TEXTES EN GASCON. | |
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Ma Garbetto. (Ma petite gerbe)
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Souvenirs d'un peu partout. Poésies.
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Soubenis d'en tsic pertout.
Pouesios.
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Récits et poésies en Langue d'Oc (contrée de Lesparre) avec traduction de l'auteur.
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Abbé D-M. BERGEY.
Curé de Saint Emilion | |
Edition de la Revue Méridionale. 5 rue Fondaudège. Bordeaux. 1923. | |
Collection Christian de Los Angeles. | |
Le miracle du mort.
(Ceci arriva loin de chez nous.) |
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Lou miracle daou mort. (Acoqui arribèt lougn de ché nous aouts.)
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Ces textes sont issus
d'un livre ancien. |
Dédié à
M. l'Abbé Daguzan de Pau, |
Dediat
à Moussu l'Abbè Daguzan de Paou, |
A mes camarades de misère.
A mes amis l'abbé Lacaze et Henri Ghéon, qui furent deux beaux « poilus». |
A touts lous
qu'an souffert. A
mous camarados de misèro. A
mous amics l’abbè Lacazo et Henri Ghéon, |
«La parole est, Messieurs, à notre Député
! » Le vieux Maire, la voix tremblante, tout
voûté, Venait juste d'achever son discours sur la
place, Au pied du monument, qui sur la populace, Se levait droit et blanc, dans la houle de
deuil, Comme sur un cercueil, un mort dans son
linceul. Tout le Monde pleurait. Quelques-uns,
sanglotaient. Les parents des Martyrs. Les plus petits regardaient, En écarquillant les yeux, les drapeaux et
les fleurs, Et les yeux des aînés, noyés d'étranges pleurs. |
« La paraoulo es, Moussus, à noste Députat ! » Lou beil Mairo, la bois tremblanto, tout voutat, Binè dzus d’acaba soun discourt se la plaço, Aou pé daou monumen, que, se la populaço, Se luaou dreyt et blanc, dens la houlo de doou, Coume, ses en cercuil, en mort dens soun linçoou. Tout lou mounde bramaou. Quaouque d'uns sanglutáouen. Lous parènts das martyrts. Lous pe petits gaytáouen, En se rebouterants, lous drapèous et las flous, Et lous èils das eynats, negats d'estrandzes plous. |
Tout à coup, une mère poussa une clameur
sauvage ! Comme si elle revoyait le corps de son
enfant, Elle regardait attentivement, les yeux
fous et le coeur démonté, La statue de pierre où elle voyait son
jeune fils : Un pauvre soldat mort.
Une femme, la
France Baisait son jeune front, contracté par la
souffrance. La vieille mère poussait des cris, en
tendant ses deux mains Vers les fantômes muets... Tous les
autres, en pleurant fort, Voulaient faire taire celle qui devenait folle. |
Tout d'en cop, eno may poussèt en bram saoubaze ! Coume se rebedè lou cors de soun maynadze, Espiaou, lous èils foous et lou co desmountat, La statugo de peyro, an bedè soun gouyat : En praoube souldat mort.
Eno hemo, la Franço, Biquaou soun dzène ten, frouncit pré la souffranço. La beillo may sisclaou, en tendènt sas duous mants Bèrt lous fantomes mucs... Touts lous aouts, en
bramants, Boulèouen ha taysa la que debinè follo. |
« Laissez-moi
!... Je l'ai bien vu... hurlait-elle... Mon coeur déborde ! Je vous dis que
je l'ai vu !... Mon petit va parler !... Regardez-le !... Il balbutie !... Il se redresse... Le voilà !... » |
« Quittats me !... L'ey bè bis... gulaou,... Moun co rifollo !!
Bous didi que l’ey bis !... Moun petit ba
parla !! Gaytats lou !... Papoutèyo !... Es
mastat... Lou bala !!... » |
Comme
une rumeur de mer les secoua tous ensemble. Tous
les yeux épouvantés se tournaient vers la masse De
pierre...
Un cri d'horreur, une clameur de gouffre d'enfer Fit trembler les maisons... |
En esprehum de ma lous secudit amasso. Touts lous èils enchantats birèren bèrt la masso De peyro...
En crit d’horrurt, en bram de gurp d'enfert Hit trembla lous oustaous... |
Dans
ses chaînes de fer Le
monument semblait frémir... Tout raide, Empierré,
l'homme blanc, avec un regard vif d'aigle, De
son bras dégelé s'appuyant, droit et fort, Sur
la France debout pour bercer sa mort, Secoua
son grand corps, avec un bruit de muraille Qui se
fend... Sur son coeur se déchira une entaille Sa blessure, où du sang semblait sourdre
d’aujourd’hui. Des maxillaires tendus, l’œil en feu,
la tête droite, Les joues rougissant dans la pâleur marbrée,
Notre Soldat, comme une ombre déterrée, Parla terriblement au peuple transi d'émotion. |
Dens sas cheynos de fert, Lou monumen semblaou s'estrementi... Tout règle, Empeyrat, l'homme blanc... en den regart biou d'ègle, De soun bras desmourdit s'accoutants, dreyt et hort, Se la Franço debout pre calina sa mort, Secudit soun grant cors, en d'en breyt de meraillo Que se hên...
Se soun co s'esquechèt eno entaillo Sa blessúro, an
daou sanc semblaou sourde daneyt. Lous clafitas
tenduts, l’èil en huc, lou cap dreyt, Las gaoutos
roudzeyants dens la palou marbrado, Noste souldat,
coume eno oumbro desenterrado, Parlèt terriblemen aou puble santrasit. |
Salut
à vous tous ! Il me paraît plus simple De dire, moi tout seul, ce que je suis… ce que je sens... J'ai trop souffert, là-bas, chez la Mort, pour mentir. Que voulez-vous donc de moi ? Je n’en ai pas assez fait, ainsi, Après avoir laissé mes vieux et ma maison, Avoir donné mon sang et ma claire jeunesse ? Ce n’est donc pas assez de l’infernal tourbillon Qui m'écrasa, saigné, comme une pauvre fourmi ? Ce n'est donc pas assez qu'un trou creusé par un ami triste Ait recueilli, un jour, ma chair déchiquetée ? |
«
Salut a touts bous aouts ! Me semblo pes aysit De
dire, you tout soul, ce que sey... ce que sènti... Ey
trop souffert, la-bas, chez la Mort, pre que mènti ! Que
boulèts doun de you ? N'ey pas
prou heyt ataou,
Après
ayé dichat mous beils et moun oustaou, N'es
pas doun prou de l’infernalo bouhemesso. Que
mesbouillèt, sannat, coume en praoube hourmic ? N'es
pas doun prou qu'en cros, crouzat pr’en triste amic, Aye,
en dzoun, recatat ma chairt espichagádo ? |
Il
faut donc que je ne puisse pas, dans ma terre, frappée de coups, Dormir comme l'ouvrier qui vous a tout donné Et jusqu'à son dernier soupir, sans plainte, a travaillé ? Puisque je suis allé trouver là Mort, ma camarade, Vous pouvez me dispenser, de refaire la parade. Vous avez donc besoin, de moi pour vous distraire ? Mais pour les délicats il a fallu nettoyer Ma capote de sang, ma poitrine ouverte ! Vous m'avez tout endimanché dans la pierre taillée |
Faou
doun que pusqui pas, dens ma terro boungádo,
Droumi
coume l'oubrey, que bous a tout baillat Et
trunqu'a soun darney, sens plagn, a trabaillat ! Preque
ey anat trouba la Mort, ma camarado, Poudièts
me dispensa de reha la parado. Ets
doun besougn de you pré bous desenneya ? Mais
pr’as trop delicats a fallut netteya Ma
capote de sanc, ma peytrino escaillado ! |
Et,
comme si je n'étais, pas sûr de mon sort, Les malins vont venir m'apprendre que je suis mort !... Devant tous mes parents, ma femme, mes enfants, Vous allez jeter les fleurs cueillies sur les corsages !... Les larmes des amis, des miens que vous avez fait venir, Leurs prières d’amour, l'or de leur souvenir, |
Et
coume s'éri pas soulide de moun sort, Lous
malïns ban béni m’apprenne que sey mort !... Daouan
touts mous parènts, ma hemo, mous maynadzes, Anats
dzitta las flous, cuillidos sas coursadzes !... Las lermos das
amics, das mènts qu'èts heyt beni, Lus prièros
d'amou, l’ort de lu soubeni, |
Sont les seuls ornements que je voudrais
sur ma tombe, Les seuls qui soient l'espoir du pauvre
homme qui tombe A la guerre. Vous, vous avez besoin de
parler ! C'est votre combat. Les uns sont pour râler
Dans le feu et le fer, dans les nuits
infernales; Les autres sont pour jouir, courir les
saturnales, Salir les nids voisins, manger le pain
gagné Par ceux qui se sont alignés, sous les
croix de bois... Et quand finit, un jour, la mortelle corvée,
Il faut que vous mettiez à l'étalage,
votre chair conservée, Que vous parliez beaucoup de tués; pour
étouffer les remords Et, dans de faux sanglots, clamer : «
Pourquoi sont-ils morts ?» Je sais pourquoi je suis mort ! Avec mes lèvres
de pierre, Je vais répondre, pour une fois, aux
boniments de foire De ceux qui devraient pourtant bientôt nous laisser dormir. |
Soun lous souls
ournements que boudri se ma toumbo, Lous souls que
soun l'espoirt daou praoube home que toumbo, A la guerro.
Bous aouts èts besougn de parla ! Aco's boste
coumbat. Lous uns soun pre rala, Dens lou huc et
lou fert, dens las neyts infernalos ; Lous aouts soun
pré dzoui, courre las saturnalos, Sali lous nics
besïns, mïntza lou pan, gagnat Pras que debat
las croutz de boys s'an alignat... Et quand fenis,
en dzoun, la mourtello courbado, Bous faou mette
a l'estal bosto chairt counserbado, Parla fort das
tuats, pr'estouffa lous remorts, Et, dens das
faous sengluts, brama : « Perqué soun Morts ?... » Sábi perqué
sey mort ! En mous balots de peyro, Baouc respounde,
pr'en cop, as bouniments de heyro |
Je suis mort, parce qu'un jour, qui en fit
tant gémir ! M'arracha à mes sillons, à ma famille. Pour saisir le fusil, je posai ma
faucille. Les
Messieurs de Paris ne m'avaient pas averti. Dès mon
jeune âge, quand j'étais tout petit, Ils
m'avaient dit que jamais nous ne reverrions la guerre. Il ne
devait plus se trouver que des frères sur la terre... Les
autres, de l'autre côté, préparaient leurs moteurs, Leurs canons... |
Sey mort, parço
qu'on droun, que n’en hit tant gemi ! Me darriguèt à
mous regats, à ma famillo. Pre gaha lou
fusil, paousèri ma faucillo. Lous Moussus de Paris m’aouèn pas abertit... De dzènemen aouant, quan èri tout petit, M'aouèn dit que jamès ne rebeyrièn la guerro. Diouè mey se trouba que das tsays se la terro... Lous aouts, de l'aoute born, paráouen lus moturts, |
Chez
nous, les pauvres électeurs Se
croyaient des rois. Quand éclata l'orage, Je partis
comme tous, enflammé de courage. Mais,
pauvre de nous ! nous, tombâmes par tas Dès les
premiers combats... La Mort de ses lèvres Glacées,
but d’un trait, par milliers, nos vies... Contre
notre ennemi et ses artilleries, Pour ses
casques pointus et ses pluies de fer, Pour tout
ce que, en quarante ans, une race d'enfer Avait pu
prévoir et monter, notre armée Ne put
qu'engloutir, fournée par fournée, Dans la
gueule de mort vos jeunes gens. Coeurs à coeurs, bras à bras, tous en bloc appuyés, Il fallut
bâtir de chairs et de tendres poitrines La
muraille... pendant que les « mecs » et leurs marraines S’échappaient,
légers, du côté de Bordeaux, Comme des rats peureux, quand coule le bateau ! |
Chez nous aouts, lous praoube eleturts Se credèouen das reys... Quand esclatèt l'aouradze, Partiri coume touts, allucat de couradze. Mai, praoubes de nous aouts ! toumbèren a
pilots Des lous premeys coumbats... La Mort, de sous balots Mourdits, buhut d'en trèt, pre milleys, nostos
bios... Countro noste ennemic et sas
artillerious, Pre sous casques pintsuts et sas pleyos de fert, Pre tout ce qu'en crant’ans eno race d’enfert Aouè pouscut prébeyre et mounta, nosto armádo Ne pouscut qu'englouti, hournádo pre hournádo Dens la goulou de mort bostes dzenes gouyats. Cos à cos, bras à bras, touts amasso appuyats, Fallut basti de chairts et de tendres peytrinos La meraillo... tant que lous mecs et lus mayrinos S'escapaouen, lioutzeys, daou coustat de Bourdèou, Coume das rats paourucs
quant coulo lou bâtèou ! |
Je suis mort parce que ceux qui
disposaient de ma vie Se sont moqués de moi... le roi de comédie...
Et quand, vers l'Est, le canon éclata Et qu'ils sentirent qu’ils pouvaient
perdre la peau, Ils m’envoyèrent, moi roi, couronné de
mon casque, Avec mon manteau boueux, avec mon sac et
mon masque... Sans, rien pour me défendre, abandonné
au sort... Entendez-vous, ceux d'en haut ?... Voilà pourquoi je suis mort !! |
Sey mort parço
que lous que tinèouen ma bio S'an arraillat
de you... lou rey de coumedio... Et quant, bèrt
lou luan, lou canoun esclatèt, Et que sintúren
que poudén perde la pèt, M'embièren, you
rey, courounnat de moun casque, En moun mantèt
hagnous, en moun sac et moun masque... Sens rè pre me
defènde, abandounat aou sort... Entendèts, lous
d'en haout ?... Bala perqué sey mort !! |
Je suis
mort parce, que tous n'ont pas voulu se battre. Quand un
peuple se lève, il ne faut personne qui s’accroupisse... Et
pourtant... il en est beaucoup, jeunes et bien bâtis, Que j'ai
vus, jamais bien seuls, frais, parfumés et vêtus Comme des
freluquets, chacun avec sa poupée, Traînant
sur les trottoirs une odeur de marée !! Et moi,
pauvre sot ... le parent dégoûtant, Tout
sale, tout laid ... le « soldat glorieux », Je me
suis battu seul, pendant que leur place était vide. Aujourd'hui
ils viennent pleurer et chacun sur moi verse Le flot
de ses discours ! Chacun me mord au cœur !! Entendez-vous embusqués ? Voilà pourquoi je suis mort !! |
Sey mort, parço que touts n'an pas boulut se batte... Quant en puble se lèou, n'en faou nat que s'acclatte.
Et pertan... gn’a mante un, dzenes et bien bastits, Qu'ey bis, jamais bien souls, frais, aoulènts et bestits Coume das ferluquets, cadun en sa poupèyo, Roussegants sas trouttoirts eno aoudou de marèyo Et you, praoube mouraout... lou parèn narious... Tout sale, tout bilèn,... lou « souldat glourious » M'ey battut soul, pendèn que lu plaço èro bouytou. Aneyt bènen brama et cadun se you bouytou Lou flot de sous discourts !... Cadun aou co me mort !! Entendèts embuscats ?
Bala
perqué sey mort !! |
Allons !
Approchez donc, les marchands de paroles... Ne
regardez pas si souvent du côté des tables... Vous avez
le temps de manger... Ecoutez le Poilu... Celui que
vous appelez «sauveur»... mais que vous n'avez jamais voulu Défendre
ni suivre sur les champs de souffrance... Regardez
donc, si vous l’osez, celle que vous appelez « la France » Votre mère
et la mienne ! avec son foulard de deuil ... Ecoutez-la, sangloter sur ses fils... Avez-vous donc peur ? .. |
Anen ! approuchats doun, lous marchants de paraoulos... Gaytièts pas si souhèn daou coustat de la taoulos... Ets lou tèms de mïndza... Escoutats lou Pelut... Lou qu'apperats « saouburt »... mais qu’èts jamais boulut
Defènde ni segui sas cams de la souffranço... Gaytats doun, se l'aousats, la qu'apperats « la Franço »
Bosto may et la mèno ! en soun foulart de doou... |
Et
le mort blanc tenait dans ses bras l'autre pierre Celle
qui le soutenait tout à l'heure. La nuit Semblait
envelopper son front blême de mère, Malgré
le beau soleil de ce matin de mai… Les
yeux blancs étaient pleins de larmes toutes blanches. Les mères, les
pères, transis de douleur, sur les planches des bancs Sanglotaient,
dans le groupe des orphelins Les gosses aux
cheveux d'or, caressaient, câlins, Les têtes
frissonnantes de leurs vieux... Et la folle, Accrochée à la
pierre d'une main tremblante, Essayait de
faire voir au soldat un enfant. « Mon
fils, je n’ai plus que lui, depuis que tu es parti ! C'est le tien...
Prends-le... Je vous suivrai... Je suis vieille... Mais je peux
encore marcher... La France, qui veille sur toi, Ne sera pas jalouse. Elle a bien vu que tu es mien.», |
Et
lou mort blanc tinè dens sous bras l'aouto peyro, La
que lou soustinè tout áro... La negreyro Semblaou
engouloupa soun blaouse ten de may, Maougrè
lou bèt soureil d'aquet matïn de may... Sous
èils blancs èren plens de lermos toutos blancos. La
mays, lous pays, trenquats de doulou, se la plancos
Sanglutàouen,
dens lou ligot das ourphelïns... Lous
cóchos, as peous d'ort, parounáouen, calïns, Lous
caps frésillounants de lus beils... Et la follo, Accrouchado
aou peyrat d'eno man que trimollo, Assayaou
de ha beyre aou souldat en petit: «
Moun éhant ! N'ey mey qu'ét, dempey que sès partit ! Aco's
lou ton... Pren‑lou... Bous seguirey... Sey beillo... Mais
poy enca marcha. La Franço què te beillo, Ne
sara pas dzelouso. A bè bis que sès mèn... » |
La pierre
rougissait, brûlée par son haleine... Sur
la place, bientôt, beaucoup s’échappaient... D'autres,
pour ne pas se faire remarquer, se cachaient Derrière
les châtaigniers et les ormeaux...
Le mort Les
regardait avec du feu dans ses yeux. Chaque culpabilité Mettait
sur les visages la honte et l'épouvante : «
Allons ! hurla-t-il plus fort... Où est celui qui fait mon éloge ? Voyons,
l'homme au chapeau de forme... Approchez-vous !... Dites-moi
donc pourquoi je suis mort ! Vous êtes tout timide !... Vous
avez ri à Bordeaux, à Paris... sur les tombes... Vous
n'avez guère connu, sans trembler, d'autres bombes Que
celles des casinos... Racontez-nous les combats Des
soldats de l'arrière, des terribles sauvés... Et
vous... là-bas... Monsieur Ventre d'Or, nouveau riche, Qui
savez distiller le sang, pourvu qu'il coule à flots, Venez
donc tordre ici, sur le pied du monument, Votre
col de velours et tout le vêtement De
Madame... Nous verrons la pierre tout humide, Du
sang des soldats morts... Cela nous fera rire. |
La
peyro roudzissè, burlado pré sa lèn... Se
la plaço, bien lèou, gn'a fort que s'escapáouen. Das
aouts, pré pas se ha remerqua, se catsáouen Darrey
lous castagneys et lous oumes...
Lou
mort Lous gaytaou en
daou huc dens sous èils. Cade tort Sas bisadzes
mettè la hounto et l'espoubanto: « Anen ! gulet pé rude... Ant
es lou que me banto ? Beyèn l'home
aou capet de forme... approuchats bous ... Didets me doun
perque sey mort ! Sèts tout hountous ? ... Ets ridut à
Bourdèou, à Paris... se las toumbos... N'èts gayre
counéchut, sens trembla, d'aoutos boumbos Que las das
Casinos... Countats nous lous coumbats Das souldats de
darrey, das terribles saoubats. Et bous... là‑bas,
Moussu Bentre‑d'Ort, nouèt riche, Que sabèts
destilla lou sanc, pourvu que piche, Binèts doun
torse aqui, saou pè daou monumen, Boste col de
belours et tout l'habillemen De Madamo...
beyren lou peyrat tout humide Daou sanc das
souldat morts... aco nous hara ride. |
Et
toi le Jeantillot, le coq si fringant Du
bourg, qui allais chanter devant chaque foyer, Pour
essayer de s'en faire facile poulailler, Viens
donc chanter, grimpé près de ton mort de pierre, Et
nous dire ton âge. Ce sera fort beau. Moi,
ton aîné, je saurai comment tu as sauvé ta peau Et
toi le fier parleur, cuisinier politique, Le
grand Jeanty, vaillant sauveur de République Ta
vache à lait ! Tu m'as assez traité de ventre blanc !... Fais-nous voir le tien: Il n'a point de tache de sang !... |
Et
tu lou Dzantillot, lou si frïngant béguey Daou
bourc, qu'anaou canta daouan cade houguey, Pr,assaya
de s'en ha facilo pourailleyro, Bèn
doun canta, criquat près de toun mort de peyro, Et
nous dire toun adze... aco sara fort bèt. You,
toun eynat, sabrey coume as saoubat ta pèt ! Et
tu lou fièrt parlurt... coudiney poulitico Lou
grant Jeanty, balèn saouburt de Republico Ta
baco à leyt !... M'as prou traitat de bèntre blanc ! Ey
nous beyre lou ton. N'a pugn taco de sanc ! |
Et
toi, le combattant du café de la place, Qui
faisais la tranchée avec ta cuiller, ta tasse, Tes
verres vides, ta pipe et ton sac de tabac, Entre
deux manillons attendant le combat. Explique-moi
la guerre, à moi qui ne l'ai vue Qu'en
m’écorchant à vif dans les chevaux de frise, Me
traînant la nuit sur le ventre, pour rôder. Autour
des créneaux allemands et veiller Sur tes
pareils et toi... pour que vous puissiez vivre. Tu es un
témoin calme. Moi, mangé par la fièvre, Je n'ai
rien vu comme il faut. Viens donc nous enseigner Comment
cent mille morts se peuvent aligner ; Comment
il fallait sauter sur le bord de la tranchée ; Comment
l'on se trouvait l'échine disloquée Allons !
Nous vous écoutons... C’est peut-être moi qui ai tort ? Je m'excuse, mes enfants, d'avoir trouvé, la mort ! » |
Et
tu lou coumbattant daou café de la plaço, Qu'adèoues
la tranchado en toun quilley, ta tasso, Tous
beyres bouyts, ta pipo et toun sac de tabat, Entre
dus manillouns attendènts lou combat... Espliquo‑me,
la guerro, a you que ne l’èy biso Qu'en
m'engraougnants a biou dens lous chibaous de friso, Me
roussegants la neyt saou bèntre, pré rouilla A
l’entourn das crenos allemants et beilla Se
tous pareils et tu... pré qué pouscússets bioure. Sès
en calme temougn. You, mindzat per la hioure, N'ey
ré bis coume faou. Bèn doun nous enseigna Coumé
cènt mille morts se poden aligna, Coumé
fallè saouta saou born de la tranchado, Coumé
l'on se troubaou l'esquino desmanchado. Anén !
Bous escoutan... Es belèou you qu'ey tort ? M'escúsi,
mous éhants, d'ayé troubat la mort ! » |
Le fantôme
levait ses deux bras sur la foule, Déchaînant,
tout autour, comme un grand vent de houle. Il n'en faillait pas autant pour faire peur aux malins. Sans se
retourner, ils couraient sur les chemins, Les uns
après les autres, épouvantés par la pierre Qui
appelait avec un bruit de lame de grande marée. Chevaux,
ânes, autos partaient avec rapidité, S'accrochant,
s'embourbant. Chacun, comme il put, S'échappa
loin du Mort qui, surgi de terre, Voulait se faire raconter leurs souvenirs de guerre. |
Lou fantome
luaou sous dus bras se la foulo, Descheynants, à
l’entourn, coume en grant bèn de houlo, N'en fallè pas
aoutan pre ha poou as malïns. Sens se
recabira, courrèouen sas camïns Lous uns après
lous aouts, enchantats per la peyro Que huchaou, en
d'en breyt de lame malineyre. Chibaous, ases,
autos partèouen de rescut, Accrouchants,
encloutants... Cadun, coume pouscut, S'escapèt lougn
daou Mort, que, remastat de terro, Boulé se ha
counta lus soubenis de guerro. |
Le long
des chaises vides, il était resté pourtant beaucoup de monde Des vieux
recroquevillés, aux yeux cuits. Au milieu, Les
enfants sans papas, les jeunes fiancées, Veuves
blanches. Plus loin, des femmes courbées Celles
qui n'ont pas voulu oublier. Sur le côté, Les blessés
: boiteux, manchots, les combattants d'autrefois... Et puis
tous les amis sincères : ceux qui surent Souffrir,
nous soulager de coeur, autant qu’ils purent; Ceux qui
ne voulaient pas vivre des jours heureux, Chanter,
rire, danser, pendant que nous étions malheureux. Il
restait donc les martyrs des longs jours de souffrance... Ceux qui furent à l'arrière, la fleur de notre France. |
Lou long das
cheytes bouyts, y'en restèt fort pertan...
Das beils
recouquillats, as èils coyts. Aou mitan Lous petits sens
papas, las dzènos accourdados Bedos blancos.
Pe lougn, de las hemos courbados Las que n'an pas
boulut oumblida. Saou coustat, Lous blassats,
torts, mantsots, lous coumbattants d'a’stat... Apey tous lous
amics sanceys: lous que sabúren Souffri, nous
souladza de co, tant que pescúren... Lous que
bouluren pas bioure das dzouns herus, Ganta, ride,
dansa, tant qu'èren malherus. Restaou doun
lous martyrts das loncs dzouns de souffranço… Lous qu'esturen,
darrey, la flou de nosto Franço. |
Le Soldat mort regarda, tout rêveur,
longuement, Ceux qui l'ont tant aimé, au pied du
monument. Il se mit à sourire et d'une voix plus
douce : « Vous les avez vus, dit-il, s'ils
ont tous pris la course ? Vous voyez ?... J'ai eu vite nettoyé
notre endroit ! Il n’y a plus que moi, le Mort, qui
demeure tout droit ! De ceux qui m'ont fait tuer aucun ne
reste. Maintenant nous allons, sans pleurs, amis, terminer la fête. |
Lou Souldat mort
gaytèt, tout reyburt, lounguemen, Lous que l’an
tant aymat, aou pè daou monumen. Se mettut a
souride et, d'eno bois pe douço : Lous èts bis,
se dichut, s'an touts trappat la cousso ? Ey ayut lèou,
bedèts ? netteyat noste
endreyt ! Ya mey que you
lou Mort que damóri tout dreyt... D'as que m'an
heyt tua, gn'a mey nat que me rèsto !... Adaro anan, sens
plous, amics, feni la hèsto. |
Oui je suis mort mes aimés. Mais il ne
faut pas que vous pleuriez : Dans le bonheur, la lumière je vais
habiter pour toujours. Je suis
mort à vos yeux, mais je suis encore en vie. Ni
blessure, ni fer, ni aucune maladie Ne peut
plus désormais m'atteindre. Comme un ruisseau La joie
coule à flots pour moi, près du bon Dieu. Ils ont
éventré mon corps... Ils n'ont pas tué mon âme. Et
lorsque, sur mon modeste tertre, chacun de vous pleure De mon
aile, en chantant, je viens vous caresser ! Je suis
heureux quand vous pleurez ! Il faut me pardonner... Je sais
que nous reviendrons ensemble... La nuit tombante De nos
pauvres jours, n’est que la matinée D'un jour
de rayons, de paix, qui dure sans s'arrêter... D'un jour où, sans soir, nous pourrons tous nous aimer... » |
Oui sey mort,
mous aymats. Mais bous faou pas ploura :
Dens lou
bounhurt, la luts, baouc toujoun damoura. Sey mort à bostes èils, mais sey encáro en bio. Ni blessuro, ni fert, ni nado malaoudio Ne pot adáro mey m'atteigne. Goume en riou, La dzoyo coulo a flots pré you, près daou Boun Diou. An esbentrat moun cors... n'an pas tuat moun ámo. Et quant, se moun macéou, cadun de bous aouts brámo, De moun alo, en cantants, bous bèni parouna !! Sey herus quant cridats ! Bous faou me perdouna... Sábi que rebindren amasso ... La neytádo De nostes praoubes dzouns, n’es que la matinádo D’en dzoun de rays, de pès, que duro sens rema... D'én dzoun an, sens dessey, nous pouyren touts ayma... » |
Les Mères s’étaient levées, grimpées
sur les bancs... Les jeunes, les petits, juchés sur les
branches, Les blessés, les amis, les femmes, en
avant, Ouvraient tout grands leurs yeux, comme à
un soleil levant. La France embrassait de nouveau au front
son bel enfant. Sur tous passait un souffle d'espoir et de courage. |
Las mays s’aouèn
luat... grïmpados se las bancos... Lous dzènes,
lous petits, criquats se las balancos, Lous blassats,
lous amics, les hemos, en aouan, Oubrèouen lus
grants èils coume a d’en sou luan. La Franço
rebiquaou aou ten soun bèt maynadze. |
« Oui,
je suis mort pour vous... mais mort comme il fallait. J'ai su,
dans mon trou, que je ne suis pas mort pour rien. Pauvre,
ignorant... il semblait que je n'étais pas grand'chose. J'étais,
pourtant, le grand chevalier d’une Cause, Qui
donne, à celui qui la sert, plus de grandeur qu'à un roi. J'ai
suivi mon chemin sans jamais regarder derrière. Je me
suis laissé secouer par la grande marée De
sang... Suivant toujours, sans trébucher, l'Idée En
pensant à vous, je me suis toujours offert tout entier. Ni
balles, ni couteaux, ni tempêtes de fer N'ont pu
faire abaisser mes yeux... Je suis mort, maintenant... |
«Oui sey mort pré bous aouts.... mais mort comme fallè... Ey sabut, dens moun cros, que sey pas mort pré rè. Praoube, moure, semblaou que n'èri pas grand caouso. Eri pertan lou grant chevaliè d'eno Caouso, Que baillo aou que la serp, mey d'aounou qu'a d'en rey. Ey sigut moun camïn, sens pugn gayta darrey. M'ey quittat secudi per la grando marèyo De sanc... Sens trabucca siguènts toujoun l'Idèyo, En pensant a bous aouts, m'ey toujoun tout ouffert, Ni ballos, ni coutets, ni tempestos de fert N'an pouscut ha bacha mous èils... Sey mort adáro... |
Mais vous
m'écoutez toujours et vous m'entendez encore. Je suis
bien mort pour vous, pour les jeunes et pour les vieux, Pour les
parents, pour les voisins;... pour chanter des réveils De
miracle à ceux qui s'endorment ou s'amusent. Je suis
mort pour conserver le pain à ceux qui travaillent, Pour
sauver notre maison, nos champs, les foyers. D'un
peuple de voleurs, de basse pègre, de malpropres... Je suis
mort pour que jamais personne ne puisse voir Des
milliers d'enfants écrasés comme du verre... Pour que
le vent de mer, par dessus les dunes, comme autrefois Puisse
toujours souffler son haleine de Liberté. Je suis
mort pour nos mères, nos femmes, mes reines ! Pour que
leurs bras vaillants ne sentent jamais de chaînes. Je suis
mort pour mon clocher, mon église, mon autel Où notre
vieux Curé m'apprit à monter Au-dessus
de la terre et de sa comédie, Et mit un rayon clair dans la nuit de ma vie. |
Mais m'escoutats toujoun et m'entendèts encáro... , Sey bien mort pré bous aouts, pras dzènes et pras beils, Pras parènts, pras besïns... pré canta das rebeils De miragle pras que s'endromen o s'arraillen. Sey mort pre counserba lou pan as que trabaillen... Pre saouba noste oustaou, nostes cams, lous hougueys, D'en puble de boulurts, de racho, de gangueys... Sey mort pré que jamès diguns pusque rebeyre Das milleys de petits esbouillats comme beyre... Pré que lou bèn de ma, sas piqueys, coume a’stat
Pusque toujoun bouha sa lèn de Libertat. Sey mort pré nostos mays, nostos hemos, mas reynos ! Pré que lus bras balènts sènten jamès de cheynos. Sey mort pré moun clouchey, ma gleizo, moun aouta An noste beil Curé m'apprengut a mounta Aou dessus de la terro et de sa coumedio |
Je suis
mort pour mon Pays, son parler, son savoir Tout ce
que j'y ai tété de si doux... sans le savoir. Je suis
mort pour que mon nom de Français jamais ne meure Et, dans
le coeur du Monde, avec sa beauté demeure... Mes aimés,
levez-vous!... Ne plaignez plus mon sort... Priez en espérant : Vous savez pour quoi je suis mort. » |
Sey mort pré moun Péïs, soun parla, soun sabé, Tout ce que yey tetat de si dous, sens sabé... Sey mort pré que moun noum de Francés jamais móre Et, dens lou co daou Mounde, en sa beoutat damóre... Mous aymats, luats bous !... Plagnèts pas mey moun
sort... Prégats en esperants : Sabèts pré qué sey mort. » |
Le Soldat se
tut. Sur la France de pierre Il appuya, comme
avant, sa poitrine trouée. Son front se
plissa de nouveau sur ses yeux refermés. Son dernier mot
mourut sur ses lèvres serrées. Le Mort ne parla plus… |
Lou
Souldat se taysèt. Se la Franço empeyrádo Accoutèt,
coume aouan, sa peytrino traougádo. Soun
ten se replissèt se sous èils rebarrats. Soun
darney mot mourit se sous ballots sarrats. Lou
Mort parlèt pas mey... |
Le lendemain, à l'aube, Les passants matinaux virent dans
l'entaille De sa poitrine blanche, une petite fleur Enracinée au coeur. |
Lendeman, a
l’ourbaillo, Lous passants
matineys beyuren dens l'entaillo De sa peytrino
blanco, eno petito flou Enracinado aou co. |
Morte de sa douleur, La
folle au pied du monument était allongée Froide,
raide...
Comme une gerbe déliée, Une
grande brassée de fleurs, la nuit, à son côté, Comme
un jardin parfumé, sur l'herbe avait poussé. Et
le petit, transi de froid de sa nuit, Se
réveillant heureux dans la moisson montée, Se
mit à cueillir les belles fleurs de mai Qu'avaient semées pour lui les larmes de la mère... |
Morto de sa doulou, La follo aou pè daou monumen ero alloungádo, Freydo, règlo...
Coume eno garbo
d’esligado, En grant brassat
de flous, la neyt, a soun coustat, Coume en dzardïn
aoulèn, se l'herbo aouè poussat. Et lou petit,
trenquat de freyt de sa neytádo, Se rebeillant
herus dans la mestiou mountádo, Se mettut a
cuilli las bèros flous de may Que yaouèn
samenat las lèrmos de la may... |
(Ecrit
pendant les vendanges 1923, en pensant à tous les
pauvres amis vendangés là-bas... ) |
(Escriout péndèn
las benduougnos l923, en pènsants à
tous |
D-M. BERGEY. |
Réalisée le 1
octobre
2004 |
André Cochet |
Mise s<ur le Web
le octobre
2004 |
Christian Flages |
Mise à jour
le |
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