VARIÉTÉS BORDELOISES ou E S S A I HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET
MODERNE DU DIOCÊSE DE BORDEAUX PAR L'ABBÉ BAUREIN TOME II BORDEAUX FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS 15 Cours de L'INTENDANCE 1876 |
Extrait :
Livre
Quatrième
Article I et III
Pages :268
à 275
280 à 284
Collection :
ARCHIPRÊTRÉ DE CERNES.
.
0n
remarquera d'abord que cet Archiprétré étoit anciennement appellé de Sarnés, et que l'altération de ce nom
suffiroit pour en obscurcir l'origine, et pour empêcher qu'on parvînt à en
découvrir l'étymologie. Cette ancienne dénomination est composée de deux
syllabes, dont la premiere Sar ou Sarn est la racine, et la seconde est
la terminaison qui souvent est indifférente et sans signification. M. Bullet, dans
son Dictionnaire de la langue Celtique, nous
apprend que Sarn a signifié chemin, voie, pavé. Seroit‑ce de
cette racine que dériveroit la dénomination de cet Archiprêtré? Ce qui
viendroit à l'appui de cette étymologie, c'est qu'il existoit anciennement,
tout comme à présent, plusieurs chemins ou grandes routes qui traversoient
l'étendue de cette contrée ou de cet Archiprêtré.
Il
est fait mention, dans l’Itinéraire
d’Antonin, 1° d'une grande route qui conduisoit de Bordeaux à Jérusalem, et
dont les deux premieres stations entre cette premiere Ville et celle de Bazas,
étoient Stomatas et Sirione, dont il
ne seroit pas difficile, si c'étoit ici le lieu, de retrouver l'ancienne
position.
P.268
Il est question dans ce même Itinéraire,
d'une autre grande route qui conduisoit de la province des Asturies à
Bordeaux, en passant par Aquas
Tarbellicas (aujourd'hui Dax), et de là,
après quelques autres stations, à
Salomacum (aujourd'hui Salles). Quoique la majeure partie de cette route
traversât les grandes Landes, il n'est pas moins certain que pour se rendre de
Salles en Buch à Bordeaux, il falloit traverser une partie du territoire de la
contrée du Cernès.
On
retrouve, outre cela, des preuves de l'ancienne existence d'un autre grand
chemin public qui passoit dans cette contrée, et qui y avoit été pratiqué,
selon les apparences, dans le temps que les Romains étoient les maîtres dans
cette Province. Cette ancienne route est connue dans les titres sous la
dénomination de chemin Galien. Fut‑elle
ouverte par les ordres de l'Empereur qui portoit ce nom? C'est ce qu'on ignore
: on sait seulement qu'il en subsiste encore des restes aux environs de la
Paroisse de Labrede, et qu'il en est fait mention dans les anciennes chartres.
Seroit‑ce de l'existence de ces :différentes routes dans la contrée où
est établi cet Archiprêtré, que dériveroit son ancienne dénomination de Sarnès? C'est ce que nous n'oserions
assurer d'une maniere positive.
Quoiqu'il
existe encore à présent trois principales routes qui traversent l'étendue de
cet Archiprêtré, celle de Toulouse, celle de Bayonne et celle qui conduit au
Mont‑de‑Marsan, on ne s'apperçoit pas qu'elles influent en rien à la dénomination de la contrée où elles
passent, ni qu'on ait tenté de lui donner le nom de route ou chemin, quoiqu'il
y eût, ce semble, une espece de nécessité de désigner cette contrée par quelque
dénomination particuliere. Que le mot Sarn
ait signifié en langage Celtique, une voie, un chemin, ce ne seroit pas une
raison pour donner cette dénomination à une contrée entiere, dont il n'y auroit
qu'une petite partie consacrée à cet usage., On ne pense donc pas que le mot
Celtique Sarh soit la ra
P.
269
cine
de Sarnés, ancienne dénomination de
cet Archiprètré.
Ces
mots in Sarnesio, employés dans les
titres latins au sujet de cette contrée, nous font soupçonner qu'ils ne sont
qu'une contraction de ceux-ci in
Sarcinesio, c'est‑à‑dire, dans la contrée occupée ou ravagée
par les Sarrasins. Le quartier de Sarcignan, dépendant de la Paroisse de
Villenave placée dans cette même contrée, semble nous autoriser dans cette
conjecture. Ce quartier offre encore à présent
des restes sensibles du séjour, qu'y ont fait ces Barbares, dont le quartier
lui‑même retient encore le nom.
En
effet, si on se transporte dans la Paroisse de Villenave, qui n'est pas fort
éloignée de Bordeaux, et au quartier de Sarcignan, qui en est beaucoup plus
voisin, on y verra un mur d'une épaisseur assez considérable qui annonce une
assez haute antiquité, et qui est appellé mur
Sarrasin, soit dans les titres, soit par les gens de ce quartier. Il en
sera question dans un article séparé. Il suffit maintenant d'observer qu'un
parti de Sarrasins y avoit fixé anciennement son séjour. D'ailleurs, on
retrouve encore des vestiges, dans d'autres endroits de cette contrée, de
l’ancienne habitation qu'y ont faite ces Barbares. Il existe entre les
Paroisses de Martillac et de Léognan, de très‑anciennes bornes, dont
l'une est appellée borne Sarrasin, et
l'autre roche Maurin; si ces barbares n'eussent pas établi leur
habitation dans cette contrée, à quel propos ces bornes porteroient‑elles
leurs noms? On n'insistera pas à cet égard, on observera seulement que si des
personnes éclairées étoient attentives à d'anciennes dénominations de lieux qui
subsistent dans les diverses Paroisses de cette contrée, ou qu'on retrouve dans
les vieux terriers, on remarqueroit des vestiges du séjour qu'y ont fait les
Sarrasins. Nous revenons souvent sur leur ancien séjour dans le Pays Bordelois,
et nous sommes scrupuleux à en faire remarquer les traces, parce que c'est un
fait qui jusqu'ici a été entièrement inconnu, et qui peut servir à rendre
raison de bien de faits
P.270
anciens
qui sans cette ouverture, continueroient à rester dans l'obscurité.
En
proposant nos conjectures sur la dénomination de cet Archiprêtré, nous usons de
la liberté accordée à tout Ecrivain, étant toujours disposé à nous rendre aux
lumieres d'autrui et à souscrire à toute autre opinion qui se trouvera mieux
fondée.
L'Archiprêtré
de Cernès, qui est maintenant le troisierne du Diocese, n'en étoit anciennement
que le cinquierne. Ceux de Buch et de Born, avant leur union, occupoient le
troisierne et le quatrieme rang, et celui dont il est ici question, n'étoit que
le cinquierne Archiprêtré. On ignore les raisons qui lui ont fait obtenir la
priorité sur les deux autres; mais il est depuis long‑temps en possession
de cette prérogative, dont nous ne cherchons pas à le dépouiller.
Tous
les anciens titres s'accordent à donner à la contrée où cet Archiprêtré est
situé la dénomination de terre gasque, dont
on désire depuis long‑temps de savoir la signification. On se propose
d'en, parler séparément et d'exposer ce que nous pensons sur ce point. Le
territoire de cet Archiprêtré est situé, sur la rive gauche de la Garonne, dans
l’espace qui existe entre la Ville de Bordeaux et celle de Langon : il
s'étend depuis ce fleuve qui coule à son levant, jusqu'aux confins des pays de
Born et de Buch qui le bornent vers le couchant. Cette étendue forme une espece
de parallélogramme ou carré long d'environ huit lieues du nord au midi, c'est‑àdire
de longueur, sur environ quatre lieues du levant au couchant.
Le chef‑lieu de cet Archiprêtré est la Paroisse de
Saint‑Pierre de Gradignan, qui est placé plus près de Bordeaux que du
centre du territoire sur lequel il s'étend. Le Curé de Gradignan a le titre
d'Archiprêtre de Cernès. Il y a eu sans doute anciennement des raisons qui
empécherent d'en attacher le titre à quelqu'autre Paroisse plus rapprochée du
centre du territoire sur lequel un Archiprêtre étoit, dans le prin
P.271
cipe, chargé de veiller. Les
Archiprêtres faisoient anciennement la fonction de Vicaires forains, qui leur
ont été substitués. Ils étoient donc obligés d'être placés à portée de veiller
sur ce qui se passoit dans leur district. Comme les places ne sont pas toujours
données à ceux qui sont les plus en état d'en remplir les fonctions, et que
d'ailleurs les places, quelque distinguées qu'elles soient, n'ont pas la vertu
de communiquer par elles‑mêmes, les qualités et les talens propres à
s'acquitter des fonctions qui y sont attachées, c'est ce qui peut avoir donné
occasion aux Archevêques de dépouiller par le fait les anciens Archiprêtres des
fonctions qui étoient primitivement attachées à leurs places.
D'ailleurs,
quelque mérite qu'aient pu avoir les personnes qui ont été dans le cas de
remplir ces places, on comprend parfaitement que tout tend à la liberté, et que
les' anciens
Archevêques
ont été bien aises de n'être pas gênés dans la confiance qu'ils ont cru devoir
donner à certains Curés, plutôt qu'à d'autres; c'est, selon les apparences, ce
qui a donné lieu à la création des Vicaires forains chargés depuis un certain
temps de l'exercice de la plupart des anciennes fonctions des Archiprêtres.
Dans
l'état actuel des choses, il paroît assez indifférent que le chef‑lieu de
cet Archiprêtré se trouve dans une des extrêmités de son territoire, ou qu'il
soit placé dans le centre. Il pouvoit se faire que lors de l'établissement des
Archiprêtrés, qui est ancien, cette contrée, ravagée ou occupée par les
Barbares, qui ne se convertirent sans doute à la foi Chrétienne qu'après un
certain temps, ne permit pas de placer ailleurs le chef‑lieu de cet
Archiprêtré. Que ce soit donc cette raison ou quelqu'autre qui nous est
inconnue, il est certain que le cas n'est pas sans exemple, puisqu'on a déjà vu
que le chef‑lieu de l'Archiprêtré de Moulix étoît anciennement placé dans
la Paroisse de Saint‑Médard en Jales, c'est‑à‑dire, vers une
des extrêmités de son territoire, actuel,
P.
272
Liste des Paroisses de l’Archiprêtré de Cernés.
Saint‑Martin de
Balizac.
Saint‑Symphorien.
Saint‑Christophe
de Léogats.
Saint‑Vincent
de Noalhan.
Saint‑Jean de
Villandraut.
Saint‑Jean du
Tuzan
Saint‑Jean
d'Origne.
Saint‑Martin de
Bommes.
Saint‑Pierre de
Pujols.
Saint‑Pierre de
Sauternes.
Saint‑Romain de
Budos.
Saint‑Pierre
d'Hostens.
Saint‑Léger.
Sainte‑Marie de
Fargues.
Saint‑Martin de
Landiras.
Saint‑Saturnin
de Toulennes.
Saint‑Vincent
de Preignac.
Saint‑Vincent
de Barsac.
Saint‑Martin de
Cerons.
Saint‑Martin de
Guillos.
Saint‑Vincent
de Podensac.
Saint‑Laurens
d'Illats.
Sainte‑Marie de
Virelade.
Saint‑Vincent
de Portets.
Saint‑Hypolite
d'Arbanats.
Saint‑Pierre de
Saucats.
Saint‑Morillon.
Saint‑Clément
d'Aygues‑Mortes.
Saint‑Michel de
Bautiran.
Saint‑Michel de
Riufreyt.
Saint‑Seve.
Saint‑Magne.
Saint‑Jacques
du Barp.
Saint‑Jean de
Villagrains.
Saint‑Martin de
Cabanac.
Saint‑Martin de
Castres.
Saint‑George de
l’Isle.
Saint‑Jean de
Labrede.
Sainte‑Marie de
Martillac.
Saint~André de
Sestas.
Saint‑Vincent
de Canelan.
Saint‑Pierre de
Cadaujac.
Saint‑Martin de
Villenave.
Saint‑Pierre de
Gradignan.
Saint‑Genès de
Talance.
Saint‑Martin de
Pessac.
Saint‑Pierre de
Léognan.
Saint‑Pierre de
Begle.
Saint‑Vincent
de Lodors.
Saint‑Nicolas
de Graves.
Nous plaçons dans la liste des
Paroisses de l'Archiprêtré de Cernés, ces deux dernieres, qui, à proprement
parler, n'en font qu'une, quoiqu'elles ne soient pas comprises dans aucun des
pouilliés du Diocese, et c'est uniquement afin d'embrasser, dans cette liste,
la totalité des Paroisses situées dans l'étendue de cet Archiprêtré. On
n'ignore point qu'elles ne sont pas comprises dans aucune des Congrégations
dont celui‑ci est composé; mais aussi le Curé n'est‑il pas censé
être au nombre de MM. les Curés de la Ville. Ces deux Eglises sont.placées en dehors de l'enceinte de Bordeaux, et
c’est ce qui nous détermine à les mettre dans la liste des Paroisses de cet
Archiprêtré.
Si nous n'avons pas suivi l'ordre selon lequel
celles‑ci sont placées dans les anciens pouilliés, c'est que le rang
qu'elles y tiennent, ne nous a pas paru essentiel. D'ailleurs,
P.274
s'il
paroissoit tel à quelques personnes, on est libre d'y avoir recours au besoin;
ces pouilliés ne sont pas anéantis, par là même que nous ne nous y conformons
pas.
On
n'a point fait mention, dans la liste qu'on vient de donner, de quelques anciennes
Paroisses qui n'existent plus, mais dont on retrouve les noms, soit dans les
anciens pouilliés, soit dans les lieves des quartieres de l'Archevêché, soit
dans les anciens titres. On se propose d'en parler dans des articles séparés.
Les pouilliés de ce Diocese font mention de quelques Prieurés situés dans
l'étendue de cet Archiprêtré, dont on croit devoir insérer ici la liste.
1°Le
Prieuré de Belin que le Pouillié général des Bénéfices de la France attribue à
ce Diocese, et dont le Prieur, selon ce même pouillié, est Curé primitif de.
Saint‑Exupere de Belin, de Saint‑Pierre de Sales, et de Saint‑Martin
de Mons dans la contrée de Born : c'est l'extrait de ce pouillié qu’on insere
ici ; mais, comme ce pouillié est
extrêmement plein de fautes, on croit devoir observer qu'au lieu de Mons, il
faut lire Saint‑Martin de Mios, qui est placée dans la contrée de Buch,
et non dans celle de Born. Ce Prieuré a pris naissance dans un ancien Hôpital
pour les Pélerins, dont l'administration étoit confiée à un Prieur qui est
devenu usufruitier de tous les revenus de cet Hôpital, depuis que les
pèlerinages ont pris fin.
2°
Le Prieuré de Beliet, actuellement uni au Séminaire de Saint‑Raphaël de
Bordeaux, fondé par le Bienheureux Pierre Berland, près l'ancienne Eglise
paroissiale de Saint‑Paul, qui fut unie à ce Séminaire, dans lequel cet
Archevêque a fini ses jours. La chambre où ce saint Prélat décéda, subsistoit
encore lors du transport de ce Séminaire dans le lieu où il est à présent; nous
pouvons assurer l'avoir vue très‑souvent, et nous pouvons attester
qu'elle annonçoit, par sa simplicité, celle dans laquelle ce Bienheureux
Archevêque avoit été élevé, et dans laquelle il persévéra pendant tout le cours
de sa vie.
P.
275
3°
Le Prieuré de Camparrian, dont le titulaire étoit aussi administrateur d'un
Hôpital fondé dans le lieu dont ce Prieuré porte le nom. Cet Hôpital a disparu
depuis long‑temps, et est métamorphosé en Prieuré, dont le titulaire
jouit à présent, sans autre charge, des revenus qui y étoient attachés,
entr'autres, de la dime de la Paroisse de Saint‑Vincent de Canejan, dont
ce Prieur est Curé primitif.
4°
Le Prieuré de Bardanac étoit aussi, dans le principe, un Hôpital, dont
l'administration étoit confiée à un Prieur. Il étoit Curé primitif de la
Paroisse de Saint‑Martin de Pessac et de celle de Saint‑Pierre de
Casaux dans le pays de Buch. Ce Prieuré fut uni au College des jésuites vers le
commencement du siecle dernier, et il dépend maintenant du Bureau préposé pour
l'administration du College de Guienne.
5° Le Prieuré de Cayac, uni au Monastere des PP. Chartreux
de cette Ville, étoit aussi un ancien Hôpital destiné pour y recevoir les
Pélerins. Le Prieur est Curé primitif de la Paroisse de. Saint‑Paul
d'Audenge et de Saint‑Seurin du Porge.
6°
Le Prieuré de Saint‑Jacques du Barp, uni au Couvent des PP, Feuillans de
Bordeaux, étoit également un ancien Hôpital; le Prieur est Curé primitif de la
Paroisse de Saint Eloi d’Andernos et
de celle de Saint‑Jacques du Barp.
Les
pouilliés de ce Diocese placent, outre cela, dans l'étendue de l’Archiprêtré de
Cernès :
1°
Le Prieuré de Portets, dépendant de
la mense de l'Abbaye de la Seauve.
2°
Le Prieuré de Bautiran ou de Saint‑Clément de Coma (aujourd'hui d'Aygues‑Mortes).
3°
Le Prieuré de l'Isle, dans la Paroisse de l'Isle SaintGeorge.
4°
Le Prieuré de Brach ou de Brachet..
50
Le Prieuré de l'Abbaye du Cierge, ainsi qu’il est porté par des anciens
pouilliés; mais on ignore dans quel
canton de cet Archiprêtré ce Prieuré peut être placé.
ARTICLE III
CONTRÉE du CERNES.
C’est
la dénomination que nous croyons devoir donner à une contrée que les Géographes
ne désignent par aucun nom particulier. Ce nom lui convient d'autant plus que
c'est celui de son Archiprêtré; à la vérité, il étoit anciennement appellé Sarnès, mot dont la prononciation étoit
rude et allongée, et qu'on a changé en celle de Cernés. CelIe~ci est adoptée depuis long‑temps par le public:
ce seroit donc en vain qu'on chercheroit à faire revivre l'ancienne. Si nous en
rappelIons ici le souvenir, ce n'est qu'autant qu'elle peut contribuer à
découvrir l'étymologie de la dénomination de cette contrée.
C'est,
à proprement parler, dans l'étendue de celle‑ci qu'on recueille les vins
de Graves, anciennement si renommés dans l'Etranger; et c'est aussi dans cette
même contrée que croissent ces vins blancs, qui ont autant de force que de
douceur, et qui sont connus sous la dénomination de vins blancs de Langon, qui
étoient autrefois si recherchés, et qui n'ont rien perdu de l'excellence de
leur qualité pour n'être plus aussi en vogue. QueIque événement qu'il arrive,
les vins blancs de Preignac, de Sauternes, de Barsac, de Podensac, de Cérons,
et de quelques autres Paroisses des environs seront toujours estimés.
La
partie de cette contrée, qui est baignée par la Garonne, forme un terrein assez
gras qui est complanté en vignes de palu, ou cultivé en prairies, ou en terres
labourables. L'intérieur est un terroir de graves qui produit de bons vins, et
l'extrêmité occidentale est un pays sablonneux, et qui tient de
P.281
la nature de
celui des Landes dont il est assez voisin. En général cette contrée est en
plaine, mais cela n'empêche pas qu'on n'y remarque quelques éminences, ou même
des élévations, sur‑tout dans la partie qui avoisine le Diocese de Bazas.
On recueille dans cette contrée, non seulement des vins, des foins, mais encore
on en exporte une grande partie des bois de chauffage qui se consument à
Bordeaux. L'air est beaucoup plus sain dans cette contrée que dans celle du Médoc,
aussi n'y a‑t‑il point autant de marais que dans cette derniere. La
riviere du Ciron qui la traverse, et quelques ruisseaux qui se déchargent dans
la Garonne, servent à écouler les eaux qui viennent des Landes, et les
empêchent de rester stagnantes, et d'y former des marais; aussi ce pays,
quoique moins étendu que la contrée du Médoc, est à proportion beaucoup plus
peuplé que celle‑ci, sur‑tout dans la partie qui avoisine la
Garonne.
Les bords de ce fleuve ont eu, ce semble, des attraits poury
attirer des anciens habitans de Bordeaux, et pour les déterminer à y devenir
propriétaires. Saint Paulin, par exemple, avoit de grandes possessions à Langon
(à Lingo), où Saint Delphin, Evêque de Bordeaux, fit construire et consacra une
Eglise, comme nous l'apprenons de Saint Paulin lui‑même; ce qui donne à
penser que ce lieu étoit anciennement une
dépendance du Diocese de Bordeaux. Saint Léonce, Evèque de
cette même Ville, avoit des possessions et une maison de campagne dans le lieu
de Preignac, auquel Fortunat donne le nom de Prœmiacum, et qui n'ost pas éloigné de celui de Langon, comme
personne ne l'ignore.
On
se rappelle d'avoir lu dans une lieve du milieu environ du quatorzieme siecle,
que plusieurs Communes de cette contrée payoient aux Archevêques de Bordeaux,
un droit appellé Captennium, mot, qui
suivant Ducange, signifie tutele, défense, protection : Captennium., dit ce Savant, tutela,
tutamentum, protectio. Ce droit, qu'on n'acquitte plus, avoit pris, selon
P. 282
les apparences son ori gine ans les malheurs des temps. Les Communes
foibles et exposées à être molestées, soit de la
part
des Seigneurs, soit par les Routiers, qui dans ce temps‑là ravageoient
les campagnes, soit en quelqu'autre maniere que ce puisse être, se mettoient
sous la protection de quelque personne puissante qui pût leur donner aide et
secours dans le besoin, et c'est pour cette raison qu'elles lui payoient un
droit de protection qu'on appelloit captein.
L'Histoire
nous apprend qu'il n'étoit pas extraordinaire, anciennement de voir un Prélat à
la tête des troupes. Il paroît par une enquête de l'an 1236, que l'Archevêque de Bordeaux avoit des Communes qui étoient
dans sa dépendance et qu'il employoit à empêcher que les Seigneurs du pays ne
se fissent la guerre (1). On ignore si ces Communes étoient celles de la
contrée du Cernès, on sait seulement que les Archevêques de Bordeaux avoient
des vassaux dans cette même contrée. Il résulte, en effet, d'un titre du 5
juillet 1277, que Gailhard de Fargues, Damoiseau, et Seigneur d'Arbanats et de
Portets, étoit vassal de cet Archevêque, et qu'il en étoit de même d'Arnaud de Cabanac, Cbevalier, qui de
toute antiquité faisoit hommage, suivant ce même titre, aux Archevêques de
Bordeaux, de son manoir et de sa terre de Cabanac.
P. 283
Arnaldus de Cabanaco miles, est‑il énoncé dans ce titre, vassalus ipsius
Archiepiscopi, qui manerium Suum et terram suam
ex longissimà
successione parentum tenet et avoat se tenere
ab ipso Archiepiscopo
ab antiquo. Il y a donc lieu de présumer que les Communes,
dont l'Archevêque de
Bordeaux servoit pour empêcher que
les Seigneurs du Pays
Bordelois ne se fissent la guerre, étoient
celles de la contrée
du Cernes, dont un certain nombre étoit
sous sa protection, et en quelque sorte sous sa dépendance,
d'au tant plus que
c'est en cette même contrée que ce Prélat avoit
des vassaux qui
étoient en état de commander ces Communes.
On
ajoutera ici que le Seigneur Amanieu d'Albret, fils d'autre Amanieu d'Albret,
et d'Assalhide de Tartas, et époux de Mathe, fille de Pierre de Bordeaux, par
son testament du 16 Octobre 1263, entre
différens legs pies qu'il fait, laisse à l'oeuvre ou fabrique de six Eglises
Paroissiales de la contrée du Cernès, à chacune cinquante sols. On n'insére ce
fait dans cet article, qu'autant que les noms de ces six Paroisses de la
contrée du Cernès n'étant pas exprimés dans ce testament, il auroit été
difficile de désigner qu'elles étoient celles auxquelles ces legs avoient été
faits, quoiqu'il y a lieu de présumer qu'ils concernent les Paroisses
dépendantes de la Jurisdiction de Castelnau de Cernès, qui appartenoit
anciennement à la maison d'Albret.
Ce
Seigneur, par ce même ;estarnent, fit des legs pies à plusieurs Hôpitaux placés
sur la. route de Saint‑Jacques. Il laissa, entr'autres, cent sols à l’Hôpital de Pomps, qui étoit placé dans
la Paroisse de Parentis en Born; à l'Hôpital
de Ponts‑de‑Mont, cent
sols; à l’Hôpital de Belin, cent
sols; à l'Hôpital de Barb, cent sols;
pareille somme à l'Hôpital de Camparrian,
et deux cens sols à celui de Saint‑James
de Bordeaux. Il légua mille sols morlans à l'Archevêque de cette Ville. On
s'apperçoit qu'on ne comptoit pour lors que par sols, ce qui annonce que
l'argent n'étoit pas aussi commun qu'il l'est à présent. C'étoit l'usage dans
ce temps‑là de lais
P. 284
ser,
par les testamens, quelques legs pies aux Archevêques dé cette Ville; on les
regardoit, sans doute, comme les peres communs des pauvres de leur Diocese, et
on étoit persuadé que c'étoit faire du bien à ceux‑ci que de mettre les
Archevéques en état de les soulager. Il est même énoncé dans un titre à peu
près de ce temps‑là, qu'il y avoit quarante pauvres entretenus dans leur
maison Archiépiscopale. Il y a apparence que cet usage n'a pris fin qu'autant
qu'on s'est apperçu que d'autres soins empèchoient ces Prélats d'entrer par eux‑mémes
dans le détail des besoins des pauvres; car auparavant on croyoit ne pouvoir
mieux placer le dépôt des aumônes qu'on avoit l'intention de faire, qu'entre
les mains du pere commun de tous les fideles d'un même Diocese. C'est
vraisemblablement cet ancien usage, qui a engagé les Evêques à nommer des
Prêtres pour leurs Aumôniers, qu'ils chargerent dans le principe de la
distribution des aumônes. Il y en avoit même autrefois qui étoient chargés de
veiller à l'exécution des legs pies, portés par les testamens des fideles, et
pardevant lesquels les exécuteurs testamentaires étoient tenus de justifier de
l'acquit de ces legs pies. On pourroit en rapporter ici des preuves, si cela ne
nous faisoit perdre de vue l'objet principal qu'on s'est proposé dans cet
Ouvrage.