coule près de l'endroit où
s'élevait le sanctuaire, rappelé d'ailleurs par le nom de l'endroit.
Tout près de là, vers
le nord, on découvre, au milieu des bois, le Tuco Blanc, motte de sable d’un blanc laiteux entourée de marais et
haute d'une dizaine de mètres. On a pu croire que ce monticule était une
ancienne forteresse gauloise en se basant surtout sur la découverte qu'on y a
faite d'armes en silex.
Reprenons notre
course à travers la campagne et traversant le Ciron qui maintenant coule à
pleins bords en deux et même trois bras différents, nous nous acheminerons
vers l'est jusqu'à ce que nous arrivions au château de Suduiraud propriété de
Madame veuve Emile Petit.
L'entrée principale
de ce domaine est formée d'une magnifique avenue de vénérables pins francs qui
conduit tout droit à la maison d'habitation. Devant le château une ligne demi‑circulaire
de vieux tilleuls enserre une esplanade où une pièce d'eau, constellée de
nénuphars, reflète les formes élancées d'un rideau de peupliers.
En face, une large
grille sert d'entrée à un petit jardin à la française, cerné de trois côtés par
les bâtiments.
Derrière le château,
la façade, non dépourvue de grandeur, se présente ornée de beaux balcons en fer
forgé Louis XV et d'un
fronton triangulaire portant
les armes des anciens seigneurs. Un parc s'étend au delà: des centaines de
caisses
d'orangers bordent ses allées, un labyrinthe,une
pièce d'eau, un vivier, des cèdres majestueux, une allée de palmiers, un petit bois de chênes et des
châtaigniers plantés en quinconce complètent les charmes de cette
agréable résidence. La famille Duroy de Suduiraut,
qui s'illustra dans le
Parlement de Bordeaux et à la Cour des Aydes
de cette ville, habitaient autrefois ce château.
Au
sud‑ouest du bourg de Preignac, on remarque le château de Malle dans
un
flot de verdure clos demurs, où habite le comte Pierre de Lur‑Saluces. De
fort belles grilles en fer forgé portant des armoiries et de dessin original
s'ouvrent
à son entrée principale. Le châ teau
est de style Louis XIII: un pavillon
central
flanqué de tours rondes à toit en coupole lui donnent un cachet très
caractéristique.
A l'intérieur, les salles sont ornementées
de cheminées en pierre
sculptées.
Les jardins, dessinés à la française, sont étagés avec terrasses, perrons et
statues qui rappellent le genre italien.
Ce domaine appartenait depuis 1540 à la famille de Malle,
qui fournit au Parlement de Bordeaux plusieurs de ses membres, dont Jacques de
Malle, avocat au Parlement, qui s'occupait lui‑même d'expédier ses vins
jusqu'en Hollande et en Ecosse. En 1720, le château de Malle passa à la famille
de Lur‑Saluces à la mort de Pierre de Malle, dont la fille unique ,
Jeanne, avait épousé, en 1700, Eutrope‑Alexandre de Lur‑Saluces,
comte d'Uza. Leur fils, Pierre, devint marquis de Lur‑Saluces et maître
de Malte : il mourut en 1780, colonel de cavalerie et lieutenant général.
L'église de Preignac, de construction moderne, ne nous
retiendra pas longtemps. Elle possède un tombeau de pierre, de grain très fin,
agrémenté de sculptures Renaissance et portant une inscription, épithaphe du
sieur Pierre... écuyer et seigneur d'Armajan et de Lamothe, qui vécut avec sa «
très chaste espouse », Jeanne de Lossans, pendant 32 ans, et mourut le 22
décembre 1572.
Sur une plaque de marbre, au milieu du tombeau, on lit cette
devise humiliante: Quid superbis? Terra et cinis.
Cet époux de Jeanne de Lossans était Pierre Sauvage qui
habitait le château des Ormes à l'ensemble assez élégant et situé dans le bourg
de Preignac. Lorsque Charles IX, voyageant en France, s'arrêta, en 1566, à
Preignac, il descendit chez ce personnage et l'annoblit du titre de d'Armajan
et de Lamothe. C'est ce que rappelle une plaque circulaire en marbre blanc
encore enchassée dans la façade orientale du château. On y garde aussi
une autre plaque de marbre blanc dont l'inscription évoque
le passage, en cette même demeure du duc et de la duchesse de Montpensier
revenant d'Espagne, le 31 octobre 1846, après leur récent mariage et se
dirigeant sur Bordeaux. M. Galice est aujourd'hui possesseur de cette
propriété.
En passant derrière l'église de Preignac nous gagnons le
port, baigné par un bras de la Garonne et placé dans une riante situation. Sur
la cale pavée se déchargent ou s'embarquent les marchandises, vins, pierres,
tuiles, au moyen de la palanquey fort madrier appuyé d'un bout sur le quai et
de l'autre sur le bord de la gabare.
Au nord‑ouest de Preignac, en vue de la Garonne, le
château des Rochers corps de logis à un étage, sans grand caractère, rappelle
le souvenir de son constructeur, le président Jean‑François de Rolland,
président à mortier au Parlement de Bordeaux, issu d'une honorable et noble
famille de magistrats et qui périt, en 1794, sur l'échafaud révolutionnaire.
Aujourd'hui encore, la marquise de Rolland habite dans cette demeure.
A une faible distance de là, vers l'ouest, au hameau de la
Garengue, et presque au pied du talus du chemin de fer, s'élève une chapelle en
ruines que les ronces envahissent de tous côtés. C'est la chapelle de St‑Amand
dont les quatre murs, bien désagrégés, sont impuissants à redire leur histoire.
L'appareil des pierres indique cependant une construction fort ancienne, peut‑être
même antérieure au XVe siècle.
Le Ciron passait autrefois au pied de cet humble sanctuaire:
un petit pont ancien à deux arches et en ruines indique où se trouvait l'ancien
lit de la rivière.
Un pont, jeté sur le Ciron, appelé autrefois pont des
Chartreux ou pont aux Moines, et sur lequel passe la grande et belle route
d'Espagne, unit Preignac à Barsac. Tout auprès se trouve un beau moulin à sept
meules, appelé le moulin du Pont. Jadis, au XVe siècle, cet endroit était
désert; des bois et des taillis voisins servaient de repaires à des « larrons,
brigands et agresseurs de chemins ». Le pont était tombé en ruines, et l'on
avait commencé à y édifier un moulin, mais personne n'osait y demeurer. Un
brave habitant de Podensac, André Cavaud, pressé par le Parlement de Bordeaux
qui S'intéressait à la sûreté de la route, accepta et promit de réparer le
pont, de construire le moulin avec le concours des habitants du voisinage et de
l'habiter.
Tout près du pont on remarque une haute tour carrée à trois
étages et à toit pointu, accolée d'une tourelle, et fortifiée d'une bretèche,
qui parait être du XVIe siècle. Cette tour dépend du château moderne de
Rolland, et forme au milieu des grands arbres un petit décor fort gracieux.
C'est actuellement la résidence de M. Raoul Froidefond.
Le Ciron dont nous n'avons plus guère à parler maintenant
achève son cours et va unir ses eaux à celles de la Garonne au Port de ]Barsac.
Tant par la navigation du fleuve que par celle de la
rivière, ce port est un des plus importants de la rive gauche de la Garonne.
C'est l'entrepôt des marchandises que les landes expédient par eau à Bordeaux,
telles que les pierres estimées appelées « pavés de Barsac », poteaux de mines
arrivés en radeaux, bois merrains, planches et bûches de
pin, échalas de bois d'acacia, barriques vides qui se fabriquent en
grand nombre à Barsac et à Preignac, sans compter aussi les barriques pleines
des vins blancs exquis récoltés dans le voisinage. De nombreux maîtres de
bateaux, appartenant à une race vaillante, assurent le transport fluvial de
toutes ces denrées.
Nous ne laisserons pas Barsac sans avoir parlé des souvenirs
anciens de ce bourg important, qui jouissait jadis du titre privilégié de ville
de prévoté royale.
Les prévôts étaient dans le principe de simples fermiers du
domaine royal, à qui le roi concédait dans l'étendue de la circonscription qui
leur était assignée le droit de percevoir les revenus d'origine diverses qui
constituaient l'actif du budget royal, moyennant une quote‑part retenue à
leur profit. Ce droit de perception entraînait par suite des attributions
administratives pour veiller à la bonne tenue et à l'entretien des terres d'où
provenaient les redevances, des attributions judiciaires pour contraindre les
récalcitrants à payer, enfin des attributions militaires pour assurer par des
troupes la police du domaine et l'exécution des sentences rendues.
Cette prévôté de Barsac avait une origine fort reculée
puisqu'en mai 1254 le roi d'Angleterre, Henri III, écrit aux nobles et hommes
libres « de la prévôté de Barsac » pour leur demander des boeufs et des
charettes. Le souverain comptait peut‑être se faire payer ainsi la faveur
qu'il avait accordée, le 8 février précédent aux prud'hommes de Barsac, de
fortifier leur ville, qui lui appartenait d'ailleurs.
Le premier prévôt dont le nom soit connu, est Jean Ferre qui
reçut, en 1277, du roi Edouard I, par l'entremise du sénéchal de Gascogne, le
titre de prévôt de Barsac. Le même, de son palais de Westminster, donne cette
charge par bail à ferme, en 1285, à Jean Alègre, moyennant 145 livres de
monnaie de Bordeaux.
Barsac était sans doute clos de remparts à cette époque,
comme nous le disions plus haut, mais il lui manquait un château. Bernard de
Budos avait demandé en 1319, au roi d'Angleterre, l'autorisation d'élever une
maison forte: le roi refusa. Plus heureux que lui Gaillard de Syran, en 1340,
obtint d'élever un fort dans la paroisse de Barsac ou de Preignac, « aux
charges de le remettre toutes fois et quantes au roi ».
C'est qu'en effet le roi était le seigneur tout puissant à
Barsac et il disposait à son gré de ses terres et de sa prévôté. Il donnait
cette dernière à Thibaut de Budos en 1373, en 1381 à Jean de Stratton, et enfin
au célèbre Nicolas Bowet, le futur archevêque d'Yorck, ce qui laisse entendre
aujourd'hui que le titre devait être une judicature distinguée puisque des
personnages aussi éminents en étaient revêtus.
Nous résumerons en quelques notes brèves l'histoire très
intéressante de cette haute fonction. Après la conquête de la Guyenne, François
de Montferrand est prévôt de Barsac (1471); après lui vient Guilhem de Mus,
l'ancien boulanger « à la main de gloire », Pierre et Jean de Sauvage, ce
dernier conseiller au grand conseil en 1583. La prévôté vendue et rachetée
plusieurs fois fut déclarée inaliénable en 1585.
Jusqu'en 1643, elle comprenait neuf paroisses: Barsac,
Preignac, Cérons, Pujols, Bommes, Sauternes, Villagrains, Saint‑Morillon
et Saint‑Selve. Les trois dernières furent
démembrées
en 1643 et les autres furent aliénées en 1708 si bien qu'il ne restait plus à
cette date que Barsac seul.
A la fin du XVIIIe siècle, le prévôt portait encore le titre
de prévôt royal civil et criminel.
Rentrés dans le bourg de Barsac, nous porterons nos pas
d'abord vers l'église oeuvre fort élégante du milieu du XVIe siècle, qui
constitue une de nos meileures églises de la Renaissance dans la Gironde.
La façade se compose d'un mur uni au centre duquel est
engagée la tour carrée du clocher. Ce clocher est soutenu par deux contreforts
et comprend deux étages superposés décorés de pilastres ioniques surmontés
d'une coupole finissant par un lanternon carré. Trois portes sur cette même
façade donnent accès dans l'église.
L'intérieur, divisé en trois nefs, est, dans ses grandes
lignes, de plan rectangulaire. A l'est, dans le chevet droit, s'ouvre une
petite abside à cinq pans abritant le sanctuaire. Deux chapelles sur les bas‑côtés,
l'une, au sud, dédiée à saint Eutrope; l'autre, au nord, à sainte Anne, forment
des enfoncements rectangulaires. Deux autres petites chapelles carrées
s'ouvrent sur ces mêmes côtés, à l'ouest des premières. Une élégante tribune en
pierre, au fond de l'église, surplombe les trois entrées: elle est bordée d’une
rampe en fer forgé.
Les voûtes sont très élevées et leurs nervures retombent sur
quatres piliers en carré parfait, cantonnés de quatre colonnes engagées. Les
bases de ces piliers formées de simples moulures sont semblables aux
chapiteaux, mais renversées. Enfin, le maître‑autel et les deux autels
latéraux se détachent, avec leurs grandes statues aux draperies agitées, mais
non sans mérite, sur un entablement corinthien, en pierre blanche et dorée,
posé sur des chapiteaux dorés supportés eux‑mêmes par des colonnes de
marbre rose veiné.
Nous achèverons notre promenade dans Barsac en signalant le
château Cantegril propriété qui appartint au duc d’Epernon, puis aux seigneurs
de Cantegril. L'un de ces derniers épousa une demoiselle de Myrat et fit
construire dans une partie du domaine de Cantegril, le château de Myrat actuel,
gentille et coquette résidence. Aujourd'hui le château Cantegril appartient à
M. Emile Raymond et le château de Myrat à M. Pierre Martineau.
Enfin, nous n'oublierons pas le château de Bastard, habité
par Madame veuve Baudère, ancienne demeure de style Louis XV, qui fut la maison
natale de Mademoiselle de Lamourous, l’héroïque et pieuse
fondatrice de l'oeuvre de la Miséricorde de Bordeaux.
Notre excursion sur les bords du Ciron s'achève ici; il est
temps de clore ce chapitre, un peu trop long peut‑être. Mais comment nous
taire devant les souvenirs de premier ordre et les lieux remarquables arrosés
par cette rivière, une des plus captivantes de notre région? Nous avons cherché
à la tirer de l'ombre des pins où elle se cache, des gorges pittoresques où
elle coule, nous voudrions l’avoir fait connaître de ceux qui l'ignorent ou
même de ceux qui la connaissent mal.
Volontiers, après l'étude que nous lui avons consacrée, lui
redirions‑nous ces vers qu'Estienne de la Boétie, l'ami de Montaigne,
adressait à la Dordogne:
«
Si je devine bien, on te cognoistra mieulx;
«
Et Garonne, et le Rhône, et ces aultres grands dieux
«
En auront quelque envie et possible vergoigne. »
VIII. ‑ LA
GARGALLE
De tous les affluents
de la Garonne sur la rive gauche, la Gargalle dont la renommée n'est guère
éclatante, a pourtant l'origine la plus glorieuse.
C'est en effet dans
les fossés même du château de Landiras qu’il prend sa source, au pied des
remparts en ruines de L’ancienne forteresse dont il renforçait la puissance et
dont il motiva peut‑être l'érection en cette vaste
plaine dépourvue de toute autre défense naturelle.
Le plan d'ensemble de ce château dont la forme générale est
celle d'une ellipse, est un des plus considérables de la Gironde. Un large
fossé l'entoure, rempli d'eau au sud et à l'ouest et alimenté par quatre
sources abondantes qui jaillissent au nord. Tout près de ces sources se
trouvent les restes du château proprement dit.
Le plan de celui‑ci est heptagonal : soit celui d'un
carré dont les trois angles seraient abattus. Chaque angle est orienté selon
les quatre points cardinaux. Un fossé l'entoure et des tours polygonales ou
carrées, massives, renforcent ses courtines de place en place. Sa porte
principale est au sud‑est et s'ouvre entre deux minces tours octogones.
La forme primitive de cette entrée était ogivale; mais, au XVIIe siècle on
remplaça l'ouverture existante par une porte dans le style de cette époque,
avec des montants droits supportant un linteau chargé des armes des Montferrant
et surmonté d'une panoplie sculptée. Une large fenêtre s'ouvre au‑dessus
de ce seuil.
De la cour intérieure et des bâtiments qui devaient
l'enclore il ne reste plus que des fondations de peu d'importance, et l'on n'a
plus guère idée aujourd'hui de ce qu'était ce castel du XIIIe siècle, époque de
sa construction, et de ses transformations du XVIIe siècle.
Plus heureuse est son histoire, les documents concernant le
château et les seigneurs de Landiras sont nombreux: essayons d'en résumer les
éléments principaux.
Le premier seigneur de Landiras que l'on connaisse
s'appelait Rostang, il vivait en 1173. En 1235, un autre Rostang, peut‑être
le même, prend part à une assemblée de la noblesse à Bordeaux, et Henri III le
convoque en 1243 dans la même cité. En 1253, ce dernier souverain envoie
Geffroi Gacelin pour défendre le château de Landiras et ordonne aux habitants
dudit lieu de faire la guerre à ceux de La Réole. Il serait fastidieux
d'énumérer tous les seigneurs de Landiras durant cette période: Rostang de
Landiras (1274), Gaillard de la Motte (1284), Isabelle, veuve et héritière de
ce dernier; puis le gendre de Gaillard et d'Isabelle, Jean ler, sire de
Grailly; après lui, Gaillard de Saint‑Symphorien, maréchal de l'armée
d'Aquitaine (1340).
Le sire de Landiras est à cette époque aux premiers rangs de
la noblesse. L'historien Froissart nous raconte qu'il se trouvait à la suite du
Prince Noir, l'accompagnant dans son expédition en Languedoc, à la bataille de
Poitiers et en Angleterre, quand le Prince y emmena le roi de France et son
fils prisonniers.
Un autre seigneur de Landiras, Pierre, escorta le soudan de
la Trave dans toutes ses aventures que nous avons déjà narrées. Plus célèbre
fut Jean de Stratton, en 1373, époux d'Ysabeau de Saint‑Symphorien, et
connétable de Bordeaux, déjà mentionné à propos de la prévôté de Barsac, qui
reçut Landiras du roi d'Angleterre en récompense de ses services éminents. Du
Guesclin et le duc d'Anjou s'emparèrent de son château, en 1377. Mais une de
ses filles, Isabeau, épousa Bertrand de Montferrand et après la conquête de la
Guyenne par les Français, Landiras revint dans cette famille à laquelle elle
appartint pendant plus de deux cents ans. Un certain Jean de Montferrand,
seigneur de
Landiras, avait épousé, en 1573, Jeanne de Lestonnac, nièce de Michel
Montaigne. Ce dernier disait d'elle qu'il n'avait jamais vu plus belle âme en
un plus beau corps. Jeanne, devenue veuve, fondait la congrégation des soeurs
de Notre‑Dame et l'Eglise la proclamait bienheureuse.
En 1651, la terre et seigneurie de Landiras qui constituait
déjà une baronnie, la seconde de la Guyenne, furent érigées en marquisat au
profit de Bernard de Montferrant. En ce temps‑là, le château de Landiras
était « ceint et entouré de doubles fossés pleins d'eau, revêtus de pierres, et
de toutes sortes de fortifications ».
Pendant plusieurs années, la charge de grand sénéchal de
Guyenne sembla être le privilège des nouveaux marquis, comme pour rehausser
encore leurs titres de noblesse.
Landiras passa par alliance entre les mains de M. de
Brassier, à la fin du XVIIIe Siècle, puis entre celles des sieurs de la Roque,
barons de Budos. Les révolutionnaires s'emparèrent de ce domaine et démolirent
les murs du château pour y prendre de la pierre à bâtir. Madame Alphonse Bordes
habite maintenant dans une habitation moderne voisine de l'ancien castel dont
elle est propriétaire.
Au nord du château de Landiras, on rencontre, dans une
prairie, près d'un petit bois et d'un mince ruisselet l'ancienne église de
Brach qui semble remonter au XIIIe siècle. Elle fut le sanctuaire d'une
ancienne paroisse connue dès 1307. Le chevet inachevé ou détruit porte deux
fenêtres jumelles en ogive. Sur la façade sud, des corbeaux figurant des têtes
d'hommes ou d'animaux surmontent une petite porte ogivale, tandis que deux gros
contreforts soutiennent le mur à droite et à gauche. A l'intérieur on remarque
une piscine à deux ouvertures et, détail assez curieux, adossée au chevet, une
cheminée en pierre, ancienne, mais évidemment postérieure à l'église.
La Gargalle poursuit son cours en se recourbant vers l'est,
et arrive près de la voie ferrée de la ligne de Bordeaux à Cette. En cet
endroit elle reçoit les eaux du petit ruisseau de Saint~‑Cricq, qui tire
son nom d'un château voisin.
Ce château de la fin du XVe siècle, comprend deux cours
assez vastes séparées par un corps de logis double. Deux tours carrées
protègent les angles de la façade nord et semblent avoir été refaites au
commencement du XVIIe siècle. La tour nord‑ouest garde encore sa voûte
d'arêtes dont la clef porte un écusson armorié. Les autres tours sont rondes,
percées de meurtrières pour armes à feu, et avec des escaliers en ruines à
l'intérieur. Tout l'ensemble est noyé dans les arbres qui l'enveloppent de
grâce et de poésie.
De ses seigneurs, nous savons peu de chose. Nous trouvons
dans quelques documents divers personnages qui ont porté ce nom. Pierre de
Saint‑Cricq était important marchand de Bordeaux et riche bourgeois au
XVIe siècle. Un sieur de Saint‑Cricq est exécuteur testamentaire de Léon
de Montferrant, marquis de Landiras, en 1716, et enfin, messire Laurent de
Sauvage, à la fin du XVIIIe siècle , a le titre de seigneur d'Yquem et de Saint‑Cricq.
Le petit ruisseau auquel le château de Saint‑Cricq a
donné son nom se recourbe vers l'ouest et passe au nord du bourg d'Illats.
Illats renferme une
église ancienne, primitivement en forme de rectangle terminé par un demi‑cercle.
Son portail d’entrée est très richement décoré de sculptures qui ornent ses
archivoltes et ses chapiteaux. L'abside, aux murs fort épais, est entourée,
dans l'intérieur, de colonnes surmontées de curieux chapiteaux.
L'un d'eux représente le martyre de saint Laurent, patron de
la paroisse, étendu sur son gril: un bourreau attise le feu et l’autre tient
une hache prête à frapper. Sur un autre relief, la Vierge nimbée, assise entre
des plantes, présente le Christ sur ses genoux. Enfin, une dernière scène
figure le pèsement des âmes; un ange élève une âme dans la balance tandis qu'au‑dessous
des diables grincent des dents. A la sacristie, on conserve un remarquable
crucifix en ivoire du XVe siècle.
A la sortie du bourg dIllats, vers le sud, on aperçoit, à
demi cachée dans les arbres, les tours d’une petite gentilhommière, non sans
élégance, dont la construction paraît remonter au XVIe siècle, c'est le château
de Cagès. En 1514, Hélène du Cos, veuve de Jean de la Motte, rendait hommage à
raison de cette maison noble de Cagès au soudan de la Trave, qui était baron de
Landiras, et lui devait « un baiser de bouche en la joue dextre ».
Successivement, elle appartint à Jean de Montferrant, seigneur de Landiras
(1554), à Jean de la Salle du Ciron (1580), à Jean de Foussard, contrôleur des
guerres (1581), à Jacques de Cieutat, conseiller au Parlement (1623), enfin à
M. de Jegun, également conseiller (1760). Aujourd'hui, le château de Cagès est
habité par M. Daniel Dubourg.
Le cimetière paroissial est établi près de l’emplacement
d'une chapelle de Saint Roch, aujourd'hui disparue, où l'on amenait autrefois
en pèlerinage des bestiaux malades.
Achevons notre promenade des bords de la Gargalle par une
visite rapide rendue, au bourg de Cérons. Notre première station sera pour
l’église.
L'abside de ce sanctuaire est roman et du XVe siècle: à
droite et à gauche furent construites deux chapelles à la fin du XVe siècle. Le
sanctuaire est séparé de la nef par un arc en plein cintre qui repose sur deux
chapiteaux corinthiens délicatement fouillés se continuant par deux colonnes à
demi engagées terminées par des consoles finement sculptées. D'élégantes
petites moulures règnent tout autour de l’abside. Mais le portail d’entrée, qui
s'ouvre sous trois arcades en retrait, attire les regards par la richesse et le
travail de ses sculptures. Ici, l’art manque de perfection. L'oeuvre est
barbare et naïve; malgré tout, elle constitue un ensemble fort digne d'examen.
Les chapiteaux représentent Daniel dans la fosse aux lions, le massacre des
Innocents, des animaux divers et des entrelacs, et les arcades sont chargées de
losanges, de chevrons, de festons et de lions tirant la langue. Au‑dessus
de la porte, une corniche est soutenue par des modillons sculptés, tandis que
d'autres modillons, en grand nombre, supportent la corniche de l'abside.
En face de l'église est situé, le château de Calvimont assez
jolie habitation de style Louis XIII, formée d'un corps de logis central
surmonté d’une balustrade pleine chargée d'arabesques et de moulures, et
complété par deux ailes à toiture aigüe. Ce domaine rappelle la famille de
Calvimont, qui compte parmi ses membres Jean de Calvimont, ambassadeur de Louis
XII, et bon nombre de vaillants capitaines. Il appartient à M. Joseph Cathalot.
Cérons est renommé pour la qualité de ses pierres qui ont
servi à voûter l'intérieur de la tour de Cordouan à l’embouchure de la Gironde,
et pour le commerce des bois d'acacias, grande source de revenus pour le pays.
L'acacia ou robinier y pousse facilement et rapidement. On l'exploite en
taillis, et des vieilles souches sortent des rejetons droits et vigoureux dont
on fait des rais pour les roues de voitures et surtout d'excellents échalas.
ce qu'on appelle le Castéra, restes de l'ancien château
d'Hostens, expressément désigné dans l'hornmage que Guillaume de
Bouville, damoiseau, rendait à Edouard I, roi d’Angleterre, vers 1289, peut‑être
même en 1273. Son histoire dut être celle de ses malheurs, car, dès la fin du
XVIIIe siècle, l’ancien fort était déjà réduit à quelques décombres.
En suivant toujours la ligne de partage des eaux des deux
bassins de la Garonne et de la Leyre, et en remontant vers le nord‑ouest,
nous arrivons au village de Saint Magne, situé comme Hostens sur la
crête de cette ligne.
L’église conserve, dans une chapelle latérale, une « Piéta »
en pierre du XIVe ou XVe, siècle: on y remarque la jolie expression de la
figure de la Vierge, faite de douleur étonnée.
Sortant du village et cheminant vers le nord, nous
arriverons au hameau de Brand et nous gagnerons, près d'un marais voisin, un
endroit appelé, comme à Hostens, le Castéra. On y reconnaît une sorte de
butte triangulaire qui s'élève au‑dessus de fossés pleins d’eau. C'est
remplacement de l'ancien castel de Saint‑Magne. Son origine est
lointaine: Edouard I, roi d’Angleterre, en 1289, permettait à Bertrand de
Podensac de construire sur sa terre de Penne ou de Saint‑Magne, un fort
avec des fossés, des murs, un pont‑levis et des portails. Vers 1342,
Bernard d’Escossans semble avoir possédé cette terre et la tradition raconte
que vers la fin du XIVe siècle, les troupes du roi Richard II auraient démoli
le castel. En 1454, ü appartenait à Bérard d'Albret, seigneur de Langoiran et à
Arnaud Amanieu, seigneur d’Albret.
Les seigneurs de Saint.‑Magne délaissant les ruines de
leur forteresse ravagée, allèrent dans le voisinage y construire le château
actuel composé d'un bâtiment central du XVIe siècle auquel est jointe une tour
carrée qui semblerait plus ancienne. Sur la face nord de cette construction
s'ouvre une petite fenêtre ogivale trilobée. Messire Pierre d’Agès, chevalier,
était seigneur de Saint‑Magne en 1540 et maître d'hôtel ordinaire du roi.
Sa seigneurie devint la propriété du marquis de Pons qui la vendit à M. de
Cazenave à la fin du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, de belles avenues de cèdres,
de thuyas, de cyprès, de chênes et de sapins l’entourent de tous côtés et non
loin de là une lagune circulaire, avec une île en son centre complète les
agréments de ce vaste bien fonds d’une contenance totale de 2.600 hectares et
qui appartient à M. de Puységur.
Laissant Saint‑Magne et traversant la lande vers
l’est, nous arriverons au village de Guillos. I’église présente à l’intérieur
quelques parties anciennes et même romanes, telles que le second porche à
l’entrée. Mais une Vierge en bois du XVe siècle au hanchement caractéristique
et aux doux sourire est l'ornement le plus intéressant de ce sanctuaire.
Tout comme Hostens et Saint‑Magne, Guillos
possède également son Castéra réduit lui aussi à des restes bien amoindris.
C'est au nord‑ouest de cette paroisse qu’il se trouve. Il comprend une
motte de terre entourée de douves d'un côté et de l’autre de profondes
excavations. Le sol environnant est très mouvant. Une nappe d'eau très
poissonneuse l'avoisine.
Quelle est rhistoire de cette forteresse? Les archives sont
muettes à son égard. Nous savons cependant que Guillaume de Bouville avait, en
1273, des droits seigneuriaux sur Guillos, qu'en 1540, Pierre de Montferrant,
soudan de la Trave et baron de Landiras, en était seigneur et qu'en 1450 et en
1540, il était question du « péage de Guillos » qui appartenait aux Montferrant.
Au nord‑est de Guillos, la lagune de Troupins mérite
d’être spécialement mentionnée. Elle forme un véritable petit lac au milieu des
bois: à côté d'elle, une pièce d'eau plus petite est égayée de nénuphars.
Toutes deux forment un tableau un peu mélancolique peut‑être dans cette
solitude de la lande; mais quand le soir arrive et que l'on mène boire les
vaches rousses qui s’en vont en rêvant, ou que la lune glissant à travers les
grands pins vient briller sur le miroir de l'eau tranquille, alors de cet endroit
désert se dégage une impression de charme intense et de très douce poésie.