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La
GARONNE André
REBSOMEN FERET
et fils éditeurs |
Passage concernant: PRECHAC |
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Après
l'embouchure du Bageran, nous voici sous la côte assez abrupte des Gillets
qui domine une importante papeterie dirigée par M. Médeville et un beau pont
construit d'abord en 1601, écroulé en 1886 et réédifié en 1889.
Tout
auprès, enfoui dans les arbres et placé à une courbe du Ciron se dresse le
château de Cazeneuve, bâti sur un banc de rochers, actuellement la
propriété du comte Charles de Sabran-Pontevès.
Cette
antique demeure appartenait en 1250 à Amanieu V d'Albret qui, en cette
année, rendait hommage pour cette seigneurie à Gaston de Béarn. Au cours
des XIVe et XVe siècle, il demeura dans la même famille et, en 1461, Antoine
de Cazeneuve, sénéchal de Bazas, y habitait. En 1515, un d'Albret, seigneur
de Cazeneuve, rend hommage à FrançoiS 1er.
Enfin, Henri de Navarre, qui, d'après la tradition, aurait envoyé sa femme, Marguerite de France, la fameuse reine Margot, passer quelque temps à Cazeneuve, vendit le château et la baronnie, en 1581, à M. de Rancé.
Ces propriétés passèrent, en 1594, aux mains de Raymond de Vicose, conseiller du roi, intendant des finances en Guyenne. En 1608, le château était ravagé par les guerres, inhabité et inhabitable, il n'y avait plus que des masures.
Raymond
de Vicose fit alors bâtir sur les fondations de l'ancien château ruiné et
laissa ses biens en mourant, en 1618, à son fils Henri. Ce dernier avait
épousé Marie de Favas qui devait plus tard se remarier avec le marquis de
Cabrerès, sénéchal du Quercy.
La fille aînée d'Henri de Vicose, Marguerite, hérita de Cazeneuve et passa ce domaine, en 1648, à son mari, François de Caumont, marquis de Castelmoron, fils du célèbre maréchal de la Force.
Une
fille de ces derniers, Charlotte Rose, née à Cazeneuve en 1650, fut une
romancière féconde et de mérite qui eut son temps de vrais succès
littéraires. Une autre fille des mêmes, Marie, épousa, en 1674, Charles
Bordeaux de Rochefort,
marquis de Théobon, et fut mère de Marie Guionne.
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Celle-ci
se maria, en 1704, avec son oncle, Louis de Pons Saint Maurice, maître de la
garde robe du duc de Berry, et devint elle-même dame d’atours de la
duchesse de Berry. Cette famille de Pons devait conserver Cazeneuve jusqu'au
commencement du siècle dernier.
L'ensemble du château affecte la forme d’un vaste triangle dont la pointe se dirige vers le confluent du ruisseau de Honburens et du Ciron. On y distingue deux parties principales. C'est d'abord le château proprement dit, enveloppant une cour intérieure, dominant, au nord-est et au nord-ouest, des lices qui l'enserrent et limité au sud-est et au sud-ouest par un large fossé.
Au-devant
de ces constructions s'étend une grande basse-cour dont les murs ou remparts
ont disparu sauf la porte d'entrée, porche dégradé tout couvert de lierre
et d'un très pittoresque effet.
Si l'on veut pénétrer dans le château, on commence par franchir un pont de pierre à deux arceaux qui est jeté au-dessus du grand fossé. On arrive alors dans une cour entourée de bâtiments qui paraissent être du XVIIe siècle.
A
l'intérieur on remarque la cheminée du salon chargée de sculptures en
pierre et en marbre, de la même époque et portant une citation empruntée à
la reine Margot: « Point ne font de laides amours ni de belles prisons ». Au
même étage se trouve une chapelle à trois nefs, avec voûtes à nervures et
balustrade en pierre, qui fut fondée en 1680 par Marguerite de Vicose,
marquise de Castelmoron.
Une
végétation luxuriante, surtout du côté du Ciron, forme un cadre de
fraîcheur exquise à ce vaste château et ajoute le charme à la grandeur
Nous
disions que le ruisseau de Honburens bordait un des côtés de Cazeneuve; nous
compléterons ce détail en rappelant que ce petit cours d'eau prend sa source
au fond des landes, près de Cazalis. Cazalîs nous rappelle l'hôpital fondé
en ce lieu par les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, auquel Amanieu
d'Albret léguait mille sols en 1262 et qui était devenu commanderie au XVIe
siècle.
Au
delà de Pompéjac est situé Marimbault, dont l'église dépendait dès 1188
des chanoines de Bazas et qui renferme des débris de mosaïques gallo-romaines,
à dessins intéressants trouvés dans le cimetière.
Revenus
à Caussarieu, nous nous laisserons aller doucement au fil de l'eau, jouissant
des beautés que la nature déploie devant nos regards, nous sommes en effet
dans la plus jolie partie du Ciron.
La
végétation y est d'une variété extrême. Les tilleuls, les peupliers, les
vergnes, les chênes aux branches tordues enveloppées de lierre, allongent
leurs rameaux au-dessus des fougères de la berge et des roseaux de la rive.
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Ces
bords sont le plus souvent des rochers où s'accrochent les racines des
arbres, et dont les creux aux profondeurs ténébreuses sont tapissés de
plantes vertes à la gamme infiniment nuancée.
A
travers l'eau jaunâtre et ferrugineuse de la rivière on aperçoit le sable
ridé en petites vagues et de ci de là quelque bloc de pierre éboulé du
rivage, émergeant à la surface, comme quelque monstre aquatique endormi
pendant sa baignade.
Au-dessus
de la rivière, des libellules vertes, bleues ou dorées voltigent avec des
papillons aux ailes étincelantes, tandis que dans l'ombre mystérieuse du
courant passent
Les
oiseaux peuplent aussi ces lieux, les canards sauvages, les poules d'eau, les
culs blancs, les martins pêcheurs, les bergeronnettes animent ce ravissant
paysage de leurs cris et de leurs vols.
La
barque du pêcheur s'avance silencieuse et rapide poussée par la perche ou la
rame. Les branches des arbres s'inclinent au-dessus d'elle comme pour voiler
à l'homme
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les mystères de cette riche nature.
Le calme et la paix de cette atmosphère délicieuse ne sont rompus que par le bruit lointain de la cascade d'un moulin. A certains endroits cet enveloppant rideau semble se déchirer et apparaissent de petites clairières où la verdure aux tons variés se développe en un charmant décor tranchant sur le ciel bleu.
Quelques
fontaines d'eau limpide de ci de là, près de la rive semblent inviter le
voyageur à débarquer et à venir se reposer sous ces frais ombrages.
Soudain,
à une courbe de la rivière, au milieu des grands pins et des peupliers se
dresse une fantastique apparition. Ce sont les ruines d'un petit château
délabré couronné de restes de machicoulis, aux murs percés de fines
meurtrières. On l'appelle la Travette ou la Füe, l'histoire est muette sur
son passé et ses dispositions assez bizarres laissent mal comprendre sa
destination.
Bientôt
la gorge du Ciron se resserre et se creuse de plus en plus et nous arrivons au
château de La Trave, situé sur la rive gauche, près d'un pont élégamment
jeté à dix mètres au-dessus de la rivière.
On
ne rencontre plus que des pans de murs bouleversés et des fondations à la
place de la construction primitive. Le plan de l'édifice était
rectangulaire, chaque angle fortifié par une tour carrée posée
diagonalement au tracé de la forteresse. Une basse-cour séparée du château
par un fossé s'allongeait au nord-ouest et l'ensemble était encore
enveloppé d'un fossé qui en faisait tout le tour.
Quand
on pénètre dans l'intérieur du château, après avoir laissé à gauche,
surplombant au-dessus du Ciron, un grand mur percé de quelques ouvertures, on
franchit un fossé et l'on a devant soi une porte basse et étroite qui
s'ouvre sous une tour carrée; elle était munie d'une herse.
Contre le mur de cette tour vient s'appuyer un pan de mur qu'un examen attentif permet de reconnaître comme ayant été renversé horizontalement sur sa tranche. Il présente un aspect des plus curieux.
Un
peu plus loin, trois blocs de maçonnerie sont couchés à terre. Ces quatre
débris sont les restes du donjon. D'autres fragments sont tombés dans le
Ciron où ils forment comme des récifs. Une mine puissante a seule pu
produire d’aussi importants ravages.
C'est
qu'en effet ce château a subi bien des vicissitudes depuis qu'Arnaud Bernard
de Preyssac le bâtit en 1306. Ce seigneur était qualifié de « soudan »
titre singulier qui a un cachet mahométan ou égyptien et qui symbolise sa
puissance. On pense qu'il épousa la fille d'Arnaud Garcias de Goth, frère de
Clément V.
En 1356, son successeur, lui aussi soudan de la Trave, se distingua à la bataille de Poitiers dans les rangs anglais, fit avec le Prince Noir la campagne de Languedoc, et, changeant de parti, lutta avec ardeur aux côtés de Du Guesclin à la bataille de Cocherel (1364).
Revenu
ensuite à la cause anglaise, le même personnage accompagnait le Prince, Noir
en Espagne pour y soutenir Pierre le Cruel chassé du trône de Castille. En
1372, il combattait sous les murs de la Rochelle, et, en 1378, assiégé dans
Mortagne, tenait courageusement tête à l'armée française. Tant de services
rendus lui valurent les faveurs
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bien
méritées des rois d'Angleterre, nouveau motif pour lui de leur prodiguer son
dévouement.
Nous le retrouvons, en effet, en 1381, avec le comte de Cambridge, frère du Prince Noir, partant avec lui pour aller secourir le roi de Portugal attaqué par les Espagnols.
Une tempête disperse la flotte, le navire où était le soudan de la Trave avec les seigneurs gascons, perdant sa direction, franchit le détroit de Gibraltar, s'égare en Méditerranée et, après de nombreuses vicissitudes finit par retrouver Lisbonne.
Les seigneurs gascons débarquent enfin et entrent dans une église où ils trouvent les barons et chevaliers anglais vêtus de noir, célébrant les obsèques des disparus qu'ils tenaient pour morts. Le soudan et ses compagnons demeurèrent un certain temps en Portugal, attendant les renforts anglais.
Ne
pouvant contenir leur ardeur belliqueuse, ils organisent des chevauchées et
des expéditions en Espagne, malgré les ordres de leurs chefs, et aussi
malgré la pénurie de leur solde. Enfin, le Portugal et l'Espagne s'étant
réconciliés, les Anglais rentrèrent chez eux et les Gascons durent en faire
autant.
A la fin du XIVe siècle, la soldanie de la Trave passa dans la famille de Montferrant, fidèle alliée des Anglais. L'un d'eux, Pierre de Montferrand, avait épousé Marie, fille naturelle de Jean, duc de Bedfort et devint l'un des plus riches et des plus puissants seigneurs de la Guyenne.
Après la conquête de cette province, il fut exilé par Charles VII. Mais, ayant eu l'imprudence de rentrer en France avec un faux sauf-conduit, il fut pris, emmené à Poitiers, condamné à mort et exécuté.
Son
corps, coupé en morceaux, fut cloué aux quatre portes de la ville. Quant à
son château de la Trave, on le rasa et la pioche ou la poudre eurent raison
de ses murs de défense.
Le
titre de Soudan de la Trave et la seigneurie demeurèrent jusqu'à la fin du
XVIIe siècle dans les mains des Montferrant. En 1705, nous les trouvons dans
la famille de Pons Saint Maurice, par le mariage de Marie Guionne de Rochefort
Théobon avec Louis de Pons dont nous avons parlé plus haut, à propos de
Cazeneuve. Le château de la Trave est maintenant la propriété du comte de
Sabran-Pontevès.
En laissant les ruines de la Trave, nous pourrons gagner à peu de distance de là le bourg de Préchac bien bâti et bien ombragé de beaux platanes. Son église paroissiale est fort intéressante. Ses quatre nefs du XIIe et du XVe siècle, sont séparées par des piliers couronnés de chapiteaux aux sculptures originales.
Elles figurent tantôt des chiens qui se disputent un os, tantôt des cônes de pin fort bien sculptés et de caractère très local, des personnages aux attitudes diverses ou encore une frise délicate aux motifs variés.
Extérieurement
le clocher arcade est percé de cinq baies ogivales, un clocheton arcade à
une baie surmonte l'arc triomphal, et les trois absides ornées de chapiteaux
se présentent avec un certain aspect de force et de grandeur que complètent
encore l'épaisseur des murs.
Revenus
maintenant au pont de la Trave et, regagnant le Ciron, reprenons notre barque
qui nous attend.
La
physionomie de la rivière a un peu changé. Le courant est plus encaissé,
l'eau
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coule
comme un torrent. C'est que le Ciron est devenu flottable désormais, et
l'homme dédaignant son charme et sa poésie, va utiliser sa force pour les
besoins de son commerce et de son industrie.
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Déjà l'ancienne forge de la Trave, mise en mouvement par ses eaux, est devenue usine d’électricité et fournit à la région la lumière et la force motrice.
Mais le Ciron a encore autre chose à faire. Il va transporter les bois de pin des grandes forêts landaises jusqu'à la Garonne, d'où ils iront à Bordeaux, puis en Angleterre, soutenir dans les mines de charbon les parois des galeries.
Les pièces de bois sont reliées entre elles de façon à former des radeaux. Ces radeaux sont divisés en six ou huit travées attachées les unes aux autres et articulées par une sorte de charnière au point de réunion.
L'ensemble du système peut ainsi facilement suivre les méandres de la rivière. Quand les trains de bois arrivent à un moulin, ils franchissent le bief sur un plan incliné appelé lindat ou passelis. établi sur le barrage, après avoir parfois payé un droit de péage.
Il
faut voir alors avec quelle sûreté les radeliers, armés d’une longue
perche conduisent leur train de bois emporté à une vive allure. Ils filent
le long des lindats ou s'engouffrent sous les moulins pour en ressortir
presque aussitôt avec une précision qui émerveille. Le mouvement du
flottage sur le Ciron, en 1911, fut de 1.566 radeaux correspondant à 26.320
tonnes.
Nous
disions qu'à partir du pont de la Trave, le cadre du Ciron avait changé d'aspect.
Nous pouvons ajouter que son courant lui-même a été transformé.
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De petites digues en pierre ont été construites pour resserrer son cours et lui donner plus de force. La verdure l’enveloppe toujours, peut-être encore plus enchevêtrée qu'en amont, parce que l’espace humide et fertile est plus restreint.
Des
rochers aux couches horizontales, parfois brisés et bouleversés, se massent
sur ses bords, ou bien la rive devient sablonneuse, le petit vallon s'élargit
un peu et apparaissent des carrières exploitées qui se prolongent jusqu'à
Villandraut.
Réalisée le 10 janvier 2002 | André Cochet |
Mise sur le Web janvier 2002 |
Christian Flages |