VARIÉTÉS BORDELOISES ou E S S A I HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET
MODERNE DU DIOCÊSE DE BORDEAUX PAR L'ABBÉ BAUREIN TOME III BORDEAUX FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS 15 Cours de L'INTENDANCE 1876 |
Extrait :
Livre sixième
Article VIII
Pages :247
à 252
Collection :
SAINT‑MARTIN de
VILLANDRAUT
Cest
une des Paroisse sur laquelle le défaut de renseignemens locaux nous réduit à
n'en dire que le peu que nous pouvons en savoir, ou que nos recherches pourront
nous procurer. Ce lieu a le titre de Ville, qui, selon les apparences, doit sa
fondation à un Seigneur nommé Andraut. Elle
est placée dans un pays sablonneux et presque stérile. Sans doute
que
quelqu'endroit situé sur le bord de la petite riviere du Siron, aura paru propre
à celui qui en étoit le Seigneur, pour y construire, suivant l'usage de ce
temps‑là, une Forteresse auprès de laquelle un certain nombre de
personnes s'étant fixées et déterminées pour y établir leurs habitations, c'est
ce qui aura donné lieu à y former une Ville.
On observera que,
dans le temps où le Pays Bordelois étoit infesté par les Routiers, on cherchoit plus à se mettre en sûreté sous quelque
Fort, qu'à s'établir dans des endroits fertiles, mais sans défenses : c'est ce
qui a occasionné la construction de tant de Chàteaux dont le Pays Bordelois
étoit
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ci‑devant couvert,
mais qui, grâces à la protection de nos Rois, sont devenus inutiles, et qu'on
détruit peu à peu, ou dont on fait, lorsque la chose est possible, des maisons
habitables, et auxquelles on donne des agrémens en leur conservant, autant
qu'il se peut, leur destination primitive. Il ne faut donc pas être surpris si
on trouve une Ville établie dans un pays de sables presque stériles, et dont la
production est insuffisante pour fournir à l'approvisionnement de ses habitans.
A la vérité, les
moulins qu'on a construits et multipliés dans la suite sur la petite riviere du
Siron, n'empêchoient pas, comme à présent, qu'on ne pût faire passer des
provisions jusqu'à Villandraut. Mais, indépendamment que les habitans peuvent
s'en pourvoir par diverses autres voies, on sait qu'il y existe quatre foires
par an : la premiere, le 9 Mai, la seconde, le 30 juin; les deux autres, les 2
et 23 Août. On ignore, à la vérité, quelles especes de denrées on apporte dans
ces foires, ou quel genre de bétail on y conduit; mais ces foires accoutument
les gens des Paroisses voisines à fréquenter cette Ville, et mettent à portée
les gens de celle‑ci à s'aboucher avec eux, pour se procurer des
provisions dont ils ont besoin.
La contrée de
Villandraut n'est, à proprement parler, qu'un pays de landes, où il ne croît
que des seigles et des millets. Les
pignadas, d'ailleurs, ou forêts de pins, y réussissent assez bien, Cette
Ville est placée à la distance de trois lieues de la Garonne. On aboutit à
Villandraut par diverses routes : nous avons déjà parlé de celle qui, partant
de Preignac, y conduit; il y en a d'autres qui, de Villandraut, communiquent à
Bazas et à Langon.
Le lieu de
Villandraut appartenoit anciennement aux parens du Pape Clément V, qui, comme
tout le monde sait, étoit issu de la maison
de Gout; aussi ne faut‑il pas être surpris si on trouve des bulles,
de ce Pape datées de ce lieu, qui y est dit placé dans le Diocese de Bordeaux. Datum apud Vignan
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daldrum (ou Vinhandraldum)
Dioecesis Burdegalensis. L'Auteur
du.Gallia Christiana (Denis de Sainte‑Marthe),
nous apprend que ce Pape étoit né à Villandraut, et que son pere Bernard ou
Bertrand de Gout, étoit le Seigneur de ce lieu . Patrem habuit Beraldum, aliàs Bertrandum de Gutto, Militem, Dominum de
Villandrado, in Diocesi Burdegalensi, ubi natus. Ce qui honore la Paroisse
dont il est ici question, c'est d'avoir été le lieu de la naissance d'un Pape
célebre dans l’Histoire, et qui y fonda une Eglise et un Chapitre Collégial.
Ce Pape eut un neveu également appellé Bertrand de Gout, fils d'Arnaud
Garsies, Vicomte de Lomagne. Bertrand eut une fille appellée Régine, qui fut mariée à Jean, Comte d’Armagnac :
elle étoit propriétaire, de son chef, d'un grand nombre de
Seigneuries, dont quelques‑unes, comme Blanquefort, Livran, près
Lesparre, et Villandraut, étoient placées dans le Pays Bordelois. Quoique
cette Dame eût institué son époux pour son héritier universel, par son
testament, néanmoins plusieurs des Seigneuries qui lui appartenoient, ne
tarderent pas à passer dans
l'illustre Maison de Durfort, qui étoit alliée à la Maison
de Gout. La
Seigneurie de Villandraut fut une de celles qui entra dans la branche des
Durfort‑Duras, et qui a resté à son pouvoir pendant plusieurs siecles.
Delurbe, dans sa Chronique sur l'an 1592, nous apprend
que le
« château de Villandraut, très‑fort, et ouvrage du Pape Clément Ve, étant occupé par les Ligueurs, est assiégé par le Seigneur de Matignon, Maréchal de France, et après avoir enduré douze cent soixante coups de canons, est rendu par composition. »
Il paroît par un
titre du 11 Septembre 1624, que M. Sarran de Lalanne, Chevalier, Conseiller du
Roi en ses Conseils d'Etat et Privé, second Président en sa Cour de Parlement
de Guienne, se qualifioit Baron de Villandraut, et Patron des Chapitres
Collégiaux de Saint‑Martin de Villandraut et de Notre‑Dame
d'Uzeste, qui doivent leur fondation au Pape Clément V.
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L'Auteur du Dictionnaire universel de la France attribue
à ce lieu 285 habitans; il ajoute
qu'il y a dans ce lieu une Jurisdiction.
On croit devoir
observer que les Bulles du Pape Clément V, datées de ce lieu, ne l'appellent
pas Villandrand, mais Vignandraldum, ou, ce qui revient au
même, Vinhandraldum. C'est même en
cette derniere orthographe qu'on le trouve écrit dans le testament de Régine de
Gout, que nous insérerons à la suite du présent article. Villandraut n’est donc
pas la dénomination primitive de ce lieu . elle a été altérée par le laps du
temps, ainsi qu'il est, arrivé à la plupart des noms de lieux.
M. Corneille, dans
son Dictionnaire Géographique, appelle
ce lieu Villandrade; en latin, Villandrandus : il le qualifie Bourg ou Village de France,
dans la Guienne propre :
«
il est situé, ajoute‑t‑il, sur la petite riviere du Siron, à deux
lieues de Bazas, vers le couchant, et renommé à cause qu'il est le lieu de la naissance du Pape Clément V, qui
s'appelloit Bertrand de Gout ou d' Agoust : il étoit fils de Beraut, Seigneur
de Goust, de Rouillac et Villandrade, et
fut nommé successivement, par le Pape Boniface VIII, Evêque de Comminges, et
ensuite Archevêque de Bordeaux en 1300, »
On ne peut point
douter que l'Auteur de ce Dictionnaire n'ait
eu l'intention de parler, sous la dénomination de Villandrade, du lieu connu parmi nous sous le nom de Villandraut, qu'on sait être
incontestablement le lieu de la naissance du Pape Clément V; mais on ignore où
cet Auteur a puisé cette dénomination de Villandrade,
qui n'est pas en usage dans le Pays, et qu'on ne retrouve peut‑étre
pas dans aucun autre Ouvrage : elle paroît être une traduction hasardée du mot de Villandrando, faite par une personne
qui ignoroit le nom du, lieu dont il âvoit besoin de parler.
On observera que le lieu dont il est ici question, est ap
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pellé dans la lieve des quartieres de l'Archevèché, de l'an 1420, Sanctus Martinus de Logot, aliàs de
Billandraut, suivant un usage assez pratiqué chez les Gascons, de changer
le V en B. La même énonciation est insérée dans la lieve de 1546. Il semble
qu'on seroit fondé à inférer de ce qu'on trouve dans ces deux lieves, que le
lieu de Villandraut avoit porté le nom de Logot,
avant que d'être connu‑ sous la dénomination qu'il porte à présent :
mais l'énonciation suivante,qu'on trouve dans un ancien pouillié manuscrit,
nous oblige à suspendre notre jugement. On y trouve en effet ce qui suit : Ecclesia Sancti Martini de Logo, aliàs de
Vignonet, Capitulo de Villandraut; ce qui annonceroit que l'Eglise de Logo ou de Vignonet (Paroisse placée
dans l'Archiprêtré d’Entre‑Dordogne)
étoit à la collation du Chapitre de Villandraut.
Mais par quelle
raison, dira quelqu'un, trouveroit‑on dans ces deux lieves, Logot, aliàs Villandraut, si cette
premiere dénomination concernoit un lieu différent de celui qui est annoncé par
cette derniere? qu'on ait la bonté d'observer :
En premier lieu,
qu'il n'est uniquement question dans ces deux lieves, que des redevances dont
chaque Eglise du Diocese étoit tenue envers les Archevêques de la présente
Ville.
En second lieu, que
celle de Logo ou de Vignonet, aux termes de cet ancien pouillié, étoit
dépendante du Chapitre de Villandraut, auquel, selon les apparences, elle avoit
été unie. Est‑il surprenant qu'étant question d'une redevance à laquelle
l'Eglise de Logo ou de Vignonet étoit assujettie, on indique à
celui qui devoit la percevoir, le nom de l'Eglise qui étoit chargée de
l'acquitter? S'il est donc porté dans ces lieves, Logot, aliàs Villandraut, c'est uniquement pour rappeller, par un seul
mot, la raison pour laquelle l'Eglise de Saint‑Martin de Villandraut
étoit tenue à cette redevance.
Il paroit par la
lieve de 1546. que le Chapitre de Villandraut se refusois à son acquit : Non consuevit solvere, y est-il dit.
Aussi la personne chargée de percevoir cette redevance
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a-t‑ elle eu l’attention de
ne la point porter en compte,
mais de mettre à la
marge le mot nichil, c'est‑à‑dire,
qu'il n'avoit rien reçu. On ne croit pas devoir entrer dans une discussion plus
profonde; on observera seulement et en peu de mots, qu'immédiatement après
l'extrait qu'on vient de citer de l'ancien Pouillé manuscrit, on y trouve ce
qui suit : Decanus de Villandraut, ad
electionem Domini de Duras; ce qui annonce que cette dignité est de
Patronage laïque. Quoique Régine de Gout,
épouse de Jean, Comte d’Armagnac, eût
institué son mari héritier universel de toutes ses Seigneuries, au nombre
desquelles étoit celle de Villandraut, néanmoins celle‑ci et quelques
autres passerent, comme on l'a déjà dit, dans la Maison de Durfort‑Duras, qui a joui pendant long‑temps de la
Seigneurie de Villandraut, et qui en étoit encore en possession du temps de cet
ancien pouillié manuscrit; et que c'est pour cette raison qu'il y est énoncé ce
qu'on y trouve à l'occasion du Doyen :
Decanus de Villandraut, ad electionem Domini de Duras.