TEXTES EN GASCON.

 

Ma Garbetto.

(Ma petite gerbe)

 

Chez les Pauvres.

Etudes de chez nous.

 

Ché lous Praoubes.

 

Estudos dé ché nous aouts.

 

Deux Souvenirs de Guerre. Dus Soubenis de Guerro.

 

Récits et poésies en Langue d'Oc (contrée de Lesparre) avec traduction de l'auteur.

 

Abbé D-M. BERGEY. Curé de Saint Emilion 
ex-Aumonier Militaire du 18 ème R.I.

Edition de la Revue Méridionale.  5 rue Fondaudège. Bordeaux. 1923.

Collection Christian de Los Angeles.

Le Lézard.

 

Lou Ladèrt.

 

Ces textes sont issus d'un livre ancien.
Photocopiés et scannés avec reconnaissance de caractères.
Ils peut subsister des erreurs, surtout en gascon.

Prière de nous les signaler. ancochet@wanadoo.fr

 

 

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Dédié à M. l'Abbé Daguzan de Pau, 
ancien poilu du  18è.

Dediat à Moussu l'Abbè Daguzan de Paou, 
ancien pélut daou  18e
.

Je ne vous dirai pas son nom, car ses parents vivent encore.

Mais comme il était vif, mince, avec une bouche fendue jusqu'aux oreilles, nous l'avions appelé en sobriquet : le Lézard. 

Je l'avais connu, ce bandit, quand j'allais. à l'école de Lesparre, chez ce brave homme de M. Piron.

Bous direy pas soun noum, caro sous parènts biouen encaro.

Mais coume èro biou et mïnce, en deno gordzo hendudo trunquos à las aoureillos, l'aouièn apperat per dzaffre : lou Ladèrt. 

L'aoui counechut, aquet agassat, quant anaoui a l'escoulo de Lesparro, chez aquet brabe home de Moussu Piroun.

Il était malfaisant, comme pas un. Un vaurien. Il nous entraînait toujours à mal faire. 

Tantôt il fallait aller attacher un poêlon à la queue du chat de la Cayère. 

Tantôt il fallait aller enfermer le vieux Manillon dans sa maison, avec des barres en travers de la porte et de la fenêtre. 

Ero escarniou coume pas un  ! Balè rè  ! Nous menaou toujoun amasso aou maou-ha. 

.............................

 

Tantos fallè ana embarra lou beil Manilloun dens soun oustaou, en das paous en trahouès de la porto et de la hinestro. 

Un jour, ne nous entraîna-t-il pas, dans une voiture à âne volée à la Mascarette, du côté des Marceaux, après Saint-Trélody,  pour cacher le cochon du Cinglot dans le chai du garde ? 

 

Un garnement, vous dis-je, à tuer père et mère !

Es qu'en dzoun nous aouè pas emmenats, en d'en caret a ase, darraoubat a la Mascaretto, daou coustat das Marsaous, après Sent-Alordi, pré catsa, dens lou chay daou gardo, lou tessoun daou Sïnglot  ?

 

En garnimen, bous dédi, a tua pay et may  !

Et puis pas dévot, je vous l'assure.

 

Pas un mot de catéchisme. A la messe, il pinçait les voisins pour les faire remuer ou crier. L'abbé, impatienté, arrivai t, talochait les plus innocents... et s'en allait chanter avec le pauvre vieux Titon, le sacristain.

Apey brigo deboussious, bou l'approumetti ! 

 

Pas en mot de catechime... A la messo, pelïntsaou lous besïns pra ha estorse o gula. L'abbé arribaou esmalit... Gnacaou lous pes inoucènts... et s'en anaou canta en lou praoube beil Titoun, lou mande.  

Alors cet air du diable de gosse se mettait à bailler très fort, pour faire retourner et rire les chanteuses et puis aussi pour faire enrager le pauvre Jeanty, notre porte-pique, qui s'irritait aisément. 

Alors aquet airt daou diables de cócho se mettè a badailla tout rude, pré ha recabira et ride las cantusos, apey tabè pré ha marouna lou praoube Jeanty, noste porto-pique, que s'esmalissè lèou. 

Jeanty ouvrait des yeux de petit chat échaudé et se mettait à grommeler, en grinçant des trois ou quatre dents qui lui restaient : « B... de petit vaurien... tu n'as pas fini de bailler comme un lézard  ? »

 

Ça finissait par faire vilain. Un vrai scandale dans la paroisse.

Jeanty oubrè das èils de minot escaoudat et se mettè a groumoula en grïngants las tres ou quate dènts que yé restaouen : « Vougre de petit baurien, tu n'as pas feni de badailler comme un ladèrt ! »

 

Aco fenissé pré ha bilèn. Eno beritablo escandalo dens la parôpi...  

Je vous laisse à deviner ce que devint, en grandissant, ce limier. Personne ne pouvait plus le réduire. Entêté, méchant, orgueilleux comme un pou; il ne fallait lui parler ni de bon Dieu, ni de diable, ni d'église, ni de curé. 

Bous quitti a doubina ce que debïngut en grandissènts aquet limiè. Digün mey poudè l'amayna... Entestat, michant, glourious coume en pedouil... fallè ye parla ni de boun Dious ni de diables, ni de gleizo, ni de curé.  

C'était une forte tête. Au café, chez le coiffeur, au chantier, partout il fallait qu'il parlât et qu'il fût maître. Sinon il se battait comme un chien.

Aco èro en fort cap. Aou café, chez lou fratère, aou chantiè, pertout fallè que parlèsse et qu'estusse mèste. Aoutremen se battè coume en can.

Aussi, peu à peu nous l'avions laissé se diriger de son côté. Nous avons toujours été les mêmes ! Au lieu de nous dresser, de répondre, de clouer le bec à ceux qui crient ou mordent, nous aimons mieux, pour éviter les disputes, courber la tête et nous en aller.

Tabè, tsic a tsic, l'aouièn quittat se drihoua de soun born. En toujoun estat ataou. Aou liu de nous masta, de respounde, de claouherra lou bec das que gulen o morden, aymaouen mey,. pré pas aye de resouns, bacha lou cap et nous en ana.

C'est ainsi que fit chacun de nous. Et au bout de quelques années, personne ne savait point ce qu'était devenu ce diable de Lézard.

Je vous parle de longtemps !  

 

Plus de vingt ans se sont écoulés.

Ataou cadun de nous aouts hit et aou bout de quaouquos annados, digün sabè pugn ce qu'aouè debingut aquet gaoume de Ladèrt.

Bous párli de paouso !

 

Mey de bïnt ans an passat dempey  !!

  Un matin, il y a de cela six mois, notre section faisait une corvée de chevrons et de pierres, que nous sortions des ruines d'un pauvre petit village tout déchiqueté par les obus.  

En matin, ya d'aco cheys mes, nosto sectioun hadè eno courbado de cabirouns et de peyros que tiraouen de las rouynos d'en praoube mayne, tout espichagat pras obus.

  Sur le côté, près d'un ruisseau, dans un ancien champ de blé, avaient poussé de petites croix blanches et pointues : un cimetière de soldats !

Saou coustat, près d'en riou, dens en ancien cam de hourmen, aouèn poussat de las petitos croutz blancos et pïntsudos : en cemetèri de souldats ! 

Au milieu, debout, la tête inclinée, le casque à la main, un poilu priait. Je l'observais depuis un moment, à cause de sa raideur et de son sérieux dans ses dévotions.

Aou mitan, tout dreyt, l'ou cap bachat, lou casque a la man, en pelut pregaou. Yaouè en moumen que lou gaytàoui., tant se tiné règle et serius dens sas deboutiouns.

Quand  il eut fini, il se signa lentement, se coiffa, et, tout doucement... comme une mère... déposa au milieu de la tombe un petit bouquet de fleurs cueillies dans les champs. Puis il se retourna vers nous pour s'en aller.

Quant ayut fenit, se signèt lentemen, se couyfèt et, tout doucemen coume eno may, boutèt aou mitan de la toumbo en petit bouquet de flous, massados dens lous cams. Apey se recabirèt depous a nous auts pré s'en ana.

Mais soudain il s'arrêta net, en me regardant : « Tiens ! dit-il tout joyeux... mais je ne me trompe pas ! C'est toi, Thoumille ! »

Bala pas que s'arrèsto sec, en me gaytants « Té ! se dichut tout dzeyous... mais me troúmpi pugn  ! Aco's tu, Thoumillo  ! »

Est-ce que je ne reconnais pas mon Lézard ! Mais changé !!!  Un bel homme, ma foi !  Croix de guerre, galon de sergent, s'il vous plaît !  

Bala pas que baouc, recounèche moun Ladèrt  !  Mais sandzat  ! ! En bel home, ma foy ! Croudz de guerro et galoun de sergent, si bou plait !

Je dus écarquiller les yeux, car il se mit à rire.

« Eh bien ! ça te fait peur de revoir le Lézard ?...  

Diúri m'escaribilla, caro se mettut a ride.

« He bè ! aco t'enchanto de rebeyre lou Ladèrt ?

Non ! répondis-je... Mais tu m'aurais coupé la fièvre !!... 

 

Je te félicite, mon ami. Je vois que tu as bien marché... Mais est-ce bien toi, le Lézard d'autrefois, qui faisais des prières, tout à l'heure,... comme un curé ?...

Nou  ! se dichúri you. Mais... m'aourès coupat la hioure !!!  

 

Te felicíti, moun amic. Bèdi qu'as bien marchat... Mais es bien tu, lou Ladèrt d'astat, que hadèoues de las prieros, toutaro, coume en curè ?

Eh oui ! mon homme ! C'est le Lézard ! Mais pas celui d'autrefois. C'est un autre Lézard que tu as devant toi. Tu sais, mon cher Thoumille, la guerre a changé bien des choses. 

Et o  ! moun houme. Aco's lou Ladèrt  ! Mais pas lou d'astat. Aco's en aoute Ladèrt qu'as, d'aouhan tu... Sabes, moun chère Thoumillo, la guerro sandzo fort de caousos ! 

Quand on est jeune, bien portant, à l'abri de tout danger, on se redresse comme des coqs. On se croit, ce faisant, plus intelligent que les autres.

 

Maintenant... j'ai souffert... mon pauvre Thoumille... »

Quant l'on es dzène, en bono santat, sens dandzeyt, l'on se masto coume das begueys... l'on se crey, en adènts ataou, pés intelligènts que lous aouts... 

 

Adaro... ey souffert... moun praoube Thoumillo... »

Et le Lézard toujours rude, fier, sans une larme, mais le front plissé, se tut un moment.

 

Plus doucement... comme s'il eut craint d'être entendu par les pauvres Morts, il continua:  

 

« J'ai souffert... Beaucoup... Ici il a fallu obéir, marcher, crever de soif et de faim... parfois...

Et lou Ladèrt, toujoun rude, fiert, sens eno lermo, mais lou ten plissat, se taysèt en moumen.

 

Pe doucement, comme s'aouè ayut poou que lous praoubos Morts l'entendussen, countinuèt !

 

« Ey souffert... Fort... Aqui a fallut aoubaï, marcha, creba de set et de hame... a moumens...

Et puis il a fallu se battre. Je me souviendrai toute ma vie de notre départ à la baïonnette, dans un déluge d'enfer, sur la côte entre Perthes-les-Hurlus et Tahure ! 

 

Ce fut effrayant ! 

Là, je compris beaucoup de choses...  

 

Je fus blessé à la poitrine.

Apey fallut se batte. Me soubïndrey touto ma bio quand partiren a la baïounetto, dens en deludze d'enfert, se la costo que ya entre Perthos-lous-Hurlus et Tahuro !

 

Aco estut enchantable !

Ala, coumprengúri fort de caousos...

 

Estúri blassat à la peytrino.

Evanoui tout d'abord, quand je revins à moi, les camarades étaient en avant vers le Bois des Lièvres.  

Estalabourdit d'abort, quant rebïngúri a you, lous camarados èren en aouhan, bèrt lous Bos de las Lèbres.

Mais autour de moi... des ventres ouverts, des têtes emportées, des bras arrachés, des jambes en bouillie ; de pauvres malheureux se tordaient comme des vers... et ils hurlaient... ils hurlaient... à me fendre le coeur :  

Mais à l'èntourn de you... das bentres ouberts, das caps empourtats, das bras darrigats, de las camos esbouillados;... das praoubes malherus s'estoursèouen comme das bermes.. et gulàouen.... gulàouen... à me hènde lou co :

« Maman !! Maman !!

Oh ! mes pauvres enfants !! Brancardiers !... 

J'ai soif ! Mon Dieu ! Ayez pitié de nous! »

« Mama !!... mama !!...

Oh !... mous praoubes petits !... Brancardiès  !...

Ey set !.... Moun Diu  ! ayèts pitié de nous aouts !..»

Je me crus fou  !  

 

Mais je ne l'étais point.  

 

Je me rendis compte, là... que nous sommes peu de chose ! Pauvrets de nous  !

Me querduri foou  !

 

Mais l'èri pugn.

 

Me rendúri coumpte, ala... que sèn tsic de caouso !... Praoubèts de nous aouts 

Le mal ! L'orgueil ! Dominer ! Ne plus croire à rien ! N'obéir que selon notre tête  !... Pauvres sots  !...

Lou maou-ha  !  L'ourguil  ! Esta mèstes  ! Ne mey creyre à rè  ! N'aoubaï qu'a noste cap  !   Praoubes inoucènts  !

Il en est qui, en nous faisant des compliments, ont trouvé leur profit ! 

 

Ils le tirent encore en conservant leur peau et en amassant des sous...  

 

Ces pensées m'irritaient …, Et mon sang coulait plus fort par le trou de ma poitrine... Je ne voulais pas mourir, tu sais... Ma femme... mes petits... mes vieux... le clocher de Lesparre.... celui de Saint Trelody... Je voulais revoir tout cela...

En nous hadènts das coumpliments, gn'a das que n'an proufitat  !!

 

Et que n'en proufiten aneyt en gardants lu pèt et en massants das sos ...

 

A pensa a tout aco, èri esmalit... Aco me hadè coula lou sanc pe rude,. praou cros de ma peytrino... Bouli , pas mouri, sabes... Ma hemo... mas petitos... mous beils... lou clouchey de Lesparro ... lou de Sent-Arlódy... tout aco bouli rebeyre...

Et puis je voulais vivre pour me faire pardonner le passé. Car, ce jour-là, je sentis... que moi aussi j'étais pour quelque chose dans cette guerre d'enfer. Je n'avais pas toujours fait mon devoir... 

 

Les menteurs et les criminels qui n'ont pas su ou n'ont pas voulu prévoir, empêcher le grand carnage... c'est bien moi et tant d'autres comme moi qui leur avons confié la garde du Pays !...  

 

Ils se sont f ... ichus de nous. Ils nous laissent bien égorger, ici !... Mais nous sommes les premiers coupables !

 Apey bouli bíoure pre me ha perdouna lou passat. Caro sïntúri, aquet dzoun…. que you tabè èri pré quaouquou rè dens aquero guerro d'enfert..   N'aoui pas toujoun heyt moun débé... 

 

Lous messoundzeys et lous criminels qu'an pas sabut o n'an pas boulut prebeyre, empecha lou grant carnatze... es bè you et tant d'aoutes coume you que lous èn més a garda lou peïs... 

 

S'an foutut de nous aouts... Nous quitten bien sanna, aqui !... .Mais.. sèn bè lous premeys coupables !...

Je me disais tout cela... Pendant que mon sang se caillait autour de la fente de ma capote et que la fièvre faisait trembler mes joues.

   

Me didèoui tout aco... tant que moun sanc se caillaou a l'entourn de la hèndo de ma capoto et que la hioure me hadè trimoula lous clafitas...

 

Alors, tu ne sais pas ? L'envie me prit de parler au bon Dieu  ! ! Moi qui ne pouvais, sans me mettre en colère, voir un curé ni une église !

Alors, sas pas ? L'embèyo me prengut de parla aou boun Dieu !! You que poudi pas bèyre en curè ni eno gleizo sens m'esmalí ! 

Mais tu peux croire que j'étais joli pour prier ! Je me souvenais mieux de la manille... que du « Notre Père »...

 

Alors tu ne sais pas ce que je fis ?  

 

Je parlai en ces termes au bon Dieu :

Mais pas creyre qu'èri mignoun pré prega ! Me soubinèoui meillou de la manillo... que daou « Noste Pèro »..

 

Alors sas pas ce que hiri ?

 

Parlèri ataou aou boun Dieu :

  « Dites donc, Vous qui êtes si bon, m'a-t-on dit, n'allez Vous pas me regarder comme l'un de Vos enfants ?

 

 Je suis votre pauvre b…. de Lézard. J'ai fait de tout, excepté le bien. 

« Didèts doun, Bous que sèts si bon à ce que m'an dit, èsque anats pas me gayta coume ün de bostes maynadzes ?... 

 

Sey boste praoube bougre de Ladèrt. Ey heyt de tout, outre lou bien.

J'ai fait fâcher le Curé...  j'ai joué mille tours dans votre église au pauvre Titon et au vieux Jeanty; j'ai fait enrager mes parents; j'ai couru la gueuse; je me suis saoulé comme un chien; j'ai frappé ma femme, mes petites, comme de la toile mal faite (Expression médocaine)... A Vous... j'ai fait mille peines...  

 

Voilà !

Ey heyt marouna lou Curé, ey heyt mille guimbelettos dens bosto gleize aou praoube Titoun et aau beil Jeanty; ey heyt debeni mous  praoubes beils; ey courut la guzo;  mey ibrougnat coume en can; ey batut ma hemo et mas petitos coume telo maou heyto... A Bous... Bous ey heyt mille escarnis ...

 

Bala !...

 

Mais... pourtant !! Vous qui êtes bon et juste !! Vous qui voyez combien je me repent de tout cela... il Vous faut me pardonner, n'est-ce pas ? 

 

Mais ... pertan  !!... Bous que sèts bon et dzuste  !... Bous que bedèts coumbièn me repènti de tout aco... faou me perdouna, pray ?... 

 

 

Si je meurs, c'est en faisant mon devoir... Vous ne pouvez pas me fermer la porte... Si Vous me sauvez... Vous verrez si le Lézard saura tenir sa promesse !...»

 

Se móri... aco's en hadènts moun débé... Poudèts pas me barra la porto... Se me saoubats... Beyréts se lou Ladèrt sabra teni paraoulo !... »  

 

Il s'arrêta de parler.

 

Il était oppressé d'émotion.

 

« Que penses-tu de ça ? » me dit-il tout à coup, en me regardant droit dans les yeux. Je ne pouvais répondre. 

S'arrestèt.

 

Pantuhaou d'emotioun.

 

« Que penses d'aco ? » se dichut tout d'en cop, en me gaytants dreyt dens lous èils. Poudí pas respounde... 

Je n'avais envie que de pleurer.  

 

J'avalai deux ou trois fois mes larmes et je lui répondis à voix basse :

N'aouí qu'embèyo de crida.

 

Trasiri dus ou tres cops et yé respoundúri doucémén :

« Mon brave Lézard ... . tu as parlé comme un livre...  

 

Et... le Patron t'exauça ? 

 

Oui, Il m'exauça !

« Moun brabe Ladèrt... parlères coume en libre...

 

Et... lou Patroun t'escoutèt ?  

 

O ! m'estcoutèt !

Quand l'Aumônier me releva avec les brancardiers, je lui redis tout.

 

Je me confessai, mon ami  ! !  Le Lézard se confessa  !... Et... pas à un chêne, comme le pauvre Laurent... A l'Aumônier, à un Curé, quoi !  

 

Et le brave homme me donna tout son fourbi et m'embrassa comme du pain.

Quant l'aumoniè me reluèt en lous brancardiès, yé redichúri tout... 

 

Me coufessèri, moun amic !!! Lou Ladèrt se coufessèt !! Apey... pas a d'en cássi, coume lou praoube Laourènts... A l'Aumoniè, a d'en curè, quoi ! 

 

Et lou brabe houme me baillèt tout soun fourbit et me biquèt coume pan.

Depuis ce jour, j'ai fait mon devoir. Mes chefs me considèrent comme leur fils. Ils disent que je suis courageux. Ce doit être vrai car je veux compenser le temps que j'ai perdu.  

Dempey ey heyt moun débé. Mous chefs me treten coume lu maynadze, cáro diden que sey couratzous. Dieu esta brayt, cáro boy resquita tout moun tèms perdut. 

  Mes meilleurs amis sont tombés... l'Aumônier aussi... Tous dorment... ici... au cimetière... Demain il y a attaque... en face du Saillant (de Tahure.).  

Mous pe bons amics soun toumbats...l'Aumoniè tabè... Tout aco drom... aqui... aou cemetèri... Deman ya attaquo... en faço daou Saillan... 

J'ai voulu venir encore une fois, en suivant le boyau « Mangénot », les fleurir et prier pour eux... et leur dire... peut-être « Au revoir demain... ici... ou là-bas En-Haut...

Ey boulut beni encáro en cop, en siguènts lou bouyèou « Mangenot », lous flouri et prega pr'ets... et yé ze dire... belèou  « A rebèyre deman... aqui... o... la-bas En-Haut...

Ecoute, Thoumille, je suis content de t'avoir trouvé.  Si quelque chose m'arrive tu diras tout ceci aux miens. Tu diras à Marie, ma femme, de bien élever les petits et de bien soigner nos vieux. 

Escouto, Thoumillo, sey countènt de t'ayé troubat... Sé quaouquo rè m'arribo, diras tout aco as mènts. Diras à Mario, ma hemo, de bien elua las petitos et de bien sougna nostes beils... 

 

Tu leur diras de ne pas pleurer le Lézard qui sera mort heureux de leur avoir enfin fait honneur.

 

Ah  ! mon homme  ! Je t'ai suffoqué !!

 

Yé zé diras de pas ploura lou Ladèrt, qué sara mort herus de yés ayé heyt enfin aounou ...  

 

Ah  ! moun home  !!! T'ey santrasit  !!!

Viens boire un coup de pinard, tiens ! 

 

Et ne prends donc pas cet air transi... Le Lézard ne s'en fait pas, tu. sais... Il est plus heureux que jamais ! Il souffre... Mais, maintenant, il sait pour quoi et pour qui  !...  

Aco's ataou  !...Bèn buoure en cop de pinart, tè ! 

 

Et prengues pas doun aquet airt trasannat... Lou Ladèrt s'en hèy pas, sabes !... Es pés herus que jamès ! Soffrou... mais, adaro, sap pré qué et pre quey !... 

Tiens ! écoute-moi ça... »  

 

Et le voilà qui me chante « la Madelon" !

Té ! escouto m'aco... »

 

Et lou bala pas partit a me canta « la Madeloun » !

Il me quitta après m'avoir raconté un tas de plaisanteries à me faire éclater les cercles !...

 

Ah ! fichu Lézard !!  

Et me quittèt, après m'aye dit en tat de rimolos a me ha peta lous codres... 

 

Ah ! gaoume de Ladèrt  !!...  

Six jours après l'attaque parfaitement réussie son capitaine me fit remettre une lettre :

 

« P. C. Blanchetière, 

» Mon cher Monsieur Thoumille,

... Cheys dzouns après l'attaquo, qu'aouè parfetemen reussit, soun capitaino me bit remette eno lettro :  

« P. C. Blanchetière,  
» Mon cher Monsieur Thoumille,

 « Le sergent X... est tombé magnifiquement, en conduisant sa demi-section à l'attaque d'une mitrailleuse. On a trouvé sur lui une lettre qui vous est adressée et que je vous envoie.  

 

J'y joins le texte de la citation à l'armée que j'ai facilement obtenue pour ce brave.  

 

Je vous félicite d'appartenir vous-même à ce Médoc qui nous a donné un semblable Poilu. »  

  Le sergent X... est tombé magnifiquement en conduisant sa demi-section à l'attaque d'une mitrailleuse. On a trouvé sur lui une lettre qui vous est adressée et que je vous envoie.

 

J'y joins le texte de la citation à l'armée que j'ai facilement obtenue pour ce brave.

 

Je vous félicite d'appartenir vous même à ce Médoc qui nous a donné un semblable Poilu. »  

Tout étourdi, les yeux pleins de larmes, je lus le petit papier :

 

« Sous-officier remarquable de discipline, d'entrain et de cran. Modèle complet du soldat français. Frappé au coeur d'une balle, au moment où, dans une irrésistible charge, à la tête de sa demi-section, il s'emparait d'une mitrailleuse allemande. 

 

Déjà cité trois fois à l'ordre. »

Tout estalabourdit, lous èils plens de lermos, legiri lou petit papey:

 

« Sous-officier remarquable de discipline, d'entrain et de cran. Modèle complet du soldat français. Frappé au coeur d'une balle, au moment où dans une irrésistible charge à la tête de sa demi-section, il s'emparait d'une mitrailleuse allemande. 

 

Déjà cité trois fois à l'ordre. »

En tremblant, j'ouvris la lettre du pauvre ami :  

 

« Boyau Sainte Anne, ce samedi soir.  

 

Mon cher Thoumille,

En tremblants, oubríri la lettro daou praoube amic :

 

« Bouyèou Sento Anno, aquet dissades aou Sey

 

Moun chère Thoumillo,

Quand tu liras ceci, le Lézard aura tourné l'oeil en faisant tout son devoir. Ne pleure pas. 

 

Je suis prêt et je pars content.

  Quant legiras acoqui, lou Ladèrt, aoura birat l'èil en hadènts tout soun débé. Crides pas. 

 

Sey preste et párti countènt. 

Quand tu iras en permission, tu passeras voir tous les pauvres miens : Papa, maman, Marie et mes petits.

Quant ayras en permessioun, passeras beyre touts lous praoubes mèns : Papa, mama, Mario et mais petitos. 

Embrasse-les tous pour moi... bien fort. Et surtout dis-leur d'être courageux. Je m'en vais en-Haut. J'espère que le bon Dieu me donnera un coin de sa demeure et que Titon, le vieux Jeanty et Manillon se tairont pour ne point me faire expulser.

Biquo lous touts pré you... bien rude. Et sertout di yé zé d'esta couratzous. M'en baouc en-Haout. Espèri que lou boun Diou me dounera en cugn de soun oustaou et que Titoun, lou beil Jeanty et Manilloun se tayseran pré pas me ha mette dehoro. 

De là-bas, je veillerai sur vous tous... jusqu'à ce que le bon Dieu et Sa Sainte Mère nous rassemblent... Prie pour moi. Courage  ! Vive la France  ! Et notre Médoc  ! Je t'embrasse comme un frère.

 

Ton vieux,

  Lézard.

De la-bas, beillerey se touts bous aouts amasso... dzunquos a ce que lou Boun Diou et sa Sènto May nous amaynen...Prégo pré you. Couratze !  Bibo la Franço ! Et noste Médoc ! Te biqui coume en fray.

 

Toun beil

Ladèrt. »

Dites donc, camarades médocain, si vous passez, par hasard, dans le secteur de Tahure, sur la gauche du chemin qui part de Perthes vers le Nord, à cinq ou six cents mètres dans les champs, près d'un bouquet de petits pins que la bataille n'a pas déchiquetés, vous trouverez un cimetière de pauvres enfants...

Didèts doun, camarades médouquins, se passats pr'hasart dens lou secturt de Tahuro, se man gaoucho daou camïn que part de Perthos bèrt lou Nort, à cïnq ou cheys cènts mètres dens lous cams, près d'en bouchoun de petits pïns que la bataille n'a pas espichagats, trouberéts en cemetèri de praoubes maynadzes...  

Tout à fait au bout, du côté du soleil couchant, il y a une petite croix blanche sur une tombe fleurie...

 

Arrêtez-vous... Saluez et priez...  

Tout a fèt aou bout, daou coustat daou sou coutsan, ya eno petito croudz touto blanco, ses eno toumbo flourido...  

 

Arrestats bous aouts. Saludats et prégats...  

C'est la tombe d'une ancienne mauvaise tête et d'un grand coeur... la tombe d'un des plus beaux fils de notre Médoc... la tombe du sergent Lézard, mort en brave au Champ d'Honneur !...  

Aco's la toumbo d'en ancièn michan cap et d'en gran co... la toumbo d'un das pe bèts hills de noste Medoc ... la toumbo daou sergent Ladèrt, mort en brabe aou Cam d'aounou !...  

P. C. Canons (Tahure)  16 Décembre  1917.

Ferme de Pas (Montdidier) Pâques  1918.

(Paru dans  le Rayon » de Noël  1917 et de Pâques  1918.) 

P. C. Canouns (Tahuro) lou sedze Decèmbre  1917.

Fermo de Pas (Montdidiè) Páscos  1918.

(Paréchut dens « lou Ray » de Nouèil  1917 et de Páscos  1918.)

D-M. BERGEY

       

 

Réalisée le 23 septembre 2004

 André Cochet

Mise ur le Web le     octobre 2004

Christian Flages

Mise à jour le

                 

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