VARIÉTÉS BORDELOISES ou E S S A I HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET
MODERNE DU DIOCÊSE DE BORDEAUX PAR L'ABBÉ BAUREIN TOME III BORDEAUX FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS 15 Cours de L'INTENDANCE 1876 |
Extrait :
Livre cinquième
Article XXV
Pages :164 à 172.
Collection :
SAINT‑VINCENT DE
PREIGNAC
Cette
Paroisse est située dans l’Archiprêtré de Cernès, et sur la rive gauche de la
Garonne, qui en borde le territoire par l'espace d'environ cinq quarts de
lieue. C'est une des plus belles, des plus considérables et des plus anciennes
Paroisses du Diocese.
Son
Eglise, qui paroît ancienne, et qui est érigée sous l'invocation de Saint
Vincent, Martyr, dont on célebre la Fête le premier jour de Septembre, est
petite, relativement au grand nombre des Habitans. C'est ce qui détermina, il y
a plus de cinquante ans, un très‑digne Curé, M. des Innocents, à en commencer une nouvelle; mais la mort de ce
respectable Pasteur, qui avoit assumé sur lui les frais de cette construction,
fut cause qu'elle n'a pas été continuée depuis cette époque.
L'ancienne
Eglise est située auprès de la riviere, et joignant le port où l'on embarque
les denrées; aussi, lors du débordement qui survint au mois d'Avril de l'année
1770, l'eau entra‑t‑elle dans cette Eglise, à la hauteur de près de
huit pieds.
On voit encore dans cette Paroisse, les murs d'une Chapelle très‑ancienne, située auprès de la petite riviere du Siron qu'on sait par tradition avoir été construite sous l'invocation de Saint Amand. On ignore ce qu'elle peut avoir été dans son principe, et à quelle occasion et en quel temps elle a été détruite.
La
Cure de cette Paroisse est séculiere et à la collation de M. l'Archevêque. Le
Curé est gros Décimateur en seul. L'Auteur du Dictionnaire universel de la France y comptoit, en 1726, le nombre
de 2419 Habitans. M. l'Abbé Expilly y trouve 483 feux; mais suivant les
renseignemens qui nous ont été fournis, il y existe environ douze cens
familles, ce qui formeroit un plus grand nombre d'Habitans.
Les
principaux Villages de cette Paroisse sont : le
Bourg.... Martin .... jean Doux……garingue...... Faux bourguet ….Lafont Honqueyre Guilhem Durey jean Durieu …Medudons … . Rancon …......... Boutse…..le Pape
Trinquine…..le
Haire…..Briatte…..la Mothe….. la
Coste…..Miselle.
Parmi
les dénominations de ces Villages, qui ne paroisseni pas en général être de la
plus haute antiquité, il y en a deux qui sont susceptibles de quelques
observations; savoir, le Pape et la
Mothe.
Cette
derniere dénomination est ordinairement donnée à des locaux tenus noblement et
presque toujours fortifiés. Peut‑être y avoit‑il anciennement, dans
ce Village, quelque Mothe seigneuriale, ou quelqu'ancien Château. On pourroit
s'assurer, par l'inspection des lieux, s'il y existe des vestiges de la
démolition de quelqu'ancien édifice et des fossés, dont il pouvoit être
entouré.
A
l'égard du Village le Pape, dont la
dénomination paroît singuliere, on peut Soupçonner,,ou que le Pape Clément V,
originaire du Bazadois, dont Preignac est assez voisin peut y avoir eu ou
quelque Domaine patrimonial, ou quelque Droit seigneurial, qui auroient
occasionné à ce Village la dénomination qu'on lui a donnée; ou, si on ne peut
l'attribuer à une pareille occasion, il pourroit se faire qu'elle seroit d'une
plus haute antiquité, ainsi qu'on le verra ci‑après.
On
ne doit point omettre de dire un mot sur la dénomination générale de cette
Paroisse. On la trouve écrite Prinhac, soit
dans les lieves des quartieres de l'Archevêché, soit dans les anciens pouilliés
du Diocese; mais on a adouci ce nom, dont la prononciation paroissoit un peu
rude, et on a dit, depuis le siecle dernier, Preignac, au lieu de Prinhac.
On verra bientôt que ni l'une ni l'autre n'étoient sa véritable
dénomination, ce qui prouve que bien des noms de lieux ont été altérés, sur‑tout
ceux dont la prononciation étoit susceptible de quelqu'adoucissement.
La
riviere de Siron, anciennement navigable, mais qui a cessé de l'être depuis la
construction, de quelques moulins, passe dans la Paroisse de Preignac, et se
décharge dans la Garonne, au pont des Chartreux. Il y existe aussi un ruisseau
appellé Larieu, qui vient de la
Paroisse de Fargues, et qui n'est formé que par les eaux p]uviales.
Preignac
est situé dans une plaine, dont le terroir est en partie sablonneux et en
partie pierreux. Il y croît des vins blancs trés‑renommés, mais dont la
vente est devenue lente et tardive, depuis que les Habitans du Nord se sont mis
dans 1'usage des vins rouges. C'est néanmoins la principale, et à proprement
parler, la seule denrêe de cette Paroisse, qui est presque toute complantée en
vignes, à l'exception de quelques‑unes de ses extrémités, qui sont semées
et cultivées en pins.
Cette
Paroisse qui a, en tous sens, cinq quarts de lieue de traverse, est bornée par
les Paroisses de Toulenne, de Fargues, de Bommes, de Sauternes, de Pujols, de
Barsac, et par la riviere de Garonne, qui la sépare de celles de Loupiac, de
Sainte‑Croix‑du‑Mont, d'Aubiac et de Saint‑Maixant,
placées de l'autre côté de la riviere.
Il existe néanmoins entre ces dernieres
Paroisses
et Preignac, quatre isles; savoir, l'isle de Jarry, deux autres qui
appartiennent à Madame Dalon, et une quatrieme qui appartient au Roi, et qui
dépend de la Paroisse de Preignac; elles sont désertes, à l'exception de celle
de Jarry qui est cultivée, et où il y a quelques habitations.
Preignac
est situé à là distance de sept lieues de Bordeaux, et à une seulement des
Villes de Cadillac, de Langon et de Saint‑Macaire; on y fait parvenir les
lettres, soit par des commodités, qu'on trouve aisément, soit par la grande
poste, dont il existe un Bureau dans le Bourg de Preignac.
La
grande route de Bordeaux à Toulouse traverse cette Paroisse, au moyen d'un pont
construit sur la petite riviere du Siron. On trouve, dans cette Paroisse, un pont
appellé de Jarnac, dont on ne nous a point marqué la position exacte, mais que
nous soupçonnons exister entre Baisac et Preignac. Il existe dans Preignac un
grand chemin qui conduit à Villandraut.
Le
port de Preignac est très‑fréquenté. On y apporte quantité de denrées,
soit des landes, soit des Paroisses circonvoisines. On y conduit, par la
riviere, quantité de bleds du haut pays, qui s'y débitent, tarit pour
l'approvisionnement de cette Paroisse, que de celles des environs. C'est ce qui
occasionne, dans Preignac, une espece de marché qui s'y tient tous les Lundis,
et qui est d'autant plus avantageux pour cette Paroisse, dans laquelle on ne
recueille presque pas de bled, qu'elle est composée d'un nombre considérable de
familles, qui en font une grande consommation.
Il
existe dans Preignac deux principales Maisons nobles ou châteaux, l'une
appellée de Malle, appartenant à M.
le Marquis de Saluces, et l'autre connue sous la dénomination de château de Soudiraut, qui appartient à
Madame la Présidente du Roy; le crû, qui en est dépendant, est renommé par la
bonté de ses vins. Les eaux d'une fontaine appartenante à ce même château, sont
réputées minérales. Il existe encore, dans cette Paroisse, une maison qui
appartenoit à M. Frich, et à présent à M. Lafon aîné, Négociant, qui servit au
logement des Princes en 1700, lorsque Philippe,
Duc dAnjou, petit‑fils de Louis XIV, alla prendre possession de la
Couronne d'Espagne.
Ce
fut à cette occasion que cette Maison fut ennoblie. Il y a d'ailleurs dans
cette Paroisse, qui est placée dans la jurisdiction de la Prévôté Royale de
Barsac, divers Fiefs particuliers, quoiqu'en général la directité appartienne
au Roi. M. Pick en est le Seigneur engagiste.
On
a déjà observé que Preignac étoit une des Paroisses des plus anciennes du
Diocese, et n'y eût‑il que sa terminaison en ac, elle suffiroit seule pour prouver l'antiquité de la
dénomination de ce lieu.
Il
étoit très‑bien cultivé au temps de Fortunat, Evêque de Poitiers, qui
mourut vers l'an 609, et qui a fait sur Preignac une piece de vers intitulée, de Praemiaco, Villa Burdegalensi (1). Cet
Auteur y paroît épris de la beauté de ce lieu, qu'il représente comme une
campagne fertile, remplie d'agrémens et de délices. Il y fait mention des
domaines et de la maison que Léonce,
Evéque de Bordeaux, y possédoit. Quoique cette maison, que ce Prélat y
avoit fait construire, ne fût pas encore dans sa derniere perfection, elle
étoit néanmoins belle et pourvue de bains aussi propres que commodes.
Elle
étoit placée sur une espece de hauteur, qui n'étoit pas à la vérité fort
élevée, niais dont la pente permettoit de découvrir la beauté des fonds en
culture, et même le lit de la Garonne, où l'on faisoit pour lors une pêche des
plus abondantes.
On croit devoir observer que ce Léonce, qui avoit cette maison à Preignac, n'étoit pas Léonce1, ou l'ancien, qui a été
également Evêque de Bordeaux, et dont Fortunat a tant exalté les vertus dans
l'épitaphe qu'il a faite en son honneur. (Fort.lib‑ 4,, epit. 9.) M. l’Abbé du Tems, dans son Ouvrage intitulé,
le Clergé de France (t. II, p.188),
observe que dans le Supplément du Martyrologe
de France, on lit, que Léonce est
honoré à Bordeaux le 21 du mois
dAoût; mais son nom, dit cet Auteur, ne se trouve ni dans les anciens, ni
dans les nouveaux Breviaires, ce qui certainement doit paroître surprenant;
ce qui doit surprendre davantage, c'est que Léonce II dont les vertus pastorales ne cédoient en
rien à celles de son Prédécesseur, soit honoré comme Saint dans le Diocese de
Montpellier, tandis que le nom de ce Saint Evêque est à peine
connu dans le Diocese même qu'il a édifié par l'éclat de ses
vertus.
On
peut voir, dans, Fortunat, tout ce qui est dit à l'éloge de ce Saint Prélat, et
le nombre des Basiliques et des Eglises qu'il fit construire dans ce Diocese;
mais ce qui doit nous rendre sa mémoire très‑précieuse, ainsi que celle
de Léonce l'ancien, c'est qu'ils étoient l'un et l'autre Citoyens de Bordeaux; c'est la qualité qui leur est donnée par
Fortunat, dans le titre des deux épitaphes qu'il a faites en leur honneur.
D'ailleurs
il y a lieu de penser que les Léonce et
les Paulin ne formoient qu'une seule, et même famille. Ce qui donne lieu à le
croire, c'est que Saint Paulin portoit le nom de Ponce, et que Léonce, auquel
Sidoine Appollinaire a dédié son
Poëme sur la Ville de Bourg, portoit aussi ce
même nom. Dans ce cas, la Maison de Puypaulin. auroit été celle des Léonce,
et Fortunat semble autoriser cette opinion, dans l'éloge qu'il fait de Léonce
II, où il fait mention de la Maison des ancêtres de ce Saint Prélat ‑ stat tamen aula parentum.
D'ailleurs
Sidoine Appollinaire, qui vint à Bordeaux pour rendre visite à son ami Léonce,
Seigneur qui tenoit le premier rang entre les Aquitains, dit positivement que
Paulin ètoit parent de ce premier, et qu'il rie lui cédoit guere en noblesse : ecce jam parum, inferior parente Paulinus
(lib. 8, epist. 12).
Quoi
qu'il en soit, on a déjà observé, à l'occasion du Village appellé le Pape, que si sa dénomination ne
dérivoit pas des possessions ou des droits que pouvoit: y avoir eus le Pape Clément V, elle pouvoit être d'une
plus haute antiquité, et remonter jusqu'à l'époque de l'Evéque Léonce, qui, comme on l'a déjà vu, possédoit dans Preignac
une maison de campagne.
Il.faut
se rappeller, pour cet effet, qu'on donnoit anciennement le titre de Pape à tous les Evêques, comme l'observe
le Pere Lecoînte, dans ses Annales des
François; et que ce ne fut que dans le onzieme siecle, que Grégoire VII
ordonna, dans un Synode tenu à Rome, que le titre de Pape appartiendroit seulement à l'Evêque de Rome, comme une
prérogative et une distinction particuliere.
Fortunat
donne, dans ses Poésies, le nom de Pape à
l'Evéque Léonce, entr'autres, dans le vers suivant :
Nobilitate potens precellis, Papa
Leonti.
On peut avoir donné
la dénomination de Pape, au local où
étoit placée l'ancienne maison que cet Evéque possédoit dans Preignac, et où
s'est formé, dans la suite, le Village qui en a pris le nom. On appelle encore à présent le Pape Clément, la
vigne
que ce Souverain Pontife possédoit dans la Paroisse de Pessac. Rien n'est plus
commun dans la campagne, que d'attribuer au local le nom de la personne qui en
est le propriétaire.
Le
même Fortunat nous apprend que l'Evèque
Léonce avoit réparé ou fait construire diverses Basiliques, entr'autres,
celle de Saint Vincent‑sur‑Garonne,
qu'il avoit ornée avec une munificence extraordinaire, et qu'il avoit fait
couvrir en étain
« Hujus
amore novo pia vota Leontius explens
Qua sacra menffira jacent stannea
tecta dedit. »
(Fortun., Lib. i, Poëma 8.)
La dévotion que Lèonce fit paroître pour ce
Saint Martyr, autorise à penser que ce fut cet Evêque qui fit construire
I'Ëglise de Preignac, qui est en effet dédiée sous l'invocation de Saint
Vincent.
Léonce avoit des possessions dans ce lieu; et il ne faut pas
s'imaginer que, dans ce temps‑là, elles fussent morcellées, comme elles
le sont à présent. Ausonne, dans une de ses Epîtres à Saint Paulin, appelle Royaumes, les Domaines que ce Saint
avoit reçus de ses ancêtres, et auxquels il avoit renoncé pour embrasser là
pauvreté Evangélique; et c'est ce qui excitoit les regrets d'Ausonne, qui,
quoique Chrétien, n'étoit pas, à beaucoup près, animé du même esprit.
« Ne
sparsam raptamque domum, lacerataque centum
Per Dominos veteris Paulini regna
fleamus. »
(Auson.,
Epist. 23, Num. 486.)
Il
ne faut donc pas s'imaginer que Léonce, qui étoit de la même famille, et qui
d'ailleurs étoit un des principaux Seigrieurs de l'Aquitaine, possédât
simplement quelques arpens de terre dans Preignac ; il devoit y avoir des
possessions considérables, et peut‑être étoit‑il Seigneur de ce
lieu, comme l'étoit Saint Paulin de celui de Langon, assez voisin de Preignac;
il ne seroit donc pas surprenant qu'un Evêque aussi zélé que l'étoit Léonce,
eût fait pour lors ce qui étoit communément pratiqué par les Seigneurs même
Laïques. Ceux‑ci faisoient construire des Oratoires et des Chapelles dans
leurs terres, ainsi qu'il paroît par les Canons 7 et 23 du Concile d'Orléans,
tenu en 541, et auquel présida Léonce l'ancien, Prédécesseur immédiat de Léonce le jeune, dans le Siege de
Bordeaux.
Il
y a donc lieu de présumer que ce Saint Prélat, qui employa les richesses qu'il
avoit reçues de ses ancêtres à bâtir des Eglises, même dans les Dioceses
voisins, ne négligea pas d'en construire une dans un lieu où il avoit des
possessions considérables.
Ce
n'est pas qu'on prétende que l'Eglise actuelle de Preignac remonte à cette
haute antiquité. Quelle est l'Eglise de ce Diocese qui ait échappé aux injures
des temps, et sur‑tout aux ravages des divers Peuples barbares qui ont
dévasté le Pays Bordelois en tant de rencontres ?
(1)
Quamvis instet iter, retrahatque, volumine curas,
Ad te Pauca ferens carmina flecto viam
Captus amore tui nunquam memoranda tacebo,
Te neque proeter eam, proetereundo locum.
Qui cum digna loquar, si syllaba quarta recedat,
Prioemiacum polles, proemia nomen habes.
Delitiis obsessus ager, viridantibus arvis,
Et naturalis gratia ruris inest.
Condita quo domus est, planus tumor exit in altum
Nec satis elato vertice regnat apex.
Qua super incumbens locus est devexus in amnem,
Florea gemmato gramine prata
virent.
Leniter apulsus quoties insibilat eurus
Flexa supinatis fluctuat herba comis.
Hinc alid de parte seges flavescit aristis,
Pinguis et altricem palmes opacat humum.
Piscibus innumeris non deficit unda Garumna
Et si desit agris, fruges, abundat aquis.
Sed te quoerebant hoec munera tanta Leonti,
Solus defueras, qui bona plena dares.
Nam quod pulchra domus, quod grata Lavacra nitescunt,
Consolidatorem te cecinere suum.
Ut tamen acquirant et adhuc fabricanda decorem,
Temporibus Longis hoec tua dona regas.
(Fortuna,lib 1, Poëma 20)