VARIÉTÉS BORDELOISES ou E S S A I HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET
MODERNE DU DIOCÊSE DE BORDEAUX PAR L'ABBÉ BAUREIN TOME III BORDEAUX FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS 15 Cours de L'INTENDANCE 1876 |
Extrait :
Livre cinquième
Article XXIX
Pages :188 à 194 .
Collection :
SAINT‑MARTIN DE
GUILLOS
.
Cette Paroisse est située dans cette partie de l’Archiprêtré
de Cernès, qui s'étend vers la lande. C'est mal à propos qu'elle est appellée Guilhots, dans le Dictionnaire universel de la France, et dans celui de M. l'Abbé
Expilly.
Sa véritable dénomination est Guillos. Son Eglise, qui n'a
rien de remarquable, est petite et presqu'insuffisante pour contenir les
Habitans, quoiqu'il n'y ait que 75 feux; ce qu'elle a de particulier, c'est
d'être la derniere bàtisse de la Paroisse, et la
plus avancée vers le levant.
La
Cure de Guillos est séculiere et à la nomination de M. l'Archevêque; le Curé
est seul Décimateur; le presbytere est isolé et situé à demi‑quart de
lieue de l'Eglise.
Les
principaux Villages de Guillos sont ‑ Le Bourg.... Brot..
Lahon.... Peysot.... Guillemin....
Bernin.... Leluc...‑. l'Hoste.... le Bernet.... le Libousun, duquel
dépendent trois autres Villages ; savoir, le Hil.... Pierros et Guillaume
Il
y avoit anciennement un Village considérable près le presbytere, mais il n'en subsiste plus aucun vestige.
Une
grande partie du territoire de Guillos est en bois‑taillis, ou ensemencée
en pins qu'on exploite dès aussitôt qu'ils sont propres à servir d'échalas.
Quoiqu'il n'y ait presque point de vignes, néanmoins la majeure partie du
terroir est une grave très‑propre pour ce genre de culture. Le restant
est. une terre argileuse ; et quoique cette Paroisse soit placée dans la lande,
on n'y trouve néanmoins que très‑peu de sable.
Guillos
est situé sur une espece d'élévation, environnée de landes; ensorte que, de
quelque part qu'on y vienne, on est obligé de monter et de traverser environ
une lieue de lande, avant que d'y arriver.
Ce
qui est particulier à cette Paroisse, c'est qu'on n'y trouve point d'eau
courante, ni aucun ruisseau.
Elle
est bornée, vers le levant, par la Paroisse de Landiras; au couchant, par celle
de Cabanac; vers le nord, par. ces deux Paroisses, qui se réunissent dans cette
partie, et qui bornent Guillos par trois côtés; et vers le midi, elle a pour
limites, les Paroisses d'Hostens et d'Origne.
Cette
Pa roisse est placée à la distance de cinq quarts de lieue de Landiras, et de
six lieues de Bordeaux; on y fait parvenir les lettres en les adressant à
Castres, sur la route de Bordeaux à Langon. Le circuit de Guillos est d'environ
quatre lieues.
Le
Village le plus éloigné de l'Eglise en est distant d'une lieue.
Quoiqu'il
n'y ait point de chemins Royaux dans cette Paroisse, néanmoins les Bouviers de
divers endroits de la lande, de Luxei, par exemple, de Saint‑Simphorien,
du Tuzan, d’Hostens, etc., passent par Guillos pour se rendre aux ports de
Castres, de Portets et de Podensac; les gens même de la Teste y passent,
lorsqu'ils portent du poisson à Barsac.
Les
productions de cette Paroisse sont des seigles, de la milhade ou panis, du bois
de chauffage et des échalas de pins pour les vignes. Les principaux ports où
l'on embarque les denrées, sont ceux de Castres, de Portets et de Podensac,
placés tous trois à peu près à la même distance de Guillos, c'est‑à‑dire,
à deux lieues et demie.
Les
Habitans de cette Paroisse ne font point de commerce, ils ne sont occupés qu'à
la culture de leurs fonds et aux charrois de leurs denrées. Pendant l'hiver,
ils coupent des bruyères pour servir de littiere à leurs bestiaux, et se
procurer par là des engrais; ils coupent les jeunes pins propres à échalasser
les vignes; ils coupent aussi leurs bois‑taillis pour en faire des
fagots, appellés faissonnats en
langage du pays.
Ils
font produire deux récoltes à leurs terres, en les ensemençant d'abord en
seigle, et en jettant au printemps du panis ou milhade.dans les reges; cette
semence croît à l'ombre du seigle qui est déjà grand, et après que celui‑ci
est scié, le panis se trouve assez fort pour résister aux chaleurs de l'été. On
se hâte de le chausser dès aussitôt que les gerbes de seigles ont été enlevées
de dessus terre.
On
fait descendre, pour cet effet, la terre qui est sur le sommet des reges où a
crû le seigle. La culture du panis a ce double avantage, qu'elle contribue
autant à la nourriture du Cultivateur, qu'à celle du bétail. La paille du
panis, qu'on appelle javelle, est
d'une très‑grande ressource dans toute la lande, pour la nourriture des
boeufs; on dit dans toute la lande, car la culture de la milhade ou panis,
n'est pas particulière à Guillos; on n'en parle ici, qu'autant qu'il n'est pas
hors de propos de faire connoitre la culture des terres de la lande.
Ceux
qui n'en sont pas instruits, sont surpris sans doute que des terreins, maigres
et sablonneux produisent, chaque année, deux récoltes, tandis que les meilleurs
n'en produisent qu'une seule; mais indépendamment que la qualité des
productions de ces derniers surpasse autant celle des denrées des landes, que
les fromens sont au‑dessus des seigles et des millets, il est à propos de
remarquer que ce n'est qu'à force d'engrais qu'on se procure cette double
récolte.
A
la vérité, c'est du sein même des landes qu'on
tire ces engrais, puisque les fonds incultes y servent au pàcage des bestiaux, et fournissent d'ailleurs
la littiere nécessaire pour se procurer des engrais; mais qu'on le remarque
bien, si on venoit à mettre en culture toutes les landes, comme il semble que
les esprits, y sont portés dans le siècle où nous sommes, on ne craint point de
le dire, la culture totale des landes, s'il étoit possible de les défricher en
entier, seroit le signal de l'extinction prochaine de cette même culture,
puisque rien ne pouvant y croitre sans engrais, et n'étant plus possible de sen
procurer, sans les fonds incultes qui seroient mis en culture, ce seroit
nécessairement préparer la chûte, tant des fonds nouvellement défrichés, que de
ceux qui le seroient de la plus haute antiquité.
Sans
entrer ici plus avant dans cette question, dont on ne peut dire qu'un mot en
passant, il semble au moins qu’à l'égard dès lieux de tout temps cultivés, on
pourroit en améliorer la culture; en sorte qu'ayant avancé qu'il y a dans
Guillos une grave très‑propre à être complantée en vigne, il conviendroit
au moins qu'elle le fût; il semble mème.que c'est la faute des Habitans, de ne
pas s'appliquer à améliorer la culture de leurs fonds.
Ces
Habitans ne seroient peut‑être, pas exempts de quelque reproche, si,
ayant des facultés suffisantes pour le faire, ils ne s'en abstenoient que par
indifférence; mais il est bon d'observer qu'un pauvre Cultivateur, qui ne tire
sa subsistance que de la production annuelle de la terre, n'est pas en état de
s'en passer, encore moins de faire des dépenses considérables pour la
complantation des vignes, dont il faut attendre le produit pendant quelques
années; c'est vraisemblablement ce qui s'oppose au changement de l'ancienne
culture des fonds situés dans cette Paroisse.
Au
reste, tout Propriétaire est censé vouloir tirer de ses fonds le meilleur parti
qu'il lui est possible, et s'il ne fait pas toujours ce qu'il sembleroit devoir
faire, il y a souvent des raisons qui l'en empêchent, quoiqu'on ne les
apperçoive pas d'abord.
Qu'un
particulier entreprenne de former un vignoble dans une Paroisse de lande, où il
n'y a pas un seul pied de vigne; quand celle‑ci sera en production, il
éprouvera à quoi elle est exposée, tant de la part des Habitans ou autres, que
de la part des animaux de toute espece; qu'il l'entoure de haies, de fossés
profonds, et de murs même, indépendamment que toutes ces précautions augmentent
considérablement la dépense, elle n'en seroit pas pour cela à l'abri du dommage
qu'y causent les oiseaux, les guêpes, les frélons et les abeilles, dont la
lande est abondamment pourvue, et qui seroit d'autant plus considérable, que ce
seroit le seul vignoble de la Paroisse.
Il
est plus essentiel pour un Propriétaire, qu'on ne pense, de ne pas s'écarter,
du genre de culture généralement reçu dans une Paroisse, pour ne pas assumer en
seul tous les dommages auxquels chaque espece de culture est exposée.
Dans
la Paroisse de Guillos, ce sont les femmes qui supportent les travaux les plus
pénibles de la culture des terres. Plus un Paysan y a d'enfans, et plus est‑il
à son aise. L'aîné est constamment destiné à la conduite des boeufs, le suivant
est celui qui est chargé de la garde du troupeau; on y occupe les autres à des
travaux à leur portée.
Suivant
une tradition qui subsiste encore, il y avoit dans Guillos un ancien château,
dont à la vérité il ne subsiste aucun vestige, mais dont l'emplacement est
d'ailleurs trèsconnu.
Sa
situation étoit des plus belles, il dominoit sur toute cette lande qu'on trouve
en allant de Guillos vers Castres; on y découvroit Preignac, Langon.
L'élévation même sur laquelle il étoit placé se trouve de niveau, à ce qu'on
prétend, avec celle de Sainte‑Croix‑du‑Mont, qui est un des
endroits des plus élevés de la Benauge.
Ce
château. étoit entouré de douves en partie, et l'autre partie est inaccessible,
l'endroit étant défendu par des especes d'abîmes, et par un terrein très‑mouvant,
dont elles sont bordées.
Il
y a dans ce lieu une nappe d'eau de l'étendue d'environ un quart de journal,
dans laquelle on entend, pendant les chaleurs de l'été, de très‑beau
poisson s'égayer et se débattre. Ce château portoit le nom de la Mothe; on
ignore en quel temps et à quelle occasion il a été détruit.
On
soupçonne que l'élévation sur laquelle cet ancien château étoit placé, et qui
est d'autant plus remarquable, qu'elle se trouve au milieu d'un,pays plat, peut
avoir occasionné la dénomination de la Paroisse de Guillos. En langage Gallois,
qui est une dialectique de la langue Celtique, Guillio, selon M. Bullet,
signifie voir; et Gwiliwr, sentinelle, vedette, guet, garde, gardien.
On sait que les anciens, qui n'avoient point de courriers,
se servoient de signaux, pour avoir bientôt des avis de ce qui se passoit au
loin.
Ils plaçoient, pour cet effet, sur des hauteurs, d'espace en
espace, des gens en sentinelle, qui allumoient la nuit des feux, pour donner
avis de ce qui se passoit en temps de guerre.
(Voyez le Dictionnaire
de Trévoux, au mot signal . Il pourroit se faire que c'est de là
qu'est venue la dénomination de Guillos.
Il
existe dans cette Paroisse plusieurs lacunes, ou petits lacs, qui sont très‑belles,
et qui sont au nombre de douze; parmi ces lacunes, celle qu'on nomme Troupins,
et à laquelle on abreuve les troupeaux de différentes Paroisses, est la plus
remarquable. Elle est placée dans une lande au nord‑est de Guillos, dans
un terrein plat; et quoique l'eau qu'elle contient parte infailliblement de
source, elle est néanmoins stagnante et sans écoulement. Elle s'y conserve
constamment presque à la même hauteur, sans diminution ni augmentation
sensible; on prétend y avoir apperçu quelque vestige de flux et reflux; mais si
cette observation étoit fondée, il seroit aisé de la vérifier chaque jour. Au
reste, cette lacune est fort poissonneuse; on y pêche les plus beaux brochets
et les meilleures carpes qu'il y ait aux environs. Sa largeur est de prés de
deux journaux.
Indépendamment
de ces douze lacunes, il y en a quelques autres qui, à proprement parler, ne
sont que des cavités. Ce qui paroît surprenant, c'est que dans la partie de
lande qui est vers le levant, on voit deux creux voisins l'un de l'autre, et
même contigus; l'un forme une belle nappe d'eau, tandis qu'il n'y en a jamais
eu une goutte dans l'autre.
M.
de Brassier, Seigneur de Landiras, l'est aussi de la Paroisse de Guillos. La
haute justice qui lui appartient également, et qu'il tient en qualité
d'Engagiste, est un démembrement de la Prévôté de Barsac. Il paroît néanmoins,
par les rôles Gascons de l'année 1340 (t‑1, P‑101), que la haute
justice sur Gu.illos et quelques autres Paroisses voisines, appartenoit à
Gaillard de Saint‑Simphorien, ou au moins qu'elle lui fut accordée par
Edouard III, Roi d'Angleterre.
Ce
Seigneur n'en jouit pas long‑temps, puisqu'il paroît, par les rôles de
l'année 13 42 (ibid., p.113), que dès‑lors
Jean de Saint‑ Simphorien son fils, qui étoit Seigneur de Lindiras, avoit
été dépouillé de cette haute Justice, et qu'il s'adressa à ce même Roi pour
être rétabli en possession de la jurisdiction, tant sur Guillos. que sur
quelques autres Paroisses.