VARIÉTÉS BORDELOISES ou E S S A I
HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA
TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET MODERNE DU
DIOCÊSE DE BORDEAUX PAR L'ABBÉ BAUREIN TOME III BORDEAUX FERET
ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS 15 Cours de
L'INTENDANCE 1876 |
Extrait :
Livre
cinquième
Article XXVI
Pages :172
à 180
Collection :
SAINT‑ROMAIN de BUDOS
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Cette Paroisse est
située dans l'Archiprètré de Cernès. Son Eglise, qui est belle, est placée sur
une éminence très élevée. On voit dans le Sanctuaire de cette Eglise, et du
côté de l'Evangile, un beau mausolée d'un Seigneur de Budos, qui y a été
enseveli, et dont voici l'inscription :
« Ci gît
Noble Raimond de la Roque, Escuyer, Baron de Budos 'Seigneur de Tastes et de la
Tour, qui décéda le 21 Avril 1594, âgé de 57 ans. »
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Jean de la Roque,
Ecuyer, Seigneur Baron de Budos, fils naturel
et légitime de ce Raimond, et de Dame Jeanne Dalesme, passa contrat de mariage
au château de Sainte-Aulaye‑sur‑Dordogne, le 16 Septembre 1593, pardevant Fraissineau, Notaire Royal, avec Susanne de Segur, Demoiselle, fille
naturelle et légitime de Messire François
de Segur, Chevalier, Seigneur dudit Sainte‑Aulaye, Ponchac, Montavan
et autres lieux, et de Demoiselle Jeanne de Fouguerolles, Dame dudit lieu :
c'est de ce Jean de la Roque que descend, en ligne directe, Charles‑François‑Armand de la
Roque, actuellement Capitaine de Dragons au Régiment de Conti, Seigneur
actuel de Budos.
Il existe d'ailleurs
dans cette Paroisse une autre Eglise ou Chapelle, sous 1’invocation de Saint
Pierre, où l'on célébroit autrefois le Service divin le jour de la Fête du
Saint Patron, ainsi que le lendemain. Les Curés de Budos faisoient ce Service,
et l'avoient fait de toute ancienneté. Il y avoit un grand concours de monde
qui s'y rendoit, non seulement des Paroisses voisines, mais même de celles qui
étoient éloignées. On comprend qu'il pouvoit s'y être glissé des abus ; et
c'est, selon les apparences, ce qui a occasionné la suppression de ce Service,
et par conséquent de l'assemblée. On s'est borné, depuis long‑temps, à y
aller en procession au jour d'une des Fêtes de Pâques. Cette Chapelle est
située à la distante d'un quart de lieue de l'Eglise paroissiale.
La Cure de Budos est
séculiere et à la nomination de M. l'Archevéque. Le Curé est gros Décimateur de
la Paroisse, par égale portion néanmoins avec le Seigneur; les menues dîmes
appartiennent en entier au Curé.
Celte Paroisse, dont
un quart est en côte et le restant en plaine, est assez bien cultivée. On y
voit des vignobles, des terres labourables, des terreins où l'on a semé ou
laissé croître des pins. Il y a néanmoins une lande d'environ dix‑huit
cens journaux, qui appartient aux Habitans.
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Budos est borné, vers
le levant, par les Paroisses de Bommes et de Sauternes, dont il est séparé par
la riviere du Siron; vers le levant, inclinant au midi, par celle de Logeats;
vers midi, inclinant au couchant, par celle de Balizac; du nord‑ouest,
inclinant au nord, par celles de Landiras et de Pujols. Elle est néanmoins
séparée de ces deux Paroisses par le ruisseau de Tursan, qui va se jetter dans
la riviere du Siron. Il existe un pont en bois sur cette riviere, pour la
communication de cette Paroisse avec celle de Bommes; mais ce pont n'est que
pour les personnes à pied ou à cheval, et non pour les charrettes.
L'Auteur du Dictionnaire Universel de la France attribue
à cette Paroisse 1300 Habitans. M. l'Abbé Expilly y compte 291 feux. Mais au
lieu d'une Paroisse, il en forme deux, une sous la dénomination de Budos, et
l'autre sous celle de Bados. Il
attribue autant de feux à l'une qu'à l'autre, en tout 582. Il seroit inutile de
noter ici les différences qui se trouvent entre ces deux articles, puisqu'ils
ne concernent qu'un seul et même objet.
Cette Paroisse,
composée d'environ deux cens feux, a un petit Bourg situé sur la hauteur. Elle
a d'ailleurs quelques Villages, entr'autres, ceux de Pinguoy .... Perron....
Cosson.... Mouliés.... Paulin.... le Corpia .... la Peyrouse. Ce dernier est
ainsi nommé, à raison de la qualité de son sol, qui est pierreux.
Budos
est situé à la distance d'environ huit lieues de Bordeaux, de trois de Bazas,
de deux, de Langon, et d'une lieue et demie des ports de Preignac et de Barsac‑sur‑Garonne.
Le terrein de cette Paroisse est en général léger et sablonneux. Ses
principales productions sont le bled, le vin et le millet. Ses Habitans ne
s'occupent que de la culture des terres. Cette Paroisse a environ quatre lieues
de circonférence; l'endroit le plus éloigné n'est néanmoins qu'à la distance de
trois quarts de lieue. On fait parvenir les lettres à Budos,
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par la voie de la
grande Poste; il faut, pour cet effet, les adresser à Preignac, route de
Langon; mais elles ne parviennent à leur adresse, qu'autant qu'on a l'attention
de les faire retirer de ce Bureau.
Il y a dans cette Paroisse, et au pied du château, une fontaine
remarquable, dont le cours est égal en toutes saisons, et dont l'eau coule avec
assez d'abondance pour faire tourner,à peu
de distance, un moulin à trois meules. Le ruisseau qu'elle forme va se jetter
dans, la riviere du Siron.
Le château de Budos
est construit sur une éminence; mais celle‑ci n'est pas, à beaucoup près,
aussi élevée que celle sur laquelle l'Eglise est située. L'emplacement de ce
château est assez étendu; il étoit très‑bien fortifié pour le temps
auquel il fut construit, Il étoit en état de soutenir un siege. André de Budos, qui en étoit Seigneur en
1421, avoit quitté le parti du Roi d'Angleterre, pour embrasser celui de la
France.
Ces sortes de
changemens étoient, dans ce temps‑là, trèsfréquens, et on n'a besoin ,
pour s'en convaincre, que de consulter le chapitre 22 du troisieme volume de l'Histoire de Froissart.
Quoi qu'il en soit,
c'étoit un ennemi trop voisin, pour ne pas le mettre hors d'état de nuire aux
Habitans de Bordeaux. Il fut donc pris, le 14 juin de cette même année, une
délibération d'assiéger le château de Budos. Ce qu'on va rapporter est extrait
d'un registre du temps, écrit en langage Gascon, et conservé dans les Archives
de l'Hôtel de Ville de Bordeaux.
On prit donc la
résolution d'assembler les troupes, tant Angloises que celles du pays. Menaut de Fabars commandoit celles du
Roi d'Angleterre; mais la commune assemblée nomma deux Citoyens, Vigouroux Estebe et Arnaud Miqueu, pour commander les troupes de la Ville. On leur
assigna vingt francs par homme, et en outre un tonneau de vin.
Les Maire et jurats
venoient de faire construire, dans ce temps-là, une bombarde d'une grosseur
énorme, et qui tiroit
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sept cens livres de
balle. Il fut délibéré qu'on l'enverroit à Budos avec deux canons d'un moindre
calibre. On fit marché avec un nommé Fontbodeau,
Gabarrier, qui avoit un bâteau du port de dix‑neuf tonneaux, pour le
transport de ces trois pieces d'artillerie. Il devoit prendre à Podensac les pierres ou boulets dont on
se servoit pour lors, et transporter le tout à Budos, pour le prix et somme de
huit francs, marché fait avec lui. La riviere du Siron devoit être pour lors
navigable, puisqu'il est expressément énoncé dans ce registre, qu'il devoit
porter le tout dans son bateau jusqu'à Budos. Per anar à Budos ab lo son baysset.
On est sans doute
surpris de ce qu'on vient de dire, qu'on se servoit de boulets de pierre; mais
c'étoit l'usage de ce temps‑là. On voit encore au Château‑Trompette
et au Fort du Ha, de ces anciens boulets de pierre; ce qui doit surprendre
davantage, c'est qu'on ait fabriqué, dans ce temps‑là, des pieces aussi
monstrueuses, tandis qu'à présent, que les Arts sont parvenus à un haut degré
de perfection, nos plus forts canons ne sont que de quarante‑huit livres
de balle. Mais l'Histoire nous rassure à cet égard. Mahomet II, qui prit
d'assaut, en 1453, la Ville de Constantinople, se servit pendant ce siege de
canons qui portoient des boulets de quatre cens livres. Les Habitans de Gand,
dès le siecle précédent, s'étoient servis, dans le siege d’Oudenarde, d'une
bombarde d'une grandeur surprenante.
« Ils firent ouvrer, dit Froissart (vol. 2,
chap. 102), une bombarde merveilleusement grande, laquelle avoit cinquante
pieds de long, et » jettoit pierres grandes, grosses, et pesant
merveilleusement; et quand cette bombarde décliquoit, on l'oyoit bien de Cinq
lieues par jour, et de dix par nuit, et menoit si grande noise au décliquer, qu'il sembloit que tous
les Diables d'enfer fussent au chemin.
»
On comprend aisément
que l’arrivée des troupes et le transport de cette artillerie, firent faire de
sérieuses réflexions
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au
Seigneur de Budos. En effet, dès le 29 du même mois de juin, on reçut à
Bordeaux une lettre du Sénéchal (jean Tiptoft), par laquelle il marquoit que
Menaut de Fabars avoit eu deux entrevues avec André de Budos, dans lesquelles
celui‑ci avoit déclaré qu'à la vérité, il ne se feroit point Anglois,(c’étoit la maniere de s'exprimer en
ce temps‑là), mais qu'il mettroit son fils en otage entre les mains du
Roi, aussi bien que le lieu de Budos, pourvu que la terre que son pere avoit
vendue pour le service du Roi, lui fût restituée. La Commune de Bordeaux, ayant
été consultée à ce sujet, il fut délibéré de s'en rapporter à ce qui seroit
conclu par le Sénéchal; il y a lieu de penser que celui‑ci accepta les
offres du Seigneur de Budos, car il n'est plus question de ce siege dans ce
registre.
Telles étoient les
fâcheuses circonstances où se trouvoient souvent les Seigneurs de ce Pays, sous
le Gouvernement Anglois. Ils étoient dépouillés de l'héritage de leur pere, et
il ne leur était pas aisé d'y rentrer, lorsque les Rois d'Angleterre, ou ceux
qui étoient revêtus de leurs pouvoirs, s'en étoient emparés.
La terre et seigneurie de Budos remonte à une haute
antiquité. Les anciens Seigneurs en portoient le nom. Geraud de Budos, qualifié
Damoiseau, rendit hommage de cette Seigneurie au Roi d'Angleterre, en 1273, Il
est fait mention de Pierre de Budos, aussi
Damoiseau, dans un titre de l'an 1303. Ce Seigneur néanmoins n'étoit pas
propriétaire de cette Seigneurie. Raymond
Guillaume de Budos est qualifié, dans un titre du 21 Octobre 1317, de
« Noble Bars Io Senhor na‑Ramond Guilhem de Budos, Cavoir, Senbor deudeyt loc. »
C'étoient les qualités les plus distinguées qu'un Gentilhomme prit dans ce temps‑là. Mais il ne faut , pas en être surpris. Il paroît, par les rôles Gascons, qu'il étoit neveu du Pape Clément V; et qu'Edouard II, Roi d'Angleterre, voulant le favoriser, lui
accorda la haute et basse justice, avec tous les Droits
royaux
T.III. (Edit, Baur., vol. V.)
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dans la Paroisse de Budos.
« De concessione alti et bassi justiciatûs, cum omnibus Regis juribus, in Parrochid de Budos, in Dioecesi Burdigalensi, factâ Raymundo Guillelmo deBudos, nepoti Papœ ‑ (Rôles Gascons, t. 1, P.36. »
Dom Vaissette
rapporte (Hist. de Languedoc, t 4, P‑
307), que ce Raymond‑Guillaume de
Budos, neveu du Pape Clément V, acheta, en 1321, de Guillaume de Randon, la
baronnie de Portes, au Diocese d'Usez.
Ce fut, selon les
apparences, ce Seigneur qui fit fortifier le château de Budos, au point où il
est encore à présent. En effet, Delurbe, dans sa Chronique de Bordeaux, sur l'an 1306, nous apprend que,
« sous le Pontificat de ce Pape
(Clément V), » ou ez environs, ont été bâtis en Bordelois plusieurs forts châteaux, tant par lui que par les Cardinaux
de sa suite, comme les châteaux de
Villandraut, de Budos sur la riviere du
Siron, et de Roquetaillade, de Castets, de Landiras, de la Trau et de la Brede,
et plusieurs autres que l'injure du temps a ruinés ».
œ)
Ce Raymond‑Guillaume
de Budos étoit aussi propriétaire de la Tour
de Bisquaytan, qu'il échangea, en 1317, avec la seigneurie et terre de la Mote d’Ayran. André de Budos, qui fut son
fils et son héritier, est qualifié Miles
ou Chevalier, dans des titres de 1342 et 1343. Il paroît, par les rôles
Gascons des années 1341, 1348 et 1358, qu'il jouissoit des mêmes faveurs que
son pere, à la Cour d'Angleterre, puisqu'il y sollicita plusieurs grâces qui
paroissent lui avoir été accordées, entr'autres, la permission de faire
construire une maison forte dans sa terre
d'Ayran.
Il acheta néanmoins
cette faveur assez cher, puisque Dom Vaissette (Hist. de Languedoc, t. 4, P. 233), nous apprend que sa baronnie de
Portes, au Diocese d'Usez, fut confisquée à son préjudice en 1340, pour avoir trahi le Roi, et avoir embrassé le parti des Anglois. Un pareil cas étoit très‑commun
P.179
dans ce temps‑là.
Ce même Auteur nous apprend (Ibid., p.
307) que, comme par un article du Traité de Bretigni, tous les Seigneurs,
dont le Roi de France avoit confisqué les Domaines, devoient rentrer dans la
possession de ces mêmes Domaines; ce fut en conséquence de cet article qu'André
de Budos recouvra la baronnie de Portes en 1360, après en avoir été privé
pendant vingt années.
On trouve, dans un
titre du 1er Décembre 1400, qu'un Thibaud
de Budos, Chevalier, prenoit la qualité de Noble et Puissant Seigneur et Baron. Il y a lieu de penser qu'il
fut pere d'André de Budos, qui vivoit
en 1421, et dont le château fut assiégé par les Bordelois. Ce Seigneur le céda
au Roi dAngleterre, qui en confia la garde à
Pons, Seigneur de Castillon (en Médoc)
“ Rex commisit Pontio, Domino de Castilhon, custodiam castri de Budos in
Aquitanid. (Rôl. Gasc., 1422, 1423, P. 205.)”
Ce château étoit
encore sous la main de ce Roi en 1446, suivant les rôles Gascons, et il y a
tout lieu de présumer qu'André de Budos, ou ses descendans, n'en furent rétablis en
possession, qu'après que la Guienne eut passé sous la domination des Rois de
France.
André de Budos s'étoit attaché au parti du Roi de France.
Dom Vaissette dit (Ibid., P‑ 469),
qu'en 1426, ce Chevalier étoit Seigneur de Porte‑Bertrand, dans la
Sénéchaussée de Beaucaire, et Chambellan du Roi, et qu'il servoit, dans le
Languedoc, sous les ordres du Comte de Foix.
Noble homme jean de Budos, Damoiseau, se qualifioit
simplement Seigneur d’Ayran, dans un titre du 24 Avril 1458; mais Charles de Budos, qui se disoit Noble et
Puissant Seigneur, prenoit la qualité de Baron de Budos et de PorteBertrand,
dans des titres de 1516 et 1527 . Ce
fut dans cette derniere année qu'il aliéna la terre et Seigneurie d’Ayran, située dans la Paroisse de Saint‑Médard en Arruan.
Jacques de Budos, qui
vraisemblablement étoit son fils et
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son héritier, aliéna
de son côté, à Raymond de la Roque, en
l'année 1561, l'ancien domaine de Budos, qu'il avoit reçu de ses ancêtres.
C'est depuis cette époque, que la Maison
de la Roque est devenue propriétaire de la terre et seigneurie de Budos, de
laquelle dépend la directité et la haute Justice sur cette Paroisse. On ignore
si l'ancienne Maison de Budos subsiste,
ou est éteinte. Tout ce qu'on peut assurer, c'est qu'elle étoit une des plus
anciennes Maisons nobles du Pays Bordelois.