La Belle endormie. |
|
Conte de Gascogne. |
|
||||
Paru
dans l'hebdomadaire Le Petit Journal. Dimanche 7 juillet 1895. (collection personnelle de Christian de Los Angeles) |
||||
Il y avait une fois, un roi qui avait trois filles: l'aînée belle comme le jour, la seconde plus belle que l'aînée, la troisième plus belle que les deux autres. Le roi aimait surtout ses deux aînées. Chaque fois qu'il s'en allait en campagne, il ne manquait pas de leur rapporter de beaux présents.
- Mais il n'y avait jamais rien pour
la dernière. -Père, dit-elle un
jour,quand vous allez en campagne, vous ne manquez jamais de rapporter de
beaux présents à vos deux aînées. - Mais il n'y a jamais rien pour
moi. -Ma fille que veux tu
que je te rapporte ? -Père, rapportez moi
une fleur. -Ma fille, je te
promets contentement. Quelques
jours après, le roi partit en campagne. En passant dans une grande ville,
il acheta de beaux présents, pour ses deux filles aînées et rien pour
la dernière. Cela fait, il se remit en route. Le soir, il passa près d'un beau
château, dans un superbe parterre. - Alors il se souvint de la promesse
qu'il avait faite à la dernière de ses filles. Aussitôt, le roi mit
pied à terre, et cueillit la plus belle fleur. Il ne l'avait pas cueillie
qu'il entendit une voix: - Roi, tu m'as volé
la plus belle de mes fleurs. - Qui es-tu ? Je
t'entends; mais je ne te vois pas. - Je suis qui il me
plaît; et tu me verras si je veux. - « Roi, tu m'as volé la
plus belle de mes fleurs. Donne moi en mariage la plus belle de tes
filles. Sinon , je vous mange tous vifs, toi et les tiens. ». - J'en parlerai à
mes filles. Le roi se remit en
route. - Arrivé dans son château, il manda ses trois filles dans sa
chambre. - Mes filles écoutez.
- Voici les beaux présents que je rapporte pour mes aînées. Voilà la
belle fleur que j'ai cueillie pour ma dernière près d'un beau château,
dans un superbe parterre. Je ne l'avais pas cueillie que j'ai entendu une
voix; mais je n'ai pas vu celui qui parlait. « Roi, m'a-t-il
dit,. tu m'as volé la plus belle de mes fleurs. Donne moi en mariage la
plus belle de tes filles. Sinon, je vous mange tous vifs, toi et les
tiens. » - Qui de vous trois veut épouser le maître de ce château? - Père, pas moi, dit
l'aînée. - Père, pas moi, dit
la seconde. - Père, dit alors la
troisième, je ne veux pas que vous soyez mangés tous vifs, vous et les vôtres.
- J'épouserai qui vous voudrez. Le lendemain, le roi
prit sa troisième fille en croupe, et la porta dans le parterre dont, la
veille, il avait cueilli la plus belle fleur. - Adieu ma fille.
Prie Dieu qu'il te garde de tout malheur. Et le roi repartit au
grand galop. Longtemps, bien longtemps, la jeune fille demeura seule à pleurer, dans le parterre.
- Enfin, elle vint frapper à la
porte du château. Mais la demeure était déserte, et la porte ne
s'ouvrit pas. Alors, la pauvrette retourna dans le parterre, et se mit à
cueillir des fleurs. Au coucher du soleil, elle entendit une voix. –
Cueille des fleurs, mignonne.
Cueilles-en tant que tu voudras. –
Qui est-tu? Je t'entends;
mais je ne te vois pas. –
Je suis celui qui t'épousera.
Si tu n'as pas peur, parle et tu me verras. –
Je n'ai pas peur. Alors
la jeune fille aperçut un Serpent-Volant, grand et gros comme un tronc de
peuplier. –
Me voici, mignonne. Veux-tu
toujours m'épouser ? –
Serpent-Volant, je ferai
comme j'ai dit. Nous fiancerons quand tu voudras. –
Tiens, mignonne. Voilà la
bague d'or des épousailles. Et
le Serpent-Volant passa une bague d'or au doigt de la jeune fille. –
Ecoute, mignonne. garde cette
bague d'or à ton doigt, et ne l'en retire jamais, jamais. Sinon il
t'arrivera un grand malheur. Si tu dois être malade, la bague deviendra
couleur d'argent. Si elle devient couleur de sang, tu seras en danger de
mort. –
Merci, Serpent-Volant tu
seras obéi. Maintenant je veux rentrer au château de mon père. Je suis
bien jeunette encore. Notre mariage ne presse pas. Alors
le Serpent-Volant chargea la pauvrette sur son dos et partit cent fois
plus vite qu'une hirondelle. En
un moment elle était devant le château de son père. Le
Serpent-Volant repartit sans dire un mot, et la pauvrette monta dans la
chambre de son père. –
Bonsoir, père. –
Bonsoir, ma fille. Qu
reviens-tu faire ici ? –
Père, je suis revenu ici
pour attendre le jour de mes noces. La
jeune fille s'installa donc dans le château. Le lendemain, ses parents et
leurs valets devenaient tristes comme la mort. Le surlendemain ils
tombaient malades. Trois jours après , ils étaient hors d'état de
quitter leur lit. –
Ah ! pensait la jeune fille,
j'ai quitté le château du Sepent-Volant. Le voilà qui se venge sur les
miens. Alors
elle appela son petit chien et s'en alla promener dans le jardin du château. C'était
au mois de mai. Les fleurs embaumaient, peintes de toutes les couleurs.
Mais, dans un coin, la terre était dure et glacée. La
jeune fille alluma là un brassée de branches sèches. Aussitôt, le
Serpent-Volant sortit de terre. –
Mignonne, si tu ne m'épouses
pas ce matin même, tes parents et leurs valets mourront au coucher du
soleil. –
Serpent-Volant, va dire au
curé qu'il se hâte, et reviens me chercher dans une heure. Une
heure après, le Serpent-Volant chargeait sur son dos la mariée vêtue de
blanc, et filait dans l'air, cent fois plus vite qu'une hirondelle. La
messe du mariage finie, le Serpent-Volant dit à sa femme : –
Mignonne, regarde. Que
vois-tu ? –
A ma droite, je vois un jeune
homme beau comme le jour. A terre je vois les ailes et la peau du
Serpent-Volant. –
Mignonne, écoute. Je suis
roi comme ton père. Le mariage m'a délivré pour toujours du malheur
qu'un méchant homme avait mis sur moi. Sur la porte de l'église, mes
gens t'attendent, pour te conduire à mon château. Emporte dans notre
chambre ces ailes et cette peau de Serpent-Volant. Ne manque pas de les brûler,
à ton retour, jusqu'au dernier morceau. Si tu me désobéis, le malheur
sera sur toi. Si tu fais ce que je te commande, j'arriverai sur le premier
coup de minuit, et nous vivrons heureux ensemble. –
Roi vous serez obéi. Le
roi partit, et ses gens ramenèrent la reine au château. Là, elle
commanda d'allumer un grand feu de sarments dans la cheminée de sa
chambre, ferma la porte à double tour et jeta dans la flamme les ailes et
la peau du Serpent-Volant. Une
heure après, il ne restait plus, dans les cendres froides, qu'une belle
fleur, toute pareille à celle que le père de la mariée avait cueillie
dans le parterre du Serpent-Volant. La
reine prit la belle fleur et la mit au frais dans un vase d'or. Cela fait,
elle se coucha et s'endormit. Mais un quart d'heure avant minuit, le méchant
homme arriva. –
Bon dit-il. La belle fleur
n'est pas brûlée. Alors
il prit à bras-le-corps la reine endormie et partit à travers les
nuages. Sur
le premier coup de minuit, le roi frappait à la porte de la chambre. –
Pan, pan. N'aie pas peur
mignonne. C'est moi. Viens ouvrir. Mais
personne ne répondait. D'un coup d'épaule,le roi brisa la porte. La
chambre et le lit étaient vides. Mais la belle fleur embaumait dans son
vase d'or. –
Malheur, le méchant homme
est venu. Toute
la nuit, le roi songea bien tristement. Au lever du soleil il pensa : –
Allons parler au pape à
Rome. Un
an plus tard il entrait dans la chambre du pape de Rome. –
Bonjour, pape de Rome. Je
viens vous demander un grand service. –
Parle mon ami. –
Pape de Rome, un méchant
homme m'a pris ma femme. Savez-vous où elle est ? –
Non, mon ami mais saint
Pierre te le dira... Alors
le pape de Rome regarda dans la campagne et siffla. Aussitôt un aigle,
grand comme un boeuf, vint se poser sur la fenêtre. –
Aigle, tu sais ce que je
veux. Obeis. L'aigle
prit le roi dans ses serres et l'emporta sur le seuil du paradis. Le roi
regarda par le trou de la serrure. Il vit le bon Dieu et la sainte Vierge,
qui chantaient vêpres, parmi les anges. Cela était si beau, si beau,
qu'il ne se pressait pas de frapper. Mais l'aigle lui donna un grand coup
de bec. –
Allons, dépêche-toi. J'ai
d'autres affaires ailleurs. Au
premier coup de marteau, la porte s'ouvrit. –
Bonjour, saint Pierre. Je
viens de la part du pape de Rome. Je viens vous demander un grand service.
Un méchant homme m'a pris ma femme. Dites-moi où elle est ? –
Mon ami, ta femme est
prisonnière sur une haute montagne, dans une île de la mer. A l'ombre
d'un grand chêne, elle dort, et dormira jusqu'à ce que tu la réveilles.
Mais tu n'es pas encore dans l'île, et le méchant homme veille nuit et
jour. Il s'est fait Roi des poisson et commande dans l'air et dans l'eau. Au
temps de notre seigneur Jésus Christ j'étais pêcheur en mon pays. Là ,
j'ai laissé ma barque, où le pain et le vin ne manquent jamais. Là,
j'ai laissé ma bonne ligne de crin d'Espagne, avec un gros hameçon d'or
béni de la main de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Monte dans ma barque et
pars sur la mer, sans peur ni crainte. Quand tu seras devant l'île, le
Roi des Poissons secouera terriblement les eaux et lâchera la tempête.
Alors, amorce ma bonne ligne avec de la chair de chrétien. Aussitôt, tu
sentiras une secousse à te lancer dans la mer. Tiens bon. Tire ferme. Six
fois le Roi des Poissons montera, semblable à diverses choses. Mais la
septième, il prendra la forme de l'homme. Alors, prends ton épée et
coupe-lui la tête sur le bordage de ma barque. Cela fait, le reste de ton
travail sera peu de chose. –
Merci, saint Pierre. La
porte du paradis refermée, l'aigle reprit le roi dans ses serres, et
l'emporta sur le bord de la mer. Là se trouvaient la barque de saint
Pierre et sa bonne ligne de crin d'Espagne, avec un gros hameçon d'or, béni
de la main de Notre-Seigneur Jésus-Christ. –
Merci, aigle. L'aigle
repartit à toute volée. Alors le roi se mit à songer. –
Et maintenant, il me faut de
la chair de chrétien, pour amorcer la bonne ligne de saint Pierre. En
ce moment, un petit berger passait avec ses brebis. Le roi le regarda de
travers , mais il se dit: –
Non. Je ne tuerai pas cet
enfant. Allons creuser dans ce cimetière. Le
roi s'arrêta devant une fosse fraîchement comblée. Mais il se dit: –
Non, laissons les morts en
paix. Aussitôt,
il sauta dans la barque de saint Pierre, et partit seul sur la mer, cent
fois plus vite qu'une hirondelle. Au lever du soleil, il était à cent
toises de l'île où sa femme dormait toujours sur la haute montagne, à
l'ombre du grand chêne. Alors,
le Roi des Poissons secoua terriblement les eaux et lâcha la tempête. –
Jouis de ton reste, Roi des
Poissons. tu vas avoir de mes nouvelles. Le
roi tira son épée, coupa dans sa cuisse un morceau de chair, amorça le
gros hameçon d'or béni de la main de Notre Seigneur Jésus-Christ et
jeta dans la mer la bonne ligne en crin d'Espagne de saint Pierre. Aussitôt,
il sentit une secousse le renverser, mais il tint bon, et tira ferme.
Enfin le roi des poissons monta sur la mer, pareil à un grand serpent. –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut pareil à une herbe flottante –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut, en chantant, pareil à une sirène. –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut, pareil à la brume qui se lève
sur les eaux. –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut, pareil à une charogne empestée. –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut, pareil à la femme du roi. –
Roi des Poissons, tu perds ta
peine. Le
Roi des Poissons replongea, et reparut avec sa véritable forme. –
A la bonne heure mon ami.
J'ai deux mots à te dire. Arrive ici. Le
roi tira son épée, prit le méchant homme aux cheveux, et lui coupa la tête
sur le bordage de la barque. Alors
la tête se mit à parler. –
Ecoute, mange mes oreilles,
ainsi tu entendras tout ce qui se dit sur terre, dans le ciel et dans
l'enfer. Mange ma langue, ainsi tu parleras tous les langages des hommes
et de bêtes. Ainsi il vit tout ce qui se passe dans le soleil, dans la
lune et dans les étoiles. Cela
fait, le roi débarqua dans l'île. En un clin d'oeil, il était sur la
haute montagne où la reine dormait toujours, à l'ombre du grand chêne. –
Ho! mignonne , réveille-toi. –
C'est vous, roi ? Nos épreuves
sont donc finies. Retournons vite au pays. Tous
deux remontèrent sur la barque de saint Pierre. Sept jours après, ils
rentraient dans leur château où ils vécurent longtemps heureux.
Jean François BLADE Paru
dans Le Petit Journal SUPPLEMENT
ILLUSTRE DIMANCHE
7 JUILLET 1895 (Collection
personnelle Christian de LOS ANGELES)
|
||||
|