Préface.
Ce
livre contient l'histoire de Rions et, pour modeste qu'il soit, sa
publication n'en constitue pas moins un fait notable pour la ville dont il
reproduit les annales.
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Porte du Lhyan
actuelle. |
Aussi
ne sera-t-il peut-être pas sans quelque intérêt,... au moins pour les
Rionnais du XXI ème siècle, de raconter sa genèse.
Pour
cela il nous faut remonter à 1902.
Un
matin du 20 avril de cette année, un des wagons du tramway allant de
Bordeaux à Cadillac, était tout entier rempli par le Bureau et par une
délégation de la Société des Archives Historiques de la Gironde.
Cette
Société fondée, en 1859, par Jules Delpit pour recueillir les documents
épars concernant Bordeaux et la Guyenne, avait déjà, en 1902, publié
trente six volumes in-4° contenant des milliers de pièces inédites.
Mais
elle s'était avisée que les érudits seuls iraient puiser dans ce trésor
et qu'il fallait cependant le mettre à la portée de la masse, si elle
voulait répondre à son but de décentralisation historique.
Aussi,
profitant du talent de parole de plusieurs de ses membres, avait-elle
organisé, tant au chef lieu que dans les vieilles cités du département,
des conférences qui, en face de leurs anciens monuments, rappelaient ou, le
plus souvent, apprenaient aux habitants les fastes de leur pays natal.
C'était
une de ces conférences qu'en ce jour du 20 avril devait faire à Rions M.
Joseph Barrère, avocat à la Cour d'appel, lequel avait déjà donné
brillamment, à Bordeaux et à Saint Macaire, sa mesure de conférencier.
Dans
le wagon des Archives Historiques la belle humeur régnait, grâce surtout
à la verve aimable d'un des doyens de la Société, artiste autant
qu'érudit, malheureusement décédé depuis, M.P. Ariste Ducaunnès-Duval ;
et la présence des dames « admises à l'excursion », selon la
formule usitée, n'était point pour diminuer un entrain de bon aloi.
Tout
à coup l'une d'elles, qu'on eût pu, comme dans le Conte de fées, nommer «
la Belle aux Cheveux d'or », penchée à la portière, s'écria « Qu'est
ce que ce village que l'on aperçoit là bas ? ».
Sur
la droite, en effet, au fond de la plaine verdissante, se dressait une
éminence pittoresquement crêtée de tours moyenâgeuses au pied
desquelles, parmi des bouquets d'arbres, s'abritaient des maisons aux toits
rouges.
«
Ce que vous voyez là, Madame, fut-il répondu à la voyageuse, n'est
point un
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Porte du XVIIème siècle. |
village. C'est Rions, où nous nous rendons : une ville
authentique, au passé glorieux, au présent vivace. Elle fut une grande
villa romaine, un centre religieux marquant, une place forte redoutable.
Au cours de cinq siècles, avec des fortunes diverses, elle soutint
vaillamment des sièges terribles. Puis, la zone des événement
politiques se déplaçant, on laissa se démanteler les remparts inutiles
; la Garonne qui baignait les murailles, s'en écarta ; la vie commerciale
ne fut point suffisante pour remplacer la vie guerrière.
Aussi,
quand vint l'ère actuelle, abandonnée de son fleuve, éloignée des
voies nouvelles, frustrée de toute importance administrative, simple
commune, il semblait que Rions, comme tant de cités jadis importantes,
fût destinée à disparaître.
Mais
elle ne voulait pas du rôle de ville morte. Malgré sa faiblesse elle
lutta contre les destins contraires et, par le persévérant attachement
de ses habitants, par le dévouement infatigable d'administrateurs
d'élite, elle conquit, dans la mesure de ses forces, tous les organes qui
constituent un centre moderne, maintenant ainsi sa place dans le concert
des villes girondines. Mais nous voici arrivés, et vous allez vous même
juger de sa vitalité. »
Effectivement
le tramway s'arrêtait et devant la gare un groupe stationnait, venu pour
recevoir la Société des Archives.
Ayant
à sa tête son Président, M. Arthur Castillon, hélas lui aussi disparu,
c'était le Comité des Conférences populaires de Rions. Fondé par un
Conseiller municipal, M. Gustave Videau, ce Comité, suivant une vieille
tradition rionnaise, s'était donné pour but d'aider au développement de
l'instruction locale, ainsi qu'avait fait avant lui, dès le XVème
siècle la Confrérie de Saint Nicolas.
Seulement,
les moyens étaient différents : la Confrérie subventionnait « les
précepteurs et régents de la Ville », tandis que le Comité organisait
des leçons publiques.
On
comprend donc dans quel esprit il attendait la conférence historique de M.
Barrère et quel cordial accueil il réservait à ses compagnons.
On
fit à ceux-ci les honneurs de la Ville. Les hôtes bordelais admirèrent,
non sans surprise, la citadelle puissante, les tours de l'enceinte, celle du
guet gracieuse et menue, la porte du Lhyan élégante malgré sa masse, la
fontaine de Charles VII, le roi de Jeanne d'Arc.
On
visita l'église Saint Seurin ; on parcourut les rues Romaine, Sarrasine,
des Normands, aux noms suggestifs, sans oublier les petits carrefours aux
maisonnettes festonnées de vignes grimpantes.
Puis
à midi eut lieu, à l'Hôtel du Centre, le traditionnel banquet. Seul y fut
archaïque le menu timbré aux armes de Rions.
A
3 heures, dans la salle Lagrange tout ornée de plantes vertes, à la
conférence présidée par M. Arthur Castillon, les Rionnais étaient
accourus en foule. A mesure que, devant eux, apparaissaient sur l'écran les
belles projections de leurs monuments familiers, dues à M. Th. Amtmann, de
la Société des Archives, ils s'émerveillaient en entendant M. Barrère
qui, dans ce cadre si connu et jusque là muet pour la plupart d'entre eux,
faisait revivre la vie si agitée de leurs pères et racontait les grands
faits dont ceux-ci avaient été les acteurs et les témoins.
Ce
fut pour l'orateur un succès des plus vifs, dont l'impression ne s'effaça
point et l'on verra que sa conférence fut, en réalité, le germe du
présent livre.
En
effet, les relations sympathiques alors établies entre les membres des
Archives Historiques et ceux du Comité n'avaient point cessé, lorsqu'en
1904 le Conseil municipal de Rions eut à voter la construction d'un groupe
scolaire. Il était présidé par un Maire aux vues larges et éclairées,
M. de Sinéty (encore à la tête de
la commune après dix ans de fonctions), et il résolut de ne rien épargner
pour que le nouvel édifice fût en quelque sorte le couronnement définitif
des soins que la Jurade et le Corps de ville n'avaient cessé jadis de
consacrer à l'instruction publique.
L'emplacement
fut bien choisi, non loin de la Mairie, sur la place qui porte le nom du
poète girondin Jules de Gères, en face de la citadelle ; et, sur les plans
de M. l'Architecte Nieudan, le monument s'éleva, présentant le plus
heureux aspect.
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Maison des marchands. XVIIème
siècle. |
L'aménagement y répondait : salles claires et gaies pour
les élèves, logements spacieux pour les maîtres, rien n'y manquait, pas
même la note artistique, sobre et élégante, due à la Société l'Art à
l'Ecole.
Aussi,
justement fier de son oeuvre qui répondait à un effort considérable, le
Conseil municipal décida-t-il que l'inauguration en serait solennelle et
qu'elle serait accompagnée de fêtes aussi brillantes que possible. Une
Commission fut chargée de les organiser et M. Gustave Videau en fut choisi
comme président.
Un
autre, selon l'inaltérable coutume n'eût pensé qu'à dresser des mâts,
à faire flotter des banderoles, à allumer à la nuit des feux
multicolores, à recruter quelque orchestre ou fanfare pour la plus grande
joie des jeunes Rionnaises. Mais, sans mépriser ces plaisirs classiques et
sans renoncer à les procurer à ses concitoyens, M. Videau songea qu'on
déplante les mâts, que les banderoles s'effilent, que les lampions
s'éteignent, que les sons s'envolent et que, finalement, des fêtes les
plus réussies la mémoire se perd. Tout au contraire les écrits restent : scripta
manent. Et alors comment cette
inauguration, si marquante pour Rions, serait-elle mieux commémorée que
par la publication simultanée d'un livre qui relaterait et populariserait
ses annales ?
L'idée
était excellente. L'exécution pouvait n'être pas sans difficulté.
M.
Videau ne douta pas du concours de ses amis des Archives Historiques. Il eut
raison.
Tandis
que M. Amtmann acceptait d'illustrer le livre, M. Joseph Barrère, le
conférencier de 1902, resté comme tant d'autres sous le charme de Rions,
acceptait d'en écrire l'histoire jusqu'en 1789.
Il
a rempli sa promesse. Profondément documenté et, selon la bonne méthode
indiquant toutes ses sources, il a retracé d'un style sobre et clair,
depuis les origines, la vie militaire, politique et administrative de la
Ville. Son travail fixe désormais la succession des événements locaux et
demeurera comme un précis définitif de la vieille histoire rionnaise.
Restait
à traiter de la période actuelle, depuis la Révolution jusqu'à nos
jours. Mais cette période, pour un petit centre, ne comportant guère
qu'une chronique forcément tissue de questions personnelles, ne pouvait
être racontée que par un habitant même de Rions, rompu à ses arcanes et
connaissant à fond les situations et les fluctuations locales. Encore une
pareille entreprise était elle dangereuse à tenter sans un recul
nécessaire, seule garantie d'impartialité.
Cependant,
dans son vif désir de voir compléter l'ouvrage, M. Videau est arrivé à
surmonter ces obstacles. Il a trouvé le collaborateur voulu ; et, grâce à
un système de notices spéciales, les inconvénients possibles
d'un récit trop direct ont été évités, sans que la vérité et la
sérénité du livre aient eu à souffrir la moindre atteinte.
Le
principal auteur des notices (car quelques-unes aussi ont été écrites par
M. Videau lui-même), le principal auteur des notices est M. Durepaire,
aujourd'hui instituteur à Bruges, qui, pendant quatorze ans, de 1893 à
1907, instituteur à Rions y fut à la fois secrétaire et archiviste de la
mairie.
Ne
se bornant pas au côté strict de ses fonctions, il prodigua, autant qu'il
fut en lui, son intelligent dévouement à sa résidence professionnelle,
l'étudia sous toutes ses faces et ainsi put composer les sérieuses études
qu'énumère la table de ce volume.
Elles
sont divisées en deux séries. L'une, intitulée Epoque révolutionnaire,
nous donne, grâce aux registres municipaux, dans des scènes vivantes,
l'aspect authentique de Rions de 1789 au Consulat.
L'autre
série, intitulée Variétés, est des plus complexes.
On
y trouve des descriptions archéologiques fouillées, des documents
sociologiques, et l'on y suit jusqu'à l'heure présente, au long des
changements politiques, le fonctionnement de l'administration rionnaise.
Ceux
qui tirent la prospérité de Rions ne sont pas oubliés ; tel ce Ferdinand
Cardez qui, maire pendant un quart de siècle (1875 à 1900), fit, par sa
direction féconde, tant de bien à la ville et y créa tant d'oeuvres
utiles, laissant chez ses concitoyens un impérissable souvenir.
Notre
rôle n'est pas ici de signaler chacun des points intéressants contenus
dans les notices. C'est au lecteur à se diriger à sa guise. il nous sera
permis néanmoins d'appeler son
attention sur l'une d'elles : L'instruction primaire à Rions, puisqu'au
demeurant c'est celle-ci qui est la cause occasionnelle du présent livre.
Sans
entrer dans l'analyse même de ce travail de M. Durepaire, qui nous mène du
régent Lourtaud, en 1650, à M. Durepaire lui même, on doit y constater,
comme fait dominant, l'intérêt primordial que, depuis le XVII ème
siècle, n'ont cessé de prendre les Rionnais à l'instruction de leurs
enfants.
Certes,
il y a loin de la pauvre classe du début au groupe scolaire de 1910.
Peut-être entre les programmes des études la différence est-elle plus
grande encore ; si l'on reproche parfois aux nouveaux d'être trop touffus,
il faut reconnaître que les premiers étaient assez maigres.
Jadis,
avec la lecture, l'écriture, l'arithmétique, les principes de la doctrine
chrétienne et par cas (bien rare) un peu de latin, on se tenait pour très
satisfait. Mais on ne transigeait pas sur la valeur des titulaires. Les
pères de famille veillaient et, au besoin, invitaient la Jurade à sévir.
Aussi, parfois, il y eut des exécutions.
En
1669, on donna « ses huit jours » à un régent et, en 1773, un autre se
vit frapper de l'interdiction d'enseigner dans la juridiction, comme «
négligeant sa classe pour ne s'occuper qu'à jouer du violon et à courir
les bals et les noces. » Le pauvre homme, ne pouvant vivre de son
école, s'était fait ménétrier !
Le
régent de Rions pourtant devait arriver à joindre les deux bouts. Par les
mains de son Syndic, la Confrérie de Saint Nicolas lui versait 100 livres,
somme, à mesure qu'on recule dans le temps, de valeur bien supérieure à
100 francs de nos jours.
Les
élèves, selon le degré d'instruction requis ou acquis, lui payaient une
rétribution mensuelle. Il avait un logement avec un jardinet et était
exempt de taille et de corvée. Tout cela valait bien quelque chose. Aussi
vit-on, sous Louis XIV, un avocat au Parlement solliciter la place. Il est
peut-être permis de penser qu'il n'était point de ceux qui font fortune au
Palais.
Si
elle est accessoirement riche en anecdotes, l'étude de M. Durepaire repose
tout entière sur des pièces officielles. Les plus modernes ne sont pas
toujours les moins curieuses, et c'est une chance rare de pouvoir suivre,
non pas dans un traité théorique, mais dans la pratique ininterrompue d'un
centre donné, les phases changeantes de cette grande question de
l'instruction primaire, si diverse, si difficile et si délicate à
résoudre.
Nous
touchons à la fin de notre livre. Il se termine par un document consacré
à la nomenclature des soldats et marins de Rions morts au service du pays.
L'hommage
ainsi rendu à ces vaillants nous rappelle qu'au cours d'un récent congrès
dans le Gers, nous fûmes introduit, aux mairies d'Auch et de Lectoure, dans
la salle dite des Illustres. Les murs en étaient tapissés de portraits
(bons ou mauvais, qu'importe !) de tous les enfants de la contrée qui,
servant la France dans des états divers, avaient acquis un renom ou une
gloire dont l'éclat rejaillissait sur leur terre natale. On les avait
rassemblés là, tant pour perpétuer leur mémoire que pour servir
d'exemple aux générations successives de leurs compatriotes.
L'ensemble
était imposant et l'idée nous parut belle.
Mais
plus belle encore nous paraît celle qui a consisté à établir, autant que
l'a permis l'État civil, et à publier la liste complète, jusqu'aux plus
humbles, de ceux qui, appelés sous les drapeaux, durent quitter les champs
rionnais pour aller dans la guerre ou dans la paix, mourir à bord ou au
régiment. L'hommage ainsi rendu à leurs noms est pour leur famille un
titre d'honneur ; et ce modeste Panthéon n'est pas à dédaigner où chaque
place est payée du sacrifice de la vie.
Chasseurs
des demi brigades de l'an IX, vétérans des guerres impériales d'Italie,
d'Espagne et de Prusse, soldats de Crimée, d'Algérie et de Madagascar
frappés à l'ennemi, marins des Antilles et du Maroc morts en escadre,
jusqu'au petit moblot expirant captif à Grabow en 1871, tous et avec eux
les camarades décédés au corps, tous sont tombés en faisant leur devoir.
Ils
méritent bien ce salut suprême qui, de la façon la plus touchante et la
plus digne, clôt notre histoire de Rions.
Pour
localisée qu'elle soit et précisément, parce qu'elle est localisée,
cette histoire peut jouer un rôle fécond dans l'éducation des jeunes
Rionnais. Aussi formerons-nous le voeu de lui voir accorder droit de cité
dans l'école qui vient de s'élever.
Quelles
utiles leçons n'en pourra pas tirer un maître expérimenté ! Combien
mieux que par des études de plus vaste envergure les élèves comprendront,
en l'étudiant, les enseignements du passé, lorsque ce passé sera celui
que, sur place, vécurent leurs pères. Ils y apprendront à estimer à leur
valeur les patients efforts de ceux-ci
vers le progrès ; et ils comprendront que, pour s'en rapprocher eux-mêmes,
le meilleur moyen sera encore de demeurer, dans l'éloignement de la
violence et des utopies, de bons citoyens et de bons Français.
Août
1910.
Francisque
Habasque.
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